Chapitre 27 : Mère

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Dimanche 9 décembre dix-sept heures et lundi 10 décembre, tôt le matin.

- « Qui es-tu, Egon Guidrish ? »

Lisa est à genoux sur un grand lit antique à baldaquin placé au centre d’une grande pièce aux murs de pierre, adjacents à une toute petite fenêtre semblable aux meurtrières des châteaux-forts. Une grande chaise rembourrée en bois sculptée a été placée entre le lit et la porte. Egon y est installé et contemple la jeune femme sans montrer la moindre émotion. Il surveille les moindres gestes de Lisa et est prêt à intervenir au besoin.

Cette dernière fixe Egon d’un regard inquisiteur et empli de rancœur. Lisa se sent trahie, encore une fois. Le sexe fort a été pour elle une source de déceptions conséquentes dans le passé. Elle espérait qu’un homme d’âge mur ne ferait pas parti des statistiques. Certes, il ne l’a pas trompée, mais il lui a menti, en outre sur sa mère qui est un sujet tellement douloureux depuis sa plus tendre enfance qu’elle n’a pu que le refouler jusqu’à l’anesthésier totalement. Mais l’entrevue avec Octavius a tout ravivé. La douleur s’est déversée en elle tel un geyser sans fin. De plus, le nouvel univers qu’elle a découvert avec l’Ancien la submerge de questions. La curiosité prend gentiment le dessus sur la colère. Lisa réitère sa question :

- « Qui es-tu ? Quel est ton nom ? Ton vrai nom. »

Egon ne répond toujours pas. Il s’attend au pire depuis l’interrogatoire du démon. Il ne lui pose pas de questions car il sait qu’elle n’a aucune réponse. Pourtant elle répond à sa place :

- « C’est Aegeus n’est-ce-pas ? »

Lorsqu’il entend ce nom, il sourit.

- « Oui. C’est mon prénom.

- Quand es-tu né ?

- Quelques jours avant le solstice d’hiver, en l’an de grâce 410 de notre ère, après la naissance de Christ.

Lisa ne dit plus rien. Même si elle s’attendait à la réponse, elle est complètement estomaquée. Quelque part, elle aurait espéré qu’il lui donne la date indiquée sur son passeport, lui disant que tout cela après tout, est absurde avec des relents de mauvaises blagues et qu’Octavius est un vieil homme sénile. Mais les évènements récents la forcent à croire ce qu’il dit, même si cela est incroyable. Elle pose ses mains devant son visage et son regard qui était empli de colère, ne montre, à présent, que de la peur. Elle espère se réveiller à un moment donné et se rendre compte que tout cela n’était qu’un rêve hors du commun et très réaliste, mais, somme toute, qu’un simple rêve. Pourtant, tout semble trop réel autour d’elle ainsi que l’homme étrange qui est assis en face d’elle. Egon se lève doucement sans la quitter des yeux s’approche d’elle. Il tend une main vers elle, le regard suppliant mais elle a un mouvement de recul et la terreur peut toujours se lire sur son visage. Il tente alors de la rassurer :

- « Tu sais, j’ai eu beaucoup de noms différents durant toute mon existence, mais cela ne change pas le fait que j’ai été et je suis toujours et encore moi, ici et maintenant. Tout ce qu’il s’est passé ces derniers jours entre nous a réellement existé. Appelle-moi comme tu veux Lisa. Cela n’a aucune importance et ne changera rien à la situation présente. »

- « Tu me fais peur… Vous me faites tous peur. Vous voulez quoi de moi exactement ? Si vous êtes des Huns, vous… vous êtes des barbares sanguinaires, et… vous allez faire quoi de moi ? De nous, des gens autour ? Nous massacrer ?! »

Le visage du guerrier s’illumine d’un large sourire en entendant les paroles de la jeune femme et se retient de ne pas éclater de rire devant la naïveté de la remarque. Il s’assoie sur le rebord du lit, comme un père qui irait raconter une histoire à un enfant, et le regard empli de tendresses et d’amusements, il lui dit :

- « Tu sais Lisa, ce que j’adore plus que tout chez toi, c’est ta candeur de petite fille qui ne t’a jamais quitté. » Lisa le fusille du regard, vexée. « Ne le prend pas comme une insulte, s’il te plait, car c’est ce qui fait ta force et te rend invincible. Crois-en un vieil homme de plus de 1500 ans d’expériences. Dieu merci, ce semblant d’immortalité ne nous a pas rendus grabataires et séniles. Regarde Ho-Jin, par exemple : qui aurait dit que le fils d’un prince hunnique deviendrait un des plus gros nerd, mordu de mangas et jeux vidéo que j’ai rencontré ! » Il porte sa main sur son torse. « Moi-même, ancien légionnaire romain qui s’est retourné contre son empire bien malgré lui pour rejoindre une des plus terrifiantes armées qu’il m’est amené de connaitre, est devenu aujourd’hui un expert financier et incollable sur les fluctuations de la bourse… Si cela peut te rassurer, c’est bien la preuve que nous nous adaptons à notre temps. Et si nous allions massacrer et piller un village voisin, je crois bien que nous aurions à confronter bien pire qu’une armée de féroces Burgondes ou Wisigoths. Je n’ai pas envie d’affronter des véhicules de police et des mitrailleurs militaires. Spéculer en bourse est tout aussi stressant mais bien plus confortable que lutter dans un champ de bataille et bien moins menaçant pour nos vies immédiates, crois-moi ! » Il ponctue sa déclaration par un rire joyeux. Lisa se détend au fur et à mesure des paroles de l’homme. Elle se sent quelque peu démunie et un peu bête, cependant. Il lui prend délicatement la main et la serre entre les siennes, la caressant doucement pour la rassurer encore plus, comme on le ferait pour amadouer un animal blessé. Puis il rajoute d’une voix douce :

- « Quant à ta mère, je n’ai pas tout à fait menti : je ne l’ai connue que lorsqu’elle était une toute petite fille qui tenait à peine debout. Elle avait cette même bouille adorable que tu as maintenant. Mais j’étais sincère. Je suis sur qu’elle t’a profondément aimé même si elle t’a eu trop jeune et manquait de maturité. J’ai vu des mères-enfants bien plus responsables et aimantes que d’autres, qui avec un âge plus avancé, auraient dû être des mères irréprochables. Parfois l’âge rend aigri et ne laisse plus place à cet amour maternel. Et puis j’ai pu aussi observer des femmes à la féminité presque inexistante devenir de véritables mères poules lorsque leur bébé arrive. Donc, ma puce, aime et respecte sa mémoire. Aime-la, chéris le peu de souvenirs que tu as d’elle, car elle t’a donné la vie. Rien que pour cela, tu peux être extrêmement fière d’elle. Tu comprends ? »

Lisa se jette dans ses bras et le serre de toutes ses forces. Puis, après avoir laissé échapper quelques dernières larmes, elle colle sur ses lèvres un long baiser. Elle lui chuchote alors à l’oreille :

- « En tout cas, toi, on voit que tu es un papa expérimenté. Est-ce que je me trompe ? »

Il rit de bon cœur. Il lui répond alors en la regardant dans les yeux et lui caressant le visage :

- « Certes. J’ai eu à consoler beaucoup de mes enfants… Mais, Dieu merci, et ça je peux te l’assurer, tu n’es pas l’un d’eux.

- Euh oui, heureusement ! Sinon ce serait vraiment… bizarre.

- Oui ! Et je ne ferais pas ce que je suis sur le point de te faire maintenant…

- Quoi donc ? » Dit-elle amusée.

Comme les actes sont bien plus parlant que les mots, il l’allonge sur le lit et l’embrasse tendrement. Puis après que l’étape des baisers ai été largement dépassée et que les vêtements de chacun aient terminé sur le sol, ils s’endorment repus et comblés, enserrés dans les bras l’un de l’autre.

On toque à la porte. Egon se réveille et se relève brusquement. Il entend Lisa gémir à côté de lui. Il la regarde pour s’assurer qu’elle dort toujours. Il tente de se lever mais les bras et les jambes de la jeune fille l’encercle si fort qu’il doit délicatement se dégager d’eux sans risquer de la réveiller. Elle se retourne en grommelant quelque-chose pour protester et ne bouge plus. Elle a dû se rendormir. Il ramasse son pantalon qui traine au sol avec son caleçon et les enfile à toute vitesse. Il se dirige vers la porte et l’entrouvre pour voir dans l’entrebâillement qui les demande. C’est Ho-Jin qui le salut avec un grand sourire et enthousiasme :

- « Hey ! Bon matin poto ! Alors ça boume ? »

Egon le somme de faire moins de bruit en soufflant sut son doigt contre sa bouche. Ho-Jin se risque un coup d’œil et comprend immédiatement. Il lui dit alors à voix basse :

- « Oups… Pardon. C’est que c’est le matin et… il faudrait que tu t’habilles et que vous empaquetiez vos bagages. On va partir dès que possible. »

- Qu… Mais il est quelle heure ? » Répond Egon, visiblement la tête encore dans le gaz.

- « Il est 6h du matin. On est lundi.

- Et merde ! »

Alors qu’il s’apprête à refermer la porte devant Ho-Jin pour ne pas réveiller sa belle encore endormie, celui-ci la retient du pied.

- « Attend ! Avant il faut que je te parle. Mais pas ici.

- Ok. Laisse-moi mettre un vêtement sur moi. J’arrive. »

Après avoir enfiler un tee-shirt, Egon sort de la chambre, referme délicatement la porte derrière lui et rejoint Ho-Jin qui l’attend dans le couloir. Le « jeune » homme l’invite à le suivre dans une autre pièce adjacente à la chambre qu’ils viennent de quitter et où dort Lisa.

Ho-Jin ferme la porte à clef. « Au cas où quelqu’un d’indésirable renterrait par accident. »

Egon prend une chaise, s’y assoit confortablement, et attend ce qu’Ho-Jin a à lui dire :

- « Vas-y. Je t’écoute. »

Le petit prince se racle la gorge puis déclare :

- « Nous avons eu un meeting cette nuit avec les frères concernant ta copine. Viktòr, la fille, toi et moi partons ce matin. Viktòr va nous déposer à l’aéroport de Budapest et on rentre les trois à Paris. Une fois là-bas, on emmène la fille au QG parisien et on l’y enferme le temps qu’on découvre plus d’éléments. »

Egon regarde Ho-Jin, les yeux écarquillés et éclate de rire. Il se renferme soudainement, change de ton et répond à Ho-Jin, agressif :

- « Mais ! C’est quoi ce plan de merde ! On est lundi. Elle et moi sommes censés retourner à l’étude. Moi, je peux toujours trouver une excuse bidon pour la semaine entière, voire plus. Je ne suis qu’un associé. Elle peut dire qu’elle est malade pour aujourd’hui, voir demain mais au bout d’un moment, ses proches ou son patron pourraient signaler sa disparition à la police. J’ai déjà un capitaine de la Crim aux fesses qui est sûr que je suis impliqué dans un double meurtre. Il se fera un plaisir de me coffrer à nouveau car je suis son suspect numéro un. Et pourquoi tu l’appelles « la fille » ? Elle a un prénom, tu sais !

- Elle ne comprend pas le hongrois, mais elle peut entendre son nom. Et même si les murs d’ici sont en pierre et très épais, ils peuvent avoir des oreilles.

- Ok. C’est logique… Mais pourquoi on ne la ramènerait pas chez sa grand-mère ? Elle pourrait être en sécurité là-bas. »

Ho-Jin regarde ses pieds lorsque Egon évoque Salomé. Ce dernier lui demande alors :

- « Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

- Je voulais te parler d’elle justement.

- Tu as trouvé quelque-chose ?

- Oui, son adresse ! Elle est dans une bourgade touristique en France. En Bretagne. Pourosguerek ?

- Perros- Guirrec. Ça doit être ça. Bien. On pourra aller là-bas directement et y déposer qui tu sais.

- Il y a autre chose. » Chuchote Ho-Jin dans la barbe qu’il n’a pas. Il se rapproche d’Egon et regarde en direction de la porte, machinalement. Puis il lui dit à voix basse :

- « J’ai fait aussi des recherches sur la mère. »

Egon, qui écoutait déjà attentivement Ho-Jin, le regarde dans les yeux attendant la réponse. Ho-Jin continue sa déclaration :

- « Je ne comprends pas ce que j’ai découvert : elle est bien morte d’un accident de voiture, n’est-ce-pas ?

- Oui. C’est ce que j’ai entendu.

- Bien. Pourquoi je ne trouve aucun acte de décès nulle part ? Ni même aucun article de journal relatant l’accident. J’ai vérifié depuis la date de naissance de ton amie et ce jusqu’à ses dix ans, et ce partout sur la planète. Il n’y a rien qui concernerait une certaine Cassandra Mauragnier ou Fournier. J’ai bien trouvé une Cassandre François, en 1991, mais elle décédée d’une crise cardiaque à 89 ans à Reims ou une autre Cassandra Prasiano à Milan, accident de voiture. C’était une gamine de douze ans. »

Egon à un geste de recul. Voilà qui est intéressant se dit-il. Il se lève et se dirige vers une des petites meurtrières d’où l’on peut contempler la forêt en contrebas. Le regard toujours dirigé vers les bois, après une bonne minute de réflexion, il déclare :

- « Je vais réveiller la miss. On part tout de suite. Cela ne sert à rien de rester ici plus longtemps et, si notre prisonnier avait raison, elle nous met tous en danger. »

Il se retourne et sort de la chambre sans demander son reste.

Quelques heures plus tard, le temps de sortir Lisa du lit, qu’elle se prépare et termine un petit-déjeuner copieux, Egon ne s’étant contenté que d’un café bien serré, les voici dans le SUV avec Ho-jin et Viktòr au volant. Aiday et Balázs les saluent d’un geste de la main après quelques recommandations de l’Ancien, les regardant partir, inquiets malgré tout, vers la capitale Hongroise.

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