Chapitre 38 : Les syldraïnes

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De lourds flocons tombent abondamment dans le patio recouvrant la cour intérieure d'un épais tapis blanc. La température est certes glaciale mais pas mordante. Le général Syldraïne avance d'un pas solennel vers la grande salle où l'attendent une délégation des plus grand scientifiques et notables de son peuple. Il est suivi par deux jeunes femmes engoncées dans des vêtements de similicuir noir imperméables leur permettant de mouvoir agilement. L'étrange cortège, arrivé dans le Grand Salon, retire d'un revers de la main la neige blanche tombée sur leurs vêtements qui s'éparpille sur le large tapis de laine protégeant un parquet en bois rare et ciré. Un autre groupe est déjà installé dans les fauteuils et canapés issus d'un vieux mobilier d'antiquaire. Un des hommes, le plus âgé, se lève à l'arrivée de l'officier et de sa cohorte. Il se racle la gorge avant de prendre la parole :

- Bonsoir Jareth.

- Bonsoir Darios.

- Apparemment, la sorcière a été retrouvée et est parmi nous ?

- Ou... Oui Darios. » Jareth s'incline en prononçant ces mots. Il relève la tête, sans laisser entrevoir une seule émotion à son supérieur hiérarchique.

- Bien. Dans deux jours, Les grands prêtres seront tous réunis. Nous pourrons commencer le rituel. »

Le vieil homme se retourne pour se diriger vers son épais fauteuil rembourré pour s'y installer confortablement. Il contemple son officier d'un air de contentement.

« Tu as fait un excellent travail mon cher Jareth. Je savais que l'on pourrait compter sur toi. Mais tu es un petit cachotier ! » Il tend l’index et le bouge de droite à gauche comme on le fait à un enfant qui vient de faire une bêtise. « Tu as maintenu le secret tout ce temps ! Mais nous ne t’en voulons pas. Avoir retrouvé la lignée génétique de la Sorcière et avoir réussi à la contaminer avec nos propres gênes, alors que nous ne sommes pas compatibles avec les humains, cela relève du génie ! Elle sera une arme redoutable contre nos ennemis et enfin, nous pourrons retrouver le contrôle entier de cette planète. » Il s'interrompe pour se pencher vers Jareth et lui murmurer une question qu'il juge embarrassante :

- Est-ce qu'elle est comme nous ? A-t-elle hérité d'un quelconque trait des Syldraïnes ?

- Non. Elle ressemble à n'importe quelle humaine. Sa seule marque de contamination, si je puis dire, c'est le sceau des enchanteresses qu'elle a naturellement sur sa cuisse droite, comme l'avait sa mère et ses aïeules. Mais cette marque a été corrompue : elle est noire. Ceci pourrait donner un indice sur les pouvoirs qu'elle pourrait engendrer.

- Elle fera une formidable Reine ! Elle nous pondra des petits syldraïnes aux pouvoirs magiques ! Et nous pourrions exploiter cela pour les renforcer et créer une armée bien plus redoutable que ces maudits éthériens. » Il se met à rire à gorge déployée. Jareth ne répond pas à cette hilarité déplacée. Il serre le poing mais le relâche aussitôt. La moindre réaction non conventionnelle pourrait le trahir. Darios, reprenant son sérieux demande : « Et, où est notre petit miracle maintenant ? Est-elle ici ?

- Elle se repose. Elle a été très éprouvée par les récents évènements et doit se remettre. Nous faisons en sorte qu'elle ait toutes ses forces pour la cérémonie.

- Fort bien ! Nous aurons tout le temps de faire connaissance au moment venu. Mais je souhaiterais la voir avant, tout de même.

- Bien sûr ! Mais... ce sera pour demain matin. Elle a vraiment besoin d'une bonne nuit de repos. » Effectivement, Lisa est dans son lit, complètement endormie. Un peu trop d’ailleurs. L’instinct paternel de Jareth n'a pas cédé aux caprices de son enfant, sachant qu'ils relevaient plus de l'inconscience que d'autre chose. Il s'est permis de l'assommer alors qu'elle attendait que son père lui ouvre la porte.

Mais bientôt, son supérieur hiérarchique, d’un geste de la main condescendant, l’invite à quitter les lieux. Ils doivent parler affaire qui ne regarde que les grands pontes des Syldraïnes. L’officier Jareth ne se fait pas prier. Les réunions des élites est toujours très inconfortable et peut présager de gros problèmes qui vous tombent dessus sans prévenir, juste comme ça, par caprice. Le syldraïne applique une règle qui lui est bien propre, et spécifiquement avec certains individus de son peuple : ne jamais se mettre dans la ligne de mire. Jareth, accompagné de son escorte, se rend vers ses appartements situés de l’autre côté du manoir. Il en profite pour s’éclipser des deux démones et les laisser à leur poste de sentinelles. Il se dirige vers son bureau où il doit récupérer quelques bandages et autres matériels médicales dans le cas où il serait allé un peu trop fort pour calmer sa fille.

***

Dans un gémissement sourd, Lisa se réveille et remue doucement la tête qui la lance sur un des côtés. Allongée sur le ventre, elle tente de se relever. Mais la pièce est à nouveau dans le noir absolu. Merde… Ils font chier ! Ils auraient pu me laisser la lumière. Qu’importe, elle a tout de même réussi à mémoriser la structure de la pièce, ce qui n’est pas très compliqué lorsqu’il s’agit d’une cellule d’à peine dix mètres carrés. Elle se relève lentement, étant prise de légers vertiges, puis ayant réussi l’exploit à tenir debout à côté du lit sur lequel elle était affalée, elle avance, à tâtons, dans la petite chambre, à la recherche du chambranle de la porte. Arrivée à destination, du bout des doigts, elle trouve la poignée qu’elle tourne pour ouvrir. Évidemment, c’est fermé à clef. De dépit, elle donne un violent coup de pied au mur, ce qui la paralyse pendant une bonne minute. Elle lance des jurons, comme si cela allait atténuer la douleur. Elle recherche la texture du bois, pour s’assurer qu’elle ne va pas se massacrer les poignets en frappant au mauvais endroit et cogne le plus fort qu’elle peut sur la porte en hurlant de toutes ses forces. Aucune réponse. Mais Lisa ne lâche pas le morceau et continue à s’époumoner jusqu’à tomber à bout de souffle. Elle s’arrête, fatiguée de faire du grabuge pour rien. Personne ne viendrait la délivrer de toute façon. Elle repasse alors dans sa tête les révélations que lui a fait son père. Elle, Ahona, Reine des enchanteresses. De nouvelles images furtives lui viennent à l’esprit. Peut-être, de vieux souvenirs enfouis s’éveillent peu à peu en elle, tel un feu dont elle ignore la nature, qui la gargarisent. Elle se sent de plus en plus forte. Si elle est liée aux enchanteresses, elle a forcément un ou plusieurs pouvoirs. Elle doit être capable de faire sauter cette porte d’une manière ou d’une autre ! Lisa se place devant l’issue, dans le noir. Elle se tient droite, les bras écartés et les yeux fermés. N’écoutant que son instinct, elle visualise ce fichu obstacle qui explose uniquement par la force de sa pensée. Plus elle se focalise sur cette image, plus elle sent une énergie qui circule et pénètre chaque cellule de son corps. Bientôt, le feu naissant se développe et devient de plus en plus palpable. Elle continue cet exercice d’introspection, concentre ses pensées vers la porte en bois. Les particules d’énergie qu’elle imagine deviennent de plus en plus tangibles et se concentrent sur la cible. Elle tend les mains vers l’issue, dirige mentalement cette énergie qui se densifie encore et encore pour ne former qu’un faisceau de plus en plus fort. Et soudain…

KAAABBOOUUUM !!!!!!

La voici projetée en arrière, s’écrasant avec une force fulgurante contre le mur derrière elle et la fameuse porte qu’elle se prend en pleine figure. Elle se retrouve prise en sandwich entre son lit, sur lequel elle glisse lamentablement, et entre l’obstacle en bois lourd qu’elle tentait de détruire. Elle a toujours les bras en croix. Inconsciente, elle ne saura jamais si c’est elle qui a créé cet exploit ou si c’est une bombe venant de l’extérieur qui vient de pulvériser le grand manoir.

***

Jareth relève doucement la tête. Il est étalé de tout son long sur le sol de son bureau. Les acouphènes lui vrillent le cerveau. Il n’entend pas le déferlement de pas parmi les décombres de la vieille demeure, ainsi que les gémissements des quelques survivants, ni les coups de feu qui font définitivement taire ceux qui n’auraient pas péri dans l’attentat. Il parvient à entrouvrir les yeux et distingue des syldraïnes armés jusqu’aux dents qui se faufilent dans chaque coin de la demeure. Ils cherchent quelque-chose. Ou quelqu’un. Et ils ne sont pas de son clan. L’image de sa fille lui revient en force. Ils vont l’éliminer et il doit la mettre en sécurité. Il espère juste qu’elle dort encore. Une crise d’hystérie qu’elle semble utiliser un peu trop facilement, ne ferait que diriger les ennemis vers elle. Il se lève tant bien que mal et réussi à se glisser entre les restes des meubles éparpillés un peu partout. Discrètement, il arrive vers les escaliers qui mènent au sous-sol. Cependant l’accès est bloqué par les décombres. Jareth se concentre, la main ouverte, vers les obstacles. L’iris de ses yeux prend une lueur non pas rouge, comme ses frères, mais mordoré. Le bloc de béton qui bloque le passage, se met à se déplacer lentement, sans bruit, jusqu’à ce qu’un passage se dessine et laisse passer le syldraïne. Après s’être assuré que plus personne ne se trouve dans les environs, il pénètre vers le nouvel accès et prend soin, de la même façon qu’il avait dégagé les escaliers, de refermer l’issue derrière lui. Il dévale les marches pour se trouver devant la cellule où est enfermée Lisa. Mais la porte n’est plus là. Il se précipite dans la pièce. Le battant en bois est au sol, brisé en deux, à côté du lit. Lisa est introuvable. Elle a disparue. Encore.

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