Chapitre 11

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 Alors que, depuis deux mois, la charge de travail était devenue plus légère, ils n'avaient désormais plus besoin de faire des nuits quasiment blanches et prendre le thé ensemble était devenu leur petit rituel quotidien. Ils s'installaient tranquillement autour d'une tasse pour parler de tout et de rien, apprenant ainsi à mieux se connaître. Il avait découvert qu'elle aimait monter à cheval. Mais ses montures ne semblaient pas l'apprécier en retour car à chacune de ses tentatives, des mésaventures toutes plus hilarantes les unes que les autres lui étaient arrivées.

 La première fois, sa monture s'était prise de flatulence durant tout son trajet lui occasionnant l'une de ses plus grandes hontes. La seconde, il avait rué près d'une étendue d'eau l'envoyant valser dans un « plouf » retentissant. Elle s'était retrouvée trempée de la tête aux pieds. Lors de sa troisième et dernière tentative, son cheval avait mangé tout ce qu'il réussissait à atteindre. Ce jour-là elle avait dû débourser une petite fortune à rembourser les passants et commerçants victimes de sa gourmandise.

 Après quoi, elle s'était jurée de ne plus jamais remonter sur le dos d'une bête. Sa promesse avait été de courte durée puisqu'elle avait dû se servir d'un chameau dans l'intention de rejoindre la ville voisine à la demande de son père. Il lui avait fallu le triple du temps nécessaire pour accomplir le trajet. Sa monture n'avait pas été plus réceptive que son homologue équestre.

 Jamal avait beaucoup ri à l'entente de ses petites anecdotes chargées d'humour qu'elle lui avait raconté, n'hésitant pas à se tourner en dérision afin de marquer le ridicule de la situation.

 En échange, il lui avait parlé de sa vie au palais. De son enfance difficile au contact de ses parents imbus de pouvoir qui ne cherchaient qu'à satisfaire leur égoïsme personnel, prêts à tout sacrifier sur leur passage. Il lui avait raconté combien cela avait été dur pour lui de voir le royaume tomber en ruine à cause de leur incapacité à gouverner. Il avait décidé qu'il consacrerait l'intégralité de son règne à réparer les erreurs qu'ils avaient commises.

 Il s'était acharné sur l'apprentissage de ses études, faisant la joie de ses professeurs. Il avait beaucoup voyagé à travers l'ensemble du royaume afin de comprendre les problématiques auxquelles son peuple était confronté au quotidien. Il lui raconta ses périples, lui détaillant les spécialités de chaque région, lui décrivant les paysages qu'il avait vus et l'accueil qu'il avait reçu à chacune de ses visites.

 Elle l'avait écouté avec attention, buvant ses paroles et laissant libre cours à son esprit, qui transformait ses mots en images, s'imaginant près de lui à chacun de ses récits. Elle était triste de l'enfance qu'il avait eue mais ne pouvait s'empêcher d'en être égoïstement satisfaite. Elle n'était pas sûre qu'il serait devenu l'homme bon et sensible qu'il était aujourd'hui, s'il avait été choyé à l'intérieur d'un palais, une cuillère en argent dans la bouche.

 À chaque fois que l'un d'eux s'ouvrait, permettant à l'autre d'en apprendre plus sur sa vie passée, une nouvelle pierre venait se poser sur les fondations de leur récente amitié. Chaque anecdote était un pas de plus renforçant la solidité de leur relation. Ils en étaient venu à attendre ces moments avec une grande impatience.

 Ce soir là encore, ils s'étaient retrouvés. Il avait fini tout son travail en cours alors qu'elle était concentrée sur un projet qui nécessitait toute son attention. Elle était en train de mettre en place la réalisation des plans de la première clinique qu'elle souhaitait accessible à tous. Elle devait réfléchir à la configuration des pièces et leurs nombres qu'elle soumettrait ensuite à un architecte qui assurerait la création des plans. Elle devait aussi faire l'inventaire des accessoires et matériaux qui lui seront nécessaire à la bonne réalisation des soins. Elle en avait encore pour un moment mais Jamal ne s'en formalisa pas.

 Il aimait la voir concentrée, s'échinant à trouver des solutions à de multiple problèmes. Ses longs cheveux noirs relevés en un chignon désordonné, dont plusieurs mèches dépassaient, ne la rendant que plus belle. Elle se mordait souvent la lèvre ou encore se tirait les cheveux quand elle était contrariée. Elle rongeait son stylet, qu'elle avait fabriqué avec une tige en bois contenant une réserve d'encre et une mine de fer au bout, dont elle se servait pour écrire. Elle s'asseyait toujours par terre, sur le tapis devant la cheminée profitant de la chaleur et de la clarté que lui procurait le feu crépitant.

 Il se leva et partit chercher la boîte de thé qu'elle gardait précieusement à l'intérieur de sa chambre et qu'elle avait oublié d'emporter. Elle avait pris soin d'en stocker un peu afin de ne plus déranger Aïcha qui se réveillait à chacune de leur expédition au cœur de sa cuisine. Elle était donc chargée de les fournir en thé et lui en gâteaux. Il se saisit de la boîte posée sur sa table de nuit et retourna rejoindre sa belle qui n'avait toujours pas bougé, n'ayant même pas remarqué sa disparition, tant elle était concentrée sur ses papiers étalés devant elle. Il remplit la bouilloire d'eau et il la suspendit au crochet de la cheminée, prévu à cet effet, au-dessus des flammes.

 Une fois l'ébullition atteinte, il la versa dans la théière qui contenait les feuilles aromatisées. Il y avait de la mente, de la bergamote avec un soupçon de cannelle. Quand tout fut infusé, il retira la chaussette qui avait servi à contenir les plantes, et ajouta deux cuillères de sucre. Il remua l'infusion et remplit deux tasses. Il en prit une et lui tendit l'autre. Elle l'attrapa et après avoir soufflé dessus pour refroidir le liquide à l'intérieur, elle la but d'une traite. Elle la lui rendit et se remit à son travail après l'avoir remercié.

 Sa réaction le fit sourire et il se plaça accroupi devant elle, ses fesses posées sur ses talons, ses deux mains enserrant le récipient dont la chaleur de la boisson réchauffait l'ensemble de son corps, lui procurant une sensation de bien être. Il aimait ce qu'il voyait. La familiarité de la situation lui fit l'effet d'un baume au cœur. Ce dernier palpitait à vive allure sous l'intensité de son désir.

 Il souffla sur le liquide entre ses mains souhaitant éviter de se brûler, quand il la vit soudain perdre légèrement l'équilibre, son corps partant en arrière. Elle se rattrapa in-extremis par sa main gauche qu'elle avait posé derrière elle afin de retrouver sa stabilité. Il fronça les sourcils devant la situation et la vit se redresser immédiatement avant de renverser, d'un geste brusque, sa tasse encore pleine qu'il tenait toujours fermement.

 Cette dernière se renversa, déversant son contenu sur le sol en même temps qu'elle tombait à ses pieds. Leïla la suivit de près en s'écroulant dans un bruit sourd sur la surface du tapis où elle était assise quelques secondes plus tôt. Sa dernière pensée lui fut adressée, elle espérait l'avoir interrompu avant qu'il n'en ait bu suffisamment pour tomber malade à son tour.

 La panique le saisit lorsqu'il la vit inanimée, allongée devant la cheminée. Il hurla le nom de Zayed tout en essayant vainement de la réanimer. Il réitéra son appel jusqu'à le voir apparaître alors qu'elle devenait blanche comme la mort, sa respiration n'étant plus qu'un mince filet d'air et son torse se soulevait avec difficulté, tant et si bien qu'il craignait qu'elle finisse par s'asphyxier.

 Zayed l'avait entendu l'appeler et inquiet par le ton affolé de sa voix, il s'était dépêché de revêtir un pantalon et une chemise de lin qu'il n'avait pas pris le temps de boutonner. Ses cheveux blonds en bataille, ses yeux bleus à l'affût de la moindre menace autour de celui qu'il avait juré de servir et de protéger au péril de sa vie. Il fut rassuré de ne rien détecter mais lorsqu'il vit la jeune femme inerte contre son torse, le teint pâle, les traits crispés par la douleur, son soulagement fut de courte durée.

 « Jamal, que se passe-t-il ?

 — Elle a bu du thé empoisonné. Fais venir un médecin immédiatement et ordonne qu'on fasse analyser le thé. »

 Il la tenait contre lui avec l'infime espoir que son contact soit capable de lui transmettre un peu de son fluide vital. Zayed le détailla de la tête aux pieds à la recherche du moindre signe de faiblesse, inquiet qu'il en ait également consommé.

 « Et toi ?

 — Elle a renversé ma tasse avant que je n'aie eu le temps d'en boire. »

 Il fut heureux de l'entendre et partit faire ce que l'autre lui avait ordonné, sans perdre une seconde. Pendant ce temps, Jamal porta Leïla, toujours inconsciente et inerte, contre son cœur et l'emmena dans sa chambre. Quand il arriva au sérail, il n'entendit pas un bruit, tout le monde devait déjà dormir. Il en conclut que la personne qui l'avait empoisonnée, avait mis l'arme à l'intérieur de la boîte de thé mais ignorait quand il prendrait effet. Néanmoins, au vu de leur consommation quasi quotidienne, il pouvait judicieusement soupçonner qu'il avait été mis dedans au plus tôt le matin même étant donné qu'ils en avaient bu la veille. Il ouvrit la porte d'un geste d'épaule et pénétra dans la chambre pêche.

 Chacune avait un fruit pour modèle dont les fleurs de l'arbre étaient sculptées sur toutes les surfaces en bois composant la pièce. Il adorait les pêches et c'est à cause de ça qu'il lui avait choisi celle-ci. Il la posa sur le drap bleu, ayant pris soin de tirer les couvertures orange jusqu'au pied du lit. Il attrapa sa main gauche, devenu froide, et la serra très fort contre son torse, espérant ainsi lui transmettre un peu de sa force qui l'aiderait à s'en remettre. Il avait envie de pleurer mais s'y refusait, il ne devait pas craquer, pas tant qu'il ne saurait quelle était l'étendue des dégâts. Il respira profondément son odeur afin de ravaler son chagrin qui lui serrait la gorge.

 Des pas précipités parvinrent à ses oreille, et quelques secondes plus tard, déboulaient son bras droit accompagné par le médecin. Ce dernier s'était également fait tirer du lit. Il avait les cheveux bruns en bataille, ses yeux bleus étaient à demi-éveillés, sa blouse blanche était mal boutonnée, et il portait sa sacoche, qu'il n'avait pas eu le temps de fermer, contre son cœur. Il donna ses ordres à peine avait-il passé le pas de la porte. La situation était critique, chaque seconde comptait.

 « Il faut qu'elle vomisse, sire ! »

 Il se précipita vers sa nouvelle patiente et tenta de lui faire ingérer une grande quantité de liquide afin de provoquer son réflexe nauséeux. La technique, bien que barbare, eu le mérite de fonctionner. Il lui avait ensuite enfoncé un tuyau par la bouche jusqu'à atteindre son estomac. Il y avait versé, une mixture à base de charbon et d'eau, à l'aide d'un entonnoir pratiquant ainsi un lavage d'estomac. L'intégralité de son contenu remonta le long du tuyau et ressorti par l'entrée. Les spasmes occasionnés lui firent reprendre immédiatement connaissance en toussant et crachant, paniquée par la présence du tube à l'intérieur de son corps. Le médecin lui retira le tout et lui expliqua ce qu'il s'était passé. Elle n'avait cure de ses explications, une seule chose emplissait son esprit.

 « Le roi ... Où est le roi ? »

 Elle était encore trop faible mais tentait de se relever souhaitant partir à sa recherche. Jamal apparut à ce moment là au-dessus d'elle, la mine inquiète.

 « Qu'y a-t-il ? Vous avez mal quelque part ?

 — Vous ... Vous allez bien, je suis ... Soulagée.

 Elle perdit à nouveau connaissance, trop affaiblie par les toxines encore présentes au sein de son organisme. Il regarda le médecin avec inquiétude, quémandant une réponse muette à ce qu'il venait de se passer.

 « C'est normal, elle est simplement encore très faible à cause du poison. La nuit sera décisive. Il faudra la veiller.

 — Je m'en charge personnellement. »

 Il avait affirmé ça d'une voix forte qui n'admettait aucun refus.

 « Très bien, alors assurez-vous qu'elle boive beaucoup d'eau et placez des linges frais sur son front si la fièvre devient trop forte. N'hésitez pas à lui faire prendre des bains, cela l'aidera aussi.

 — Bien docteur.

 — Faites-moi appeler s'il y a le moindre problème.

 — Comptez sur moi ! »

 Il le regarda partir, accompagné de Zayed, qui le reconduisit jusqu'à ses appartements. Elle était toujours trop pâle et des cernes violettes encerclaient ses yeux. Elle gémissait et son sommeil était agité. Il imbiba un linge d'eau fraîche et lui tamponna le visage. Il était brûlant de fièvre. Il décida de la dévêtir entièrement outrepassant sa pudeur et la déposa délicatement dans le bain.

 Ce dernier était maintenu à la bonne température grâce à des conduits intégrés aux fondations au cœur desquels circulaient de l'eau bouillante, chauffée à différents points du château, qui assurait le chauffage de l'ensemble de la bâtisse et des bassins. C'était un circuit fermé où l'eau était donc réutilisée. Il suffisait de la changer une fois de temps en temps lors de la purge du dispositif afin d'éviter le dépôt d'algues ou de calcaire qui viendrait altérer le bon fonctionnement de l'ensemble.

 Dès que l'eau l'effleura, elle frissonna légèrement mais ne se réveilla pas. Il l'adossa contre le rebord incurvé du bassin et entreprit de lui laver le corps et les cheveux avec une douceur qu'il ne se connaissait pas. L'odeur des savons et le contact de l'eau tiède semblait l'apaiser car sa respiration se fit plus calme. À moins que cela soit du fait des massages qu'il pratiquait en la nettoyant. Il lui caressa sa douce chevelure et l'embrassa sur les lèvres. Il pria, avec la ferveur du désespoir, que sa femme passe la nuit. Oui sa femme, pensa-t-il lorsqu'il réalisa avoir employé ce terme dans ses prières.

 Il avait fini par la considérer comme telle au fil des mois passés à ses côtés. Et il ne pouvait imaginer meilleure épouse. Il l'aimait profondément mais ignorait toujours si ses sentiments étaient partagés. Elle maintenait qu'elle souhaitait l'épouser par soucis du bien-être du peuple mais elle ne lui avait jamais parlé d'amour. Cette constatation agissait comme un grain de sable perturbant les rouages de son bonheur. Il espérait qu'il réussirait à gagner son cœur avant la fin du concours. Il savait avoir acquis son amitié et il espérait qu'il saurait s'en contenter s'il parvenait à l'épouser.

 « Ne meurs pas, eazizati*. J'ai tant besoin de toi. »

 Il lui souffla ses paroles au creux de son oreille espérant qu'elle l'entende et qu'elle se réveille enfin. Il l'enveloppa d'une serviette moelleuse et la transporta jusqu'à sa chambre. Il la déposa dans un fauteuil le temps d'appeler des servantes qui arrivèrent pour changer les draps de son lit, souillés par le vomi. Une fois la tâche accomplie, il l'y déposa et la laissa nue afin qu'elle n'attrape pas froid à cause de sa transpiration. Il la recouvrit simplement de son drap qui la séparait de sa couette pleine de plume. Il la laissa seule le temps de revêtir son pantalon qu'il avait abandonné sur le sol de la salle de bain.

 La chaleur du vent de l'été diffusait une douce brise réchauffant la pièce et il décida de ne pas remettre sa chemise au cas où il devait à nouveau lui faire prendre un bain. Il s'assied à son chevet sur un grand fauteuil de couleur pêche et attendit que la fièvre passe. Il lui donna régulièrement à boire et lui épongeait son front perlé de sueur.

 Lorsque l'aube pointa, sa fièvre tomba enfin. Il s'allongea près d'elle, toujours torse nu, gardant seulement son pantalon. Il plaça son bras sous sa tête et la serra contre lui. Il souffrait de la voir aussi faible et immobile au milieu de son lit. Sa fougue et ses réparties lui manquaient tellement. Rassuré d'entendre son souffle régulier contre sa poitrine, il finit toutefois par s'endormir, tout en restant alerte face au moindre de ses mouvements.

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*Eazizati : Ma chérie (my dear)

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