Chapitre 8 : Sur le chemin de la maison...

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Vendredi 7 décembre, 20h.

Il est tard. Bientôt 20 heures. Presque tout le monde est parti. Seul Lemaitre est encore là, à siroter son dernier café agrémenté d’un peu de gin. Ce soir, Lisa ne prendra pas le métro, elle a besoin de marcher pour se vider la tête. Cependant, elle est inquiète. Elle a peur. Guidrish pourrait la suivre et lui faire du mal. Heureusement, il est parti en premier. C’est terrible d’avoir un potentiel tueur dans son entourage. Surtout qu’elle est sure qu’il sait qu’elle le soupçonne. Au moins, elle a son identité. Ce soir, elle ira consulter l’internet, la nouvelle source de connaissances universelle, mais aussi des plus absurdes théories et mensonges qui se mélangent avec toute la sagesse du monde.

Elle prend son manteau, place son béret rouge sur la tête et après avoir lancer un « bonsoir, à demain ! », comme elle fait à chaque fin de journée de travail, elle ouvre la porte de l’étude et se dirige vers l’escalier qui la mène dehors. Arrivée au coin de la rue, elle s’arrête et inspire une grande bouffée d’air frais pour se calmer. Il fait nuit noire dans Paris. Seuls les réverbères et les premières décorations de Noël lui permettent de voir devant elle. Il y a un bar tabac pas loin, justement. Une cigarette. Il lui faut une cigarette. Tant pis, elle arrêtera plus tard. Il paraît que les cigarettes électroniques font des miracles pour les accros à la nicotine qui veulent décrocher. Elle essayera quand tout ce cirque sera loin. Là, il lui faut une clope.

Elle s’arrête au bar-tabac et achète un paquet et un briquet bleu, non sans ce petit sentiment de culpabilité, qu’elle chasse immédiatement de ses pensées. Une fois sortie du bar, prend une « tueuse » dans sa bouche et l’allume. La fumée coule tout le long de sa gorge et se fond dans chaque alvéole de ses poumons. Elle expire la fumée, comme si elle expirait tous les soucis de la journée dans l’air, qui disparaissent lentement dans une volute blanche. Mon Dieu que c’est bon ! Elle se prend une nouvelle bouffée de nicotine qu’elle inspire à plein poumon. Puis petit à petit retrouve son calme, lorsque soudain, elle entrevoit du coin de l’œil, de l’autre côté de la rue, une forme grise, comme une grosse fourrure sur quatre pattes, dont deux billes lumineuses se fixent sur elle. L’adrénaline monte soudainement. Elle tourne la tête pour affronter ce qu’elle a crue percevoir comme une espèce de monstre qui allait la manger et elle voit, sur le trottoir d’en face, un superbe chien-loup, au pelage gris-blanc, l’arrière-train sur le bitume, qui la scrute.

Il pourrait être une espèce de Husky géant. Mais ses yeux clairs n’ont pas l’air d’être bleus. Par contre, la réverbération sur ses pupilles du peu de lumière de la ville lui donne un air surnaturel. Et il l’observe, sans bouger. Elle commence alors à l’appeler avec des petits bruits de bouche mignons et idiots que l’on fait pour calmer n’importe quel animal que l’on veut amadouer. Mais il ne bronche pas. Il la regarde. Elle s’approche doucement vers lui, en regardant subrepticement chaque coin de la rue pour s’assurer qu’aucune voiture n’arrive et, tout en continuant à émettre ces petits sons idiots, elle traverse la rue sans quitter des yeux l’animal. Soudain, ce dernier se lève et s’enfuit, tourne sur une rue adjacente. Elle a dû piétiner son espace vital et lui a fait peur. Tant pis. Elle voulait juste voler une caresse au somptueux animal.

Elle continue alors sa route, direction son appartement. Elle repasse en boucle les évènements de la journée et émet des conclusions et autres déductions lorsque, instinctivement, elle s’arrête. Elle est sure qu’elle est suivie. Elle se retourne, et là, voit à nouveau, au loin, le grand chien, debout sur ces quatre pattes qui la regarde. Ce chien est en train de la suivre ! Elle tente de l’appeler pour qu’il s’approche d’elle, mais dès qu’elle émet un son, le canidé fait demi-tour et se réfugie dans une ruelle adjacente, hors de sa vue.

« Bon. Il m’agace ce chien. S’il a faim, qu’il se débrouille… »

Au terme de cinq bonnes minutes de marche, Lisa arrive devant la porte de son immeuble. Un homme est sur le trottoir, fumant une cigarette tout en scrutant son smartphone. Elle le surveille tout en pianotant sur le digicode de la lourde porte en bois du bâtiment. « Il doit attendre quelqu’un. Je deviens complètement parano avec toute cette histoire. »

Le son sourd de la porte lui indique que cette dernière est ouverte. Elle l’ouvre, non sans effort, et se faufile dans l’entrée du bâtiment, se précipitant vers les escaliers qu’elle parcourt quatre à quatre. Elle veut être chez elle et s’enfermer. La peur et le stress de la journée font qu’elle se sent menacée. Arrivée au deuxième étage, elle cherche dans son sac ses clefs, qu’elle finit par trouver et introduit celle de son appartement dans la serrure. A ce moment-là, elle entend la lourde porte de l’immeuble se refermer. Tiens, c’est bizarre… Normalement, la porte se referme toute seule bien avant qu’elle n’arrive au premier. Ça veut dire que quelqu’un est rentré derrière elle. Ou a tenu la porte.

Alors qu’elle ouvre la sienne et rentre un pied dans son appartement, sa tête se trouve plaquée contre une surface moelleuse, une forte poigne contre sa bouche et son nez, l’empêchant de respirer et se retrouve propulsée littéralement dans son salon avec une telle force qu’elle s’étale de tout son long sur le parquet, stoppée violemment par le pied de son canapé.

A moitié groggy, elle tente de se relever et de comprendre ce qu’il vient de se passer, lorsque soudain, elle est soulevée brutalement en arrière par les cheveux, les lui arrachant presque, et elle est balancée contre le mur. Son torse et son visage se fracassent sur l'obstacle avec une telle puissance qu’elle en a le souffle coupé. A moitié assommée, elle tente de se retourner pour comprendre ce qu’il se passe.

Des mains lui empoignent les épaules et la retourne, frappant l’arrière de son crâne à nouveau contre le mur, ce qui la rend à moitié inconsciente pendant quelques secondes. Elle a la tête serrée comme dans un étau, mais un étau chaud et rugueux. Elle réussit à ouvrir les yeux et voit un homme qui la fixe du regard et ensert sa tête entre de larges mains, à lui faire exploser le cerveau. Il a les yeux remplis de haine et noirs. Lisa, tétanisée, ne voit que ses yeux sombres qui se teintent lentement d’une étrange couleur rouge sang. Il lui arrache alors violemment sa jupe du côté droit.

Lisa se retrouve en petite culotte, les cuisses à l’air, coincée entre les mains d’un inconnu. Mais au lieu de continuer son déshabillage, il continue son emrise, accentuant la pression sur son crâne comme s'il voulait le faire exploser et se met à murmurer une espèce de litanie à laquelle la jeune femme ne comprend rien. Elle n’en reconnaît aucun mot. L’homme continue de fixer ses yeux haineux dans les siens tout en marmonnant d’étranges sons gutturaux. Cela lui fait mal, tant l’homme la serre. Et Lisa se dit qu’elle va peut-être mourir, là, bêtement, tuée chez elle par un inconnu. Il ferme soudain ses paupières, sa voix se transforme en une espèce de son métallique et grave comme venu d’outre-tombe. Il les rouvre pour darder à nouveau le regard de Lisa, grand ouvert, afin de saisir chaque information. Les yeux de l’homme ne sont plus noirs, mais rouges. Un rouge surnaturel et brillant. Ses pupilles projettent des flammes au travers de celles de la jeune femme. Lisa crie, hurle de terreur et le faisceau de flammes continue à traverser ses globes oculaires et sa tête. Mais étrangement, à part le fait que son agresseur lui comprime fermement le crâne entre ses grandes mains, elle ne sent rien. Aucune douleur ne lui traverse le cerveau. Comme si ce rayon de feu n’était qu’une illusion.

Soudain les flammes cessent, l’homme a refermé les yeux, semblant tenter de récupérer un peu d'énergie, puis les rouvre et recommence son manège et ses rayons lasers enflammés qui traverse toute la boite crânienne de Lisa. Mais rien. Elle ne voit que les lueurs rouges et n’entend que la litanie métallique. Aucune douleur. La situation qui était absolument effrayante en devient presque ridicule. L’homme reprend son souffle, recommence, lui presse la tête un peu plus fort et, le visage déformé par un ultime effort, renvoie dans les globes occulaires de la jeune femme une quantité énorme de traits enflammés. Mais à part ne voir que du rouge et de l’orangé, elle ne sent rien.

L’homme relâche un peu son emprise tout en continuant à maintenir la tête de Lisa. Son iris reprend une couleur ébène plutôt normale et non plus rouge fluorescent. Toujours dans sa voix métallique, il murmure: « Mais… Qu’est-ce-que tu es ? »

Soudain, dans un grognement sourd, une énorme boule de poils grise propulse l’intru sur le côté. Il est cloué au sol, gisant entre le canapé et une petite bibliothèque, immobilisé par un énorme chien-loup qui lui serre la trachée artère entre ses crocs jusqu’à ce qu'il devienne pâle et ne puisse plus respirer. Lisa reprend petit à petit ses esprits et réalise qu’elle est en danger de mort. Elle plie ses jambes et fait glisser son dos contre le mur jusqu’au sol, afin de récupérer sa jupe. Elle se met à quatre pattes, avance le plus discrètement possible vers la porte de son appartement, qu’elle n’avait même pas eu le temps de fermer. Elle s’accroche à la poignée pour se relever. Elle s’enfuie, en petite culotte avec sa jupe à la main, dans le couloir de l’immeuble vers les escaliers, complètement hystérique, en hurlant de toutes ses forces pour appeler à l’aide.

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