Le quartier est piégé dans le temps. Il y a la ville qui s’étend dans toutes les directions comme un grand squelette rempli de chair mouvante. Et au niveau du cœur, des rues étroites, pavé. Les bâtiments sont en bois, les tuiles sont sculptées. On se fait cerner par des lampadaires tout droit sortis de l’époque edo. Les magasins alentour sont clos par des portes coulissantes.
Un taxi japonais me dépasse. À l’intérieur, des Maikos, de jeunes apprentis Geisha. Une à l’avant paraît plus vieille. Les trois autres à l’arrière se remaquillent adroitement. Elles ont le visage blanc et les cheveux fournis de bijoux colorés. Le conducteur reste concentré sur la route, il esquive les touristes intrigués et prend soin de ne pas taper la voiture de devant. Les rues sont étroites, si le type tourne trop vite le volant, c’est une pièce d’histoire et un groupe d’Européens qu’il détruit.
Kyoto est magnifique. Il suffit de s’y balader pour comprendre cette phrase terrible : un mélange de tradition et de modernité. J’aimerais pouvoir dire que le mélange est réussi. Mais ce serait mentir. Le raz de marée de Caucasiens rend la ville aussi accueillante qu’un musée populaire à toit ouvert. Les restaurants gonflent leur prix et sont pris d’assaut d’une queue qui annonce la couleur de l’attente insoutenable sous le soleil de plomb. Les appareils photo ne cessent de mitrailler. Les visages sourient le temps d’une photo pour les réseaux sociaux. Admirer un temple revient à contempler une foule d’humains qui ne prenne pas la peine de lever la tête.
Après tout à quoi je m’attendais en me rendant ici ? Le château de Versailles privatiser ? La muraille de Chine désertée ? Machu Picchu impossible à gravir pour la majorité de la population mondiale ?
J’appartiens à cette foule, je suis un touriste parmi des milliers d’autre. Une goutte dans le raz de marée. Je participe à la noyade de Kyoto.