Chapitre 10

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 La fin du premier mois accueillit la première épreuve. C'était un examen théorique où une situation de crise leur avait été exposée. On leur avait demandé d'expliquer ce qu'elles feraient si elles étaient, un jour, confrontées à une attaque de rebelles alors qu'elles se pensaient en sécurité à l'intérieur du château. Toutes avaient répondu qu'elles devaient obéir au protocole de sécurité mis en place, à savoir, se laisser guider calmement vers les refuges sûrs aménagés au sein du château et attendre que l'attaque soit maîtrisée. Mais Leïla avait répondu différemment.

 « Je me travesti en servante et je m'assure que tous ceux qui ne savent pas se battre soient mis en sécurité, ensuite, je me bats au côté du roi pour repousser nos opposants. Et si ce sont réellement des rebelles, je suggère de les emprisonner et d'écouter ce qu'ils ont à dire. »

 Elle s'était ensuite tue et avait regardé chaque membre de l'assemblée un à un, dans les yeux, se tenant droite devant son public, sans cillé une seule fois devant eux. Beaucoup avaient cherché à la déstabiliser, mais elle avait tenu bon, se rappelant sans cesse pourquoi elle était là et surtout pourquoi elle devait à tout prix remporter la compétition.

 Jamal s'était attendu à une réponse de ce genre venant de sa part. Il avait dû prendre sur lui pour ne pas sourire et maintenir un visage impassible. Il était néanmoins curieux de comprendre pourquoi elle souhaitait parlementer avec l'ennemi.

 « Pourquoi pensez-vous que nous devrions les écouter ? Ce ne sont que des rebelles après tout, méritent-t-ils de vivre et qu'on entende ce qu'ils ont à dire ? D'autant que la plupart ne possèdent aucune éducation, qu'auraient-ils à nous apprendre que nous ne sachions déjà ? »

 Elle avait compris qu'il la testait. Il attendait qu'elle aille au bout de son raisonnement et qu'elle développe ses arguments. Elle s'était de nouveau adressée à l'assemblée, d'une voix forte et maîtrisée, brisant le silence qui s'y était installé.

 « Un gouvernement qui ne se remet jamais en question devient incapable d'évoluer et finit par sombrer dans l'obsolescence. Si des rebelles existent, c'est que la politique proposée ne convient pas à tout le monde, et de ce fait, étant tous humains et donc imparfaits, nous nous devons de les écouter afin de savoir si ce qu'ils proposent pourrait être envisageable et surtout bénéfique au bon fonctionnement du royaume. Ils ont beau être, comme vous dîtes, dépourvus d'éducation, ils n'en restent pas moins intelligents. De plus, ce n'est pas dans les livres que vous comprendrez la dure réalité du terrain à laquelle ils sont sans cesse confrontés. Comme chacun le sait, il y a la théorie et il y a la pratique. Les dirigeants connaissent la théorie, le peuple la pratique. Malheureusement, trop souvent, les deux ne concordent pas. Ne dit-on pas que c'est toujours par la pratique que se vérifie la théorie ? De ce fait, il me semble capital d'écouter ce que la populace a à nous dire afin d'entrer dans un processus de perfection et d'amélioration au lieu de sombrer dans l'orgueil et la désuétude. »

 Sa réponse avait provoqué une cacophonie au sein des ministres. Tout le monde s'était mis à parler en même temps, exprimant les uns leur désaccord, les autres leur avis. Elle n'avait pas bronché et avait continué de se tenir fièrement devant eux.

 Jamal avait admiré son calme apparent et la pertinence de sa réponse. Lassé d'entendre leurs chamailleries, il avait donné l'ordre de se taire. Sa voix avait claqué au milieu du vacarme ambiant, obtenant rapidement satisfaction. Quand le calme s'était fait, l'un d'entre eux avait demandé à prendre la parole. Le roi avait accédé à sa requête.

 « Enfin, voyons ! Ces bougres sont tout juste bons à nous servir, comment diable ces pauvres gens qui n'ont jamais utilisé leur cerveau, pourraient-ils nous dire ce que nous devrions faire ? »

 Sa répartie avait provoqua l'hilarité de l'assemblé, faisant exulter celui qui avait voulu se moquer d'elle. Néanmoins, Leïla n'était pas en reste et lui répondit avec assurance sans se démonter.

 « Laissez-moi reformuler votre question afin que je sois sûre d'avoir bien compris vos propos. Pour vous, seuls les nobles acquièrent une intelligence et les « bougres », comme vous les avez appelés, naissent sans la capacité de raisonner et ne sont bons qu'à exécuter des tâches qu'on leur a confiées ?

 — Exactement, mademoiselle, c'est ainsi que fonctionnent les choses !

 Il arborait un sourire, fier de lui, encouragé par certains de ses compatriotes.

 « C'est un point de vue qui se défend. »

 Elle avait placé ses mains derrière son dos et se tenait campée fermement sur ses deux pieds, le menton relevé, les défiant de son regard acéré. Jamal la trouvait magnifique. Elle s'était positionné en défenseur du peuple, telle une guerrière prête à rabattre le caquet des idiots qui l'entouraient.

 « Maintenant, j'aimerais que vous m'expliquiez comment cultive-t-on la terre ? »

 Le ministre avait jubilé, persuadé d'avoir enfin trouvé le moyen de la rabaisser et de faire asseoir sa supériorité.

 « Il suffit de faire un trou dans la terre, de planter la graine et d'arroser, pas besoin d'avoir fait d'études pour savoir ceci. »

 Quelques-uns avaient secoué la tête, désappointés de l'explication que leur collègue avait fourni. Mais la plupart avaient hoché la tête pour approuver ses dires et s'étaient moqué d'elle. Elle leur avait lancé un regard ironique, un sourire s'était dessiné à la commissure de ses lèvres. Elle s'était attendu à ce genre de réponse et avait été ravie qu'il soit si facilement tombé en plein dans son piège. Elle reporta son attention sur l'ensemble des personnes présentes et leur expliqua son point de vue.

 « Sachez, messieurs, que si vous agissez ainsi, vos plants mourront, étouffés par les mauvaises herbes qui pousseront à leurs côtés. Et vous perdrez la globalité de votre culture. Ces bougres que vous jugez illettrés sont à l'écoute de la nature et ont réussi à développer des techniques et des méthodes assurant la production à l'origine de ce qui se trouve dans vos assiettes. Et c'est grâce à eux que vous ne mourrez pas de faim aujourd'hui. Les dénigrer en les considérant comme des outils capables d'accomplir uniquement des tâches ingrates que vous leur avez confiées est idiot et inconscient de votre part. En effet, ceci prouve que vous avez oublié qu'il vous est impossible de concevoir un projet sans prendre en compte la réalité du terrain. »

 Elle avait fait une courte pause dans sa plaidoirie pour reprendre son souffle, leur laissant ainsi le temps de digérer ce qu'elle venait de leur dire.

 « Afin de vous donner un exemple concret, en politique, vous vous devez de vous adapter en fonction de vos adversaires et des sujets que vous devez traiter. Pour les agriculteurs, c'est la même chose. Ils doivent prendre en compte la sécheresse, les conditions climatiques et météorologiques, les parasites qui ravagent les cultures, et tous autres facteurs susceptibles d'entraver le bon déroulement des récoltes. Toutes ces choses qu'il faut prendre en compte dont vous n'avez pas forcément conscience puisque vous ne cultivez pas la terre, influent sur la production de la nourriture, qui impactera sur l'impôt et qui au final déterminera toute l'économie du pays. Donc, oui messieurs les ministres, le peuple a des choses à dire. »

 Elle s'était tue à nouveau quelques secondes, mais reprit très vite son discours avant de se faire interrompre.

 « Néanmoins, revenons-en au sujet principal, l'attaque des rebelles. La plupart du temps, leur présence est révélatrice d'un peuple est en souffrance, si vous souhaitez éviter leur présence, soyez attentif aux besoins de ces « bougres » dehors que vous jugez incapables et vous ne souffrirez pas de ce genre d'attaque. »

 Voyant qu'ils allaient encore une fois la contredire, elle anticipa leur réponse et leur coupa la parole.

 « Avant que vous ne vous imaginiez que le peuple se rebelle car il en veut à vos postes, dites-vous que c'est une idée très prétentieuse de votre part qui témoigne d'une grande méconnaissance de ceux que vous gouvernez. En effet, les seules choses qui leur importent vraiment sont : être en sécurité, avoir assez d'argent afin de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles et avoir une vie heureuse et épanouie. Le reste n'est que superflu. »

 Le silence s'était de nouveau fait dans la salle. Toutefois, les visages en disaient long sur ce qu'ils avaient pensé. Certains avaient le regard emprunt d'admiration voyant en elle une future reine, d'autres étaient chargés de haine la considérant déjà comme une menace à leur pouvoir. D'autant que Jamal ne dissimulait aucunement sa fierté qu'il ressentait à son égard. Elle venait de confirmer son choix et il était désormais sûr qu'elle ferait une merveilleuse reine. Et heureusement pour elle, son gouvernement ne comptait pas que des membres corrompus, il y avait aussi des sages qui avaient su voir en elle le potentiel qu'elle renfermait.

 Les mois passèrent, marqués par les épreuves qui se succédaient. Les candidates avaient dû apprendre à organiser des réceptions, s'occuper de collectes de fonds, et d'autres tâches et devoirs qui incombaient à une reine. Et chaque fois, leur nombre diminuait. Sur les vingt-quatre, il n'en restait désormais que dix. Chacune d'entre elles avait su se démarquer par son intelligence, sa maîtrise des leçons reçues, mais surtout grâce au soutien que leur conférait leur ascendance. Parmi les ministres, des alliances se faisaient, évoluant sans cesse après chaque élimination.

 Les familles mettaient tout en œuvre dans le but que leur favorite remporte la victoire, allant jusqu'à recourir à l'utilisation de pot-de-vin. Elles mettaient aussi une partie de leur fortune dans la mise en place de bonnes œuvres visant à se faire bien voir par la population. Les votes étaient à chaque fois très serrés et Leïla passait épreuves après épreuves de justesse car elle ne pouvait compter que sur le soutien du peuple et d'un nombre restreint de ministres. Elle arrivait cependant à se démarquer grâce à son originalité et le souci qu'elle avait des autres. Elle était heureuse d'être encore dans la course, mais savait qu'à la moindre erreur de sa part, c'était la porte assurée.

 Elle avait également passé toutes ses soirées aux côtés de Jamal, seuls moments où elle avait pu enfin se détendre. Si bien qu'elle avait fini par attendre ces instants avec beaucoup d'impatience et la présence de l'homme y avait été pour beaucoup. Plus les jours passaient, plus son estime et son amour pour lui avaient grandi. Mais elle s'était efforcée de ne rien laisser paraître. Puisqu'il avait été très clair, il voulait une reine pas une épouse. Et elle n'avait pas voulu que son cœur souffre d'une désillusion certaine. Cependant, elle avait réussi à gagner son amitié et cela lui procurait un grand bonheur.

 Elle pensait souvent à ce que serait sa vie à ses côtés. Ils étaient en parfaite harmonie sur beaucoup de sujets rendant leur collaboration facile. Elle aimait leurs désaccords durant lesquels elle pouvait défendre son point de vue en lui opposant ses arguments qu'il réfutait la plupart du temps. Remporter ces joutes verbales lui procurait une intense satisfaction si bien qu'elle avait remarqué qu'il s'amusait à la contredire pour finir par se ranger de son avis qui était le même depuis le début. Il était tellement attentionné et attentif envers elle qu'elle n'en était que plus tombée amoureuse. Elle avait l'impression de subir un envol de papillon au creux de son ventre à chaque fois qu'il agissait ainsi.

 Mais un sujet ne cessait de la terrifier, telle une ombre noire au milieu de son océan de bonheur. Elle avait terriblement peur de partager sa couche et de devoir lui donner un enfant. Y penser suffisait à la faire frissonner. Elle connaissait la théorie, après tout elle avait grandi entourée d'hommes et beaucoup avaient oublié qu'elle n'était encore qu'une jeune fille vierge et innocente lorsqu'ils narraient leurs prouesses sexuelles.

 Elle avait également vu des hommes nus et cela avait suffi à lui couper toute envie d'avoir des relations intimes. Cette pensée lui donnait des sueurs froides. Et plus le temps passait, plus elle angoissait. Elle n'osait pas en parler avec lui, de peur qu'il se moque d'elle ou qu'il le prenne mal. Mais quand elle voyait la détermination dont il faisait preuve, souhaitait ardemment la voir devenir sa reine, elle ne pouvait s'empêcher de paniquer. D'autant qu'il n'était pas le seul à lui rappeler son destin.

 Tout le personnel du château partageait ce souhait et n'hésitait pas à le lui faire savoir que ce soit en paroles ou en actes. Elle était malheureuse et les brimades incessantes qu'elle subissait de la part de ses rivales ne lui pesaient que d'avantages. Elles la méprisaient à cause du crédit et de l'attention dont elle faisait l'objet et pas une journée ne passait sans qu'elle soit victime de leurs persécutions.

 Jamal avait conscience du mauvais traitement dont elle était la cible. Il ne pouvait cependant rien faire sans que cela la pénalise. Il était rongé par la frustration et ne cessait de regretter de l'avoir embarquée au cœur de toute cette histoire. Il aurait aimé avoir trouvé une meilleure solution afin d'arriver à ses fins, mais aucune de celles qu'il avait proposées n'avait obtenu gain de cause. Il était toutefois attristé par la façon dont les autres princesses la traitaient et il avait un jour discuté avec elle, voulant savoir ce qu'elle en pensait.

 Elle lui avait répondu être désormais habituée et en cela il avait détesté connaître la réponse. Elle avait réussi à le rassurer en tournant tout ceci à la dérision et ils passaient leurs journées à parier sur ce qu'elles allaient encore inventer. Jusqu'à présent elle avait eu le droit aux araignées, aux scorpions, aux serpents, aux poisons et tout un tas de tentatives de sabotages de ses travaux. Ils étaient ex æquo sur leurs prédictions, ce qui les amusait beaucoup. Même là, ils se complétaient.

 Il avait toutefois paniqué à la première tentative d'empoisonnement et fut quelque peu rassuré d'apprendre qu'elle possédait une résistance aux poisons. Il n'avait cependant pas pu s'empêcher de lui faire la morale lorsqu'il avait compris qu'elle l'avait acquise en en consommant à petites doses depuis sa plus tendre enfance, afin d'en déterminer les différents effets et être mieux à même de les utiliser. Cela l'avait profondément perturbé qu'elle puisse ainsi mettre volontairement sa vie en danger. Les bestioles venimeuses ayant été son lot quotidien dans son travail, elle n'avait même pas réagi en les voyant coloniser sa chambre. Mais craignait qu'une de leurs tentatives ne mettent la vie du roi en danger et cette perspective la glaçait d'effroi.

 Quant à lui, il se sentait égoïste de l'obliger à vivre cela parce qu'il avait voulu l'épouser alors qu'elle ne semblait pas porter beaucoup d'intérêt à la question. À chaque fois qu'ils avaient abordé le sujet du mariage, elle s'était brusquée et la peur figeait ses traits. Il ignorait quelle en était la cause et à chaque fois qu'il avait cherché à savoir, elle s'était brusquement fermée, refusant toute discussion. Et à son plus grand désespoir, plus ils se côtoyaient, plus son amour envers elle grandissait. À ses côtés, elle avait gagné en maturité et il était émerveillé de la façon dont elle était capable de débattre sur presque n'importe quel thème sans se démonter. Elle passait beaucoup de temps enfermée au sein de sa bibliothèque réfléchissant à son projet d'aménagement des zones défavorisées.

 En quatorze mois, elle avait fait un travail remarquable et le pourcentage de sans abris avait considérablement chuté sur l'ensemble du royaume. Elle avait reconfiguré leurs habitations avec l'intention de les rendre plus grandes, plus solides et plus accueillantes. Elle avait aussi longuement conversé en compagnie des médecins du palais qui avaient été vivement intéressés par ses recherches effectuées à partir des moisissures bleues. Elle avait contribué à la création d'un laboratoire de recherche en médecine et en pharmacologie où des scientifiques de tous le pays se réunissaient régulièrement afin d'échanger sur leurs différents travaux et réaliser de nouveaux projets.

 Sa problématique actuelle était de trouver le moyen de permettre à tous et à toutes d'avoir accès à l'instruction indépendamment de leur origine sociale et de leur âge. Elle portait le rêve que l'instruction soit, un jour, gratuite et accessible à tous. Il l'admirait sincèrement à cause de tout ce qu'elle faisait. Il était soulagé de l'avoir à ses côtés et sa présence suffisait à lui donner le courage nécessaire afin qu'il traite les questions les plus délicates auxquelles elle n'était pas encore formée et donc ne pouvait pas l'aider.

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