Chapitre 2. Ile.

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On est dimanche, et me voilà à nouveau devant mes brouillons de dissertation sur Molière, au programme de ce semestre qui touche bientôt à sa fin. Après avoir couru en début d'après-midi pour profiter de la faible chaleur de ce soleil de décembre, il faut que je me remette au travail. Pourtant, je ne cesse de jeter des coups d'oeil à mon téléphone espérant un message de mes deux seuls amis, pour avoir une bonne raison de me soustraire à cet exercice infâme. Je ne dis pas que je n'aime pas Molière, je dis simplement qu'on l'a trop vu et revu, et que les professeurs sont d'autant plus pointilleux et sévères sur les notes pour ces mêmes raisons. Je pousse un soupir, lâche mon crayon et décide de relire l'oeuvre au programme, Le Bourgeois Gentilhomme, qui sait, j'aurais peut-être une inspiration nouvelle. Je m'efforce de suivre et me force à prendre des notes, je voulais cette fac, il faut que j'assume et que je montre à mes parents qu'ils n'ont pas à regretter de m'avoir aidé pour mon logement et de me faire confiance pour cette voie.

Au bout d'une heure, je repose le livre et m'étire. Je sors de ma chambre et traverse le mini salon en direction de la cuisine pour y chercher une pomme. Je suis étonné de ne pas voir mon coloc avachi dans le canapé en train de jouer à la console, mais tant mieux pour lui s'il a trouvé mieux a faire. J'aime les jeux videos, mais certainement pas au point de mettre mes études en péril. Je ne sais pas comment ce gars a fait pour avoir déjà validé une année. Ce n'est pas moi qui irait lui poser la question, en tout cas. On ne se voit pas beaucoup, mais on s'est bien organisés dès le début pour un minimum d'entente. Chacun sa vie, tant que l'autre ne salit rien, il n'y a pas de problème. On se relaie pour le ménage et autres affaires, une semaine sur deux et pour les repas, je cuisine dans mon coin pendant qu'il se commande à manger tous les soirs, sauf le dimanche où il m'aide à faire à manger pour nous deux. On ne se parle pas plus que ça et c'est loin de me déplaire.

Enzo et Yahn, mes meilleurs amis disent qu'on ressemble à un couple divorcé qui vit encore dans le même espace et je trouve ça plutôt drôle. La vérité c'est que je suis plutôt renfermé, dans ma bulle ou "sur mon île" pour reprendre encore les mots de mes amis, et qu'une vague entente cordiale avec mon colocataire me va très bien, je sais à quel point ça pourrait être pire ! Je retourne dans ma chambre avec ma pomme déjà entamée sur le trajet et ne peut m'empêcher de faire une blague à mes amis sur l'absence de mon coloc à son lieu fétiche.

Ils rendent ma vie tellement plus agréable, surtout depuis les quatres mois qui ont suivi notre entrée à l'université, eux en Histoire, et moi en Lettres Modernes. Avec seulement un bâtiment d'écart, ils rendent plus vivable la solitude et ma timidité. J'aurais jamais tenu si longtemps sans eux, j'aime les cours, mais je déteste le système scolaire. J'ai toujours appréhendé les "Stanislas viens au tableau" et les "Monsieur Oustinov, il faut que vous participiez plus", que ce soit en face à face ou dans les bulletins. Le fait que je sois réservé et mes origines russes que je tiens de mes grands-parents et de mon père n'ont pas trop aidé au collège quand on aborde les guerres et les évènements du passé. L'avantage de la fac et des grandes promotions, c'est qu'il y a plus de cours magistraux et moins de cours où l'on va me demander de participer, surtout quand il y a des volontaires pour le faire à ta place. Je n'ai pas d'autres amis, et même si j'ai pu nouer des contacts depuis la rentrée, c'est surtout pour les travaux de groupes.

Ça me fait penser à Héloïse, qui est dans la plupart de mes cours et qui essaye de me parler en cours et travailler avec moi. J'accepte petit à petit, uniquement parce que je sais qu'elle n'est pas une profiteuse à attendre que les autres travaillent pour elle. Enfin, je sais que j'accepte parce qu'elle est l'une des meilleures amies de Camille... Ah, Camille !  On ne se connaît pas, mais elle aussi fait partie de ce qui rend l'université plus agréable à mes yeux. Je repense à cette mi-septembre, quand on pouvait encore manger dehors le midi avec les gars. Ce jour où je l'ai vue pour la première fois, et pour rien au monde j'aurais loupé ça.

Un groupe six filles passaient, leurs sandwichs dans les mains en discutant, et au milieu, une fille bien foutue, du genre sportive, de beaux cheveux longs... Je la regardais, et mes amis ont dit que ça ressemblait à un groupe de filles populaires, le sous-entendu étant qu'elles sont inaccessibles. Entre nos deux groupes, il y en avait un troisième, quelques garçons qui ont déjà fait du zèle en quinze jours de cours, un certain Arthur s'est mis à siffler les filles et à appellé celle du milieu "Cam". Là où plein de filles auraient continué de marcher l'air de rien, celle-ci à écarté ses amies et s'est plantée face au gars, ses yeux assombris par la colère et lui a demandé d'un ton méprisant :

— C'est moi que tu siffles comme ça ?

— Ouais, tu sais que t'es bonne ? Tu me files ton num ?

Pour toute réponse, il s'est mangé un direct du droit qui l'a foutu par terre avec le pif en sang. Il était en train de geindre pitoyablement quand la fameuse Cam et ses amies sont parties poursuivre leur pause déjeuner.

Plus personne n'ose siffler qui que ce soit depuis cet incident, et je n'oserai pas aller lui parler. Je suis resté ébahi par cette fille. Et depuis je ne peux pas m'empêcher de la regarder quand elle est dans le coin, ce qui est plutôt régulier, puisqu'elle est dans le même bâtiment que moi, en Lettres Classiques. 

Même si elle a l'air populaire, elle semble sérieuse et travailleuse. A cotoyer un peu son amie Héloïse en classe, je me dis que je pourrais essayer d'en savoir plus, mais ce n'est pas trop mon truc de nouer des liens et j'ai trop peur d'être maladroit et grillé dès le début.

Toujours est-il que pendant les pauses dans les couloirs et que je m'adonne au passe-temps de l'écriture, j'ai l'impression qu'elle et ses amies m'observent. Et pendant mes sessions de course à pied en dehors de cours, je sais que je l'ai déjà croisée, parfois elle courait aussi, ou se rendait à une grosse salle de sport ou encore accompagné d'un mec de notre âge à qui elle faisait des accolades. 

Je me souviens avoir été en quelque sorte déçu et être rentré chez moi sans avoir fini ma course. Je ricanne tout seul en me disant que c'est vraiment bête d'avoir imaginé un instant qu'une fille comme elle pourrait être célibataire et surtout d'avoir réagi comme ça. Je me relève et retourne dans la cuisine jeter les restes de ma pomme dans la poubelles des déchets verts, et je secoue la tête, ce ne sont pas ces illusions d'attentions de sa part qui vont me faire avancer cette disertation ni faire à manger pour ce soir. Il faut que je me bouge un peu et que j'arrête de penser à Camille... Je crois que je rêve trop. 

A suivre.

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