Chapitre 29 : Embuscade

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Cela fait une bonne heure qu’ils roulent en direction de l’aéroport. D’après ce que lui a expliqué Egon, Lisa doit se résoudre à rentrer chez elle. Elle est contente mais déçue tout de même. Tant de questions se bousculent dans sa tête. Elle revoit les différents incidents qui se sont déroulés ces derniers jours. Mais ce qui la rassure c’est qu’Egon sera là avec elle, même en France. En fait elle pourrait aller n’importe où sur le globe, tant qu’il sera présent, elle se sentira en sécurité. Lisa tente d’analyser ce qu’elle ressent exactement : c’est tout nouveau pour elle, car elle n’a jamais eu ce genre de sentiment pour un homme auparavant. Être avec lui est pour elle comme une évidence et l’impression étrange qu’elle le connait par cœur, depuis très longtemps, malgré le fait qu’il soit, dans les faits un parfait étranger pour elle. Les hommes dans la voiture continuent à discuter dans leur langue étrange qui commence à sonner harmonieusement dans les oreilles de Lisa. Elle regarde le paysage enneigé et le ciel blanc qui se confond presque avec la terre lui donnant une impression d’espace infini et l’emmène dans quelques pays merveilleux. Ses paupières deviennent lourdes et elle s’endort tranquillement, le visage contre la vitre, bercée par le vrombissement du moteur et la langue musicale des hommes magyars. Lorsque soudain :

- « KURVA !! SZAR !!!!! » (nda : Littéralement putain ! Merde !)

C’est la voix de Viktór et un coup de frein d’urgence qui viennent de la réveiller brutalement…

Gabor Fehér vient de quitter son vieil ami Zsolt qui la veille, l’avait invité chez lui pour lui faire gouter sa nouvelle recette de Pálinka à base de prunes, accompagnée de quelques verres de vin blanc. Elle était délicieuse bien qu’un peu trop forte, si bien qu’après quelques discussions relativement philosophiques ponctuées de blagues graveleuses, ils avaient terminé tous les deux quasiment inconscients sur le canapé de Zsolt. Le réveil a été un peu brutal : Madame Zsolt, Irina de son prénom, en ayant assez de voir deux poivrots squatter son salon et agacée par les ronflements dignes d’un marteau piqueur en stéréo, armée de son manche à balais, a réussi à faire déguerpir Gabor. Ce dernier, l’esprit pas encore tout à fait clair, est parvenu, grâce à un soudain instinct de survie, à grimper sur son vélo et rouler plus ou moins droit sur la route qui le mène jusqu’à chez lui. Alors qu’il avance cahin-caha sur le chemin, à l’autre bout de la route il aperçoit deux grosses masses noires. En continuant son parcours, il distingue deux gros 4x4 à l’arrêt qui barrent le chemin. Il s’arrête, perplexe et se déplace sur le côté. En parlant à lui-même, il râle car il n’arrive pas à passer à côté des véhicules à cause des congères qui encadrent la route. Il entend le bruit d’un gros véhicule derrière lui. Il se retourne et voit arriver, à une certaine vitesse, un vieil SUV kaki qui, à la vue des véhicules noires faisant barrage, pile sur les freins de toute ses forces. La voiture entame une marche arrière mais, un troisième 4x4, qui devait attendre dans le petit chemin perpendiculaire à la route apparait à son tour et barre la route par derrière. Le véhicule kaki est pris au piège. Dans un moment de lucidité et par instinct de protection, Gabor se jette derrière un amas de neige, sur le côté de la route, abandonnant son vélo. Le 4X4 se met à accélérer et avance à une vitesse folle contre le barrage de voitures dont les portes s’ouvrent au même moment et laissent sortir quatre hommes armés de mitrailleuses. Le véhicule fonce sur eux et opère un brusque dérapage assommant contre leurs portières avant et arrière les deux hommes. Ceci fait faire une embardée au véhicule qui cogne contre la seconde voiture barrant la route et fait tomber deux autres hommes qui tentaient de sortir, mitrailleuses au poing…

Egon n’a qu’un seul reflexe, après la cascade improvisée de Viktór, c’est se retourner depuis le siège avant et se jeter sur le siège arrière en hurlant, afin de protéger Lisa :

- « COUCHE TOI !!! »

Lisa regarde autour d’elle et ne comprend pas ce qui est en train de se passer dans la précipitation. Elle tourne la tête vers Ho-Jin, mais il a disparu. C’est Egon qui a pris sa place. Ses yeux sont étrangement brillants et il tient entre ses mains un étrange objet lumineux qui perd peu à peu de son éclat pour devenir une espèce de fusil mitrailleur qu’il jette à l’extérieur en ouvrant la portière arrière de la place où se trouvait Ho-Jin… qui est maintenant debout les pieds dans la neige à côté du 4X4. Lisa ne se rappelle pas avoir entendu ce dernier ouvrir la porte du véhicule puisque c’est Egon qui vient de le faire. Egon sort précipitamment, prend le bras de Lisa et est en train de la tirer vers lui pour la diriger en dehors de l’habitacle. Lisa est effrayée. Soudain elle entend des coups saccadés qui viennent de l’extérieur. Par reflexe, elle se met à crier. Son corps est littéralement extirpé à l’extérieur du véhicule, comme une poupée de chiffon. Elle se retrouve alors assise au sol contre le pneu arrière. A côté d’elle, à sa droite, debout et accoudé contre le coffre et tenant le fusil mitrailleur, Egon tire des slaves de balles contre quelques ennemis. Et de l’autre côté, près d’elle, se trouve Ho-Jin, armant un autre second fusil mitrailleur. Ce dernier la regarde subrepticement et lui fait un clin d’œil avec un sourire. Il a l’air de s’éclater. Elle pense à Viktòr. Où est-il ? Elle se dit qu’il a dû être touché par les balles car on ne l’entend plus. Son cœur bat à une telle vitesse qu’elle en a le tournis et sent qu’il va bientôt éclater. Soudain elle voit un homme atterrir devant elle, la gorge en sang et un lynx se jeter sur sa victime pour finir de lui arracher la trachée. Elle crie à nouveau, sous le choc. Le lynx lève les yeux vers elle. Les yeux du félin sont étrangement brillants eux aussi. Puis, constatant que sa victime ne bougera plus, il saute au-dessus de Lisa pour rebondir sur le toit du véhicule et trouver une nouvelle proie pendant qu’Egon et Ho-Jin continuent à mitrailler des slaves de tire et juste après qu’Egon ait hurlé quelque-chose à l’intention de Viktór. Lisa aurait juré qu’Egon s’adressait au lynx. Puis le guerrier revient à la position accroupie à côté d’elle contre le pneu arrière. Ses yeux sont d’un jaune or flamboyant. Elle en a le souffle coupé. Il la regarde, oubliant ce détail qui pourrait la choquer puis s’adresse à Ho-Jin en Hongrois. Elle n’entend que les mots « Két », quelque-chose, « férfi » mais n’y comprend rien. Elle tourne sa tête vers Ho-Jin. Il est debout, contre le capot et tire à n’en plus finir. Elle se retourne vers sa droite où se trouve Egon, mais ce dernier a disparu. En revanche, il y a ses vêtements au sol. Elle entend des feulements et des grognements, des cris de douleur d’homme mais plus de coup de feu. Elle se risque alors de lever la tête au-dessus du véhicule qui la protégeait, voit de l’autre côté deux camionnettes embouteillées l’une contre l’autre, un homme habillé en noir, à terre, la tête enfouie dans la neige et une grande tache noire grisâtre qui se fond dans la neige. Cela lui rappelle les tâches noires qui parsemaient tout l’habitacle de l’avion. Elle voit un lynx qui se jette sur un autre homme en habit noir se débattant avec un autre gros animal poussant des grognements furieux. Elle tente de carrément se relever et voit un grand loup gris qui tient à la gorge son ennemi pendant que le lynx lui tient la jambe entre ses crocs. Et là, elle réalise et crie d’un ton horrifié et surpris : « CHAUSSETTE ?! ». Elle se rassoit brutalement derrière sa cachette de fortune. L’accident, les coups de feu ne rivalisent en rien le choc qu’elle vient d’avoir en comprenant ce qui vient de se passer sous ses yeux. Elle regarde Ho-Jin qui est toujours à sa gauche en train de réarmer son fusil. Elle lui dit alors complètement effarée :

- « Merde… C’est pire que ce que je craignais : j’ai couché avec un chien.

- Un loup… Egon se transforme en grand loup gris de Sibérie. » Répond stoïquement Ho-Jin.

- « Et je l’ai appelé… Chaussette ??

- Ouaip ! Egon a eu beaucoup de noms… Mais celui-ci, on le garde ! » Dit dans un ton enjoué le « jeune » homme à côté d’elle. « Au moins, on a quelque-chose pour le charrier un peu, maintenant. »

- Et toi ? Tu étais… le rat ? »

Mais elle n’aura pas la confirmation d’Ho-Jin car deux hommes nus viennent de se jeter à côté d’elle dont un qui lui tient fermement le poignet. C’est Egon. Elle entend la voix de Viktór :

- « Ho-Jin téléporte nous maintenant à la destination. Plus le temps. Tant pis pour l’avion. »

- Tout de suite mon capitaine ! »

Lisa entend un autre véhicule qui s’approche. Étrangement, l’autre 4x4 en face d’eux qui leur avait bloqué l’accès lors de la marche arrière précipitée de Viktòr, n’a pas bronché de toute l’attaque. C’est uniquement à cet instant que les portes de la voiture s’ouvrent, pendant qu’un autre véhicule freine brutalement derrière eux. De nouveaux bruits de balles pleuvent sur le SUV kaki leur servant de bouclier de fortune. Deux hommes, vêtus de noir eux aussi, sortent de la grosse voiture noire en face d’eux. Ils sont armés et s’apprêtent à tirer. A ce moment précis, Ho-Jin prend le bras de Lisa, le sert fortement et pousse un cri qui montre qu’il est en train de puiser toutes ses forces au fond de son être comme pour lancer un sort particulièrement puissant. Egon lui sert l’autre bras à lui en briser les os. Une détonation puis une lumière brillante qui dure une fraction de seconde éblouie suffisamment la jeune femme pour l’aveugler momentanément. Sous l’onde de choc, elle s’évanouie.

Egon qui serrait l’avant-bras de Lisa pendant la téléportation et s’attend à se retrouver maintenant à Paris, du moins l’espère-t-il, ouvre lentement les yeux. Il lève la tête et ne voit plus le paysage enneigé des plaines de Pannonie mais une multitude d’écrans d’ordinateurs dernier cri. A côté de lui, Viktór qui est lui aussi nu comme un ver, puis Ho-Jin, à genoux, peinant à reprendre son souffle. Il se tient le flanc droit qui suinte d’un liquide rouge.

- « BLEDA !! »

Egon se précipite sur Ho-Jin. Viktór le suit et les deux hommes aident Ho-Jin à se relever et l’assoie sur un des sièges qui se trouvent devant les moniteurs informatiques.

- « Où est-ce que tu nous as amené, Ho-Jin ? » remarque Viktór.

- « Dans le QG parisien… mon bureau…aïe !! »

Egon regarde la blessure et déclare :

- « Lorsqu’on s’est enfuit, un des démons a tiré pendant la téléportation et Bleda a été touché. Mais je ne vois pas la balle à l’intérieur. » Mais en levant la tête, il voit un des nombreux écrans, complètement explosé, arborant un énorme trou en son milieu. « C’est bon. J’ai trouvé la balle. Elle n’a fait que l’érafler mais elle a voyagé avec nous. Bleda, je suis désolé pour ton matériel… »

Il tape sur l’épaule de son ami qui gémit de désespoir en voyant son écran 36 pouces haute définition définitivement hors-service et se relève continuant à chercher du regard l’autre voyageur qui devrait être présent.

- « Lisa ?

Il regarde partout autour de lui. Viktór, fait de même mais Lisa n’est pas là. Ho-Jin gémit :

- « Elle ne résiste pas qu’au feu des démons… elle résiste à TOUS les pouvoirs… Même les nôtres. »

Faisant fi de la blessure d’Ho-Jin, Egon le prend brusquement pas les épaules :

- « RENVOIE-NOUS LÀ-BAS !! MAINTENANT ! »

Ho-Jin gémit de plus bel, montrant à quel point il souffre et est affaibli. Viktór lui sert une des épaules et lui dit :

- « Ho-Jin, arrête ta comédie. Tu n’as qu’une éraflure.

- Mon écran 36 pouces… il est… mort !

- BLEDA ! » C’est Egon, furieux.

Ho-Jin soudainement reprend ses esprits et redevient alerte. Sa douleur s’est évaporée grâce à la voix furibonde d’Egon. Il se dirige précipitamment vers un de ses écrans, tape sur son clavier toute une série de séquences numériques incompréhensibles puis il dit aux deux hommes :

- « Bon, les deux éphèbes, tenez-vous la main. Je ne peux pas vous suivre, j’ai pompé toutes mes ressources physiques pour l’instant. C’est pour cela que je nous ai envoyé chez moi, car je peux utiliser mes programmes en cas de problème. Attention ! Vous repartez vers le point de départ dans 3… 2… 1… MAINTENANT. »

Viktór et Egon se tenant la main, se retrouvent soudainement baignés dans une lumière aveuglante puis disparaissent.

Gabor est dans son trou, il n’en bouge plus, tétanisé. Il n’entend que des slaves de tir, des cris de femme. Il se bouche les oreilles comme il peut. Une voix masculine dit qu’il ne reste plus que deux hommes puis il entend des bruits d’animaux sauvages, des râles humains, un autre véhicule qui s’arrête brutalement, des bruits de portières qui claquent, encore des slaves de balles. Il perçoit alors une vive lumière au-dessus de lui, un autre coup de feu puis plus rien pendant quelques secondes. Ensuite, des bruits de portes, certainement la dernière voiture qui s’était arrêté brusquement, redémarre et s’éloigne. Des bruits de pas, une femme qui pleure et supplie quelque-chose dans une langue qu’il ne comprend pas. On dirait du français. Des gémissements étouffés remplacent les paroles de cette langue étrangère. On doit l’empêcher de parler ou elle a été bâillonnée. Des bruits de pas à nouveau qui se dirige vers le véhicule qui avait fait obstacle lors de la marche arrière du 4X4 vert. Des bruits de portières qui se ferment. Puis d’autres bruits de pas se dirigent vers lui. Gabor a du mal à respirer tant la peur le prend aux tripes. Il se dit que c’est peut-être bientôt la fin. Il lève la tête lentement, malgré la terreur qui l’envahit. Il voit un visage d’homme au-dessus de lui qui le fixe. C’est la première fois qu’il le voit. Ce visage a des traits fins et élégants. Il est agrémenté d’une barbe parfaitement taillée, des cheveux noirs de jais et une peau plutôt matte virant étrangement vers le rouge. Dans ses yeux d’ébène, de légères stries rouges transparaissent.

Le visage au-dessus de lui, lui chuchote alors quelques mots, puis se retire. Gabor ne bouge toujours pas et reste attentif au moindre bruit. Il entend l’homme à la peau rouge s’éloigner, puis un bruit de portière de voiture que l’on ouvre et que l’on referme, un bruit de moteur et le véhicule qui fait une manœuvre et s’éloigne. Il attend. Un flash de lumière suivit d’un autre puis plus rien. Il se relève doucement et se risque à jeter un œil en dehors de sa cachette.

Il voit deux camionnettes noires qui sont encastrées l’une dans l’autre, un 4x4 kaki et plusieurs corps éparpillés au sol. Un grand loup gris et un lynx sont en train de renifler partout dans la zone. Peut-être cherchent-ils de la nourriture ? Étrangement, ils ne s’attardent même pas sur les cadavres. Le loup se dirige alors vers la place où se trouvait la femme qui parlait français, puis suit sa trace jusqu’à l’endroit où se trouvait le dernier véhicule à partir. Le loup s’arrête à cet endroit et regarde la direction où il s’est dirigé. Le lynx le rejoint et regarde dans la même direction. Gabor ne quitte pas les animaux des yeux. Soudain un flash de lumière aveuglant lui fait se couvrir les yeux avec son bras. Quand sa vue revient petit à petit après quelques secondes, il voit à l’endroit exacte où se trouvaient le loup et le lynx deux hommes nus, debout, qui regardent exactement dans la même direction que le faisaient les deux animaux. Même si cela parait complètement fou, il réalise maintenant ce qu’il doit faire : il a un message à transmettre, même s’il ne comprend pas ce que c’est, ni pourquoi. Il se relève, un peu plus conscient et hèle les deux hommes. Ces derniers se retournent vers lui, apparemment surpris. Toujours pétrifié, il prend son courage à deux mains et leur crie : « J’ai un message… de la part d’un type à la peau rouge pour … le loup ? »

Un des hommes, le plus grand se rapproche de Gabor. Le froid n’a pas l’air de le gêner malgré sa nudité. Il s’arrête à quelques centimètres de Gabor et lui demande :

- « Et qu’est-ce qu’il vous a dit ?

- « Euh… Il… il a dit… il m’a juste dit : « Pauline. 1944. »

L’homme blêmit et, au bout de quelques secondes de réflexions, lui répond :

- « Merci. Où sont-ils partis ?

- « Je… je ne sais pas vous savez. J’étais là dans mon trou. Je n’ai rien vu. Juste entendu.

- « Et qu’avez-vous entendu ?

- « Un coup de feu… puis une femme qui parlait français, je crois. Ils l’ont emmené dans une voiture. Ils sont partis dans la direction où les anim… vous regardiez. »

A ce moment-là, l’autre homme, typé asiatique, revient vers eux. Il est maintenant habillé et tient des vêtements qu’il tend à l’homme nu en face de Gabor.

L’homme prend les vêtements, se rhabille. Il se retourne vers Gabor, le remercie et lui dit :

- « S’il vous plait, ne restez pas là. C’est dangereux par ici. »

Il ramasse le vélo qui est toujours par terre, intacte, et le lui tend. Gabor n’en demande pas plus. Il enfourche sa bicyclette et reprend son chemin, sans demander son reste. Les vapeurs de pálinka ont magiquement cessé leurs effets et il se jure que jamais, plus jamais il ne boira d’alcool élaboré par les copains.

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