Chapitre 20

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 Quand les combats avaient repris, le lendemain de l'arrivée des troupes de Cheim à Jizé, Leïla était partie sur le front avec Rayhan et trois autres infirmiers. Ils avaient arpenté le champ de bataille à la recherche de blessés et les avaient évacués le plus rapidement possible tout en se défendant des attaques ennemies.

 Elle était reconnaissante que son ami soit là, car il lui sauva la vie plus d'une fois. Comme elle l'avait prédit, sa petite taille lui permettait de se faufiler un chemin dans les rangs sans se faire repérer. Ils ramenèrent au total dix-huit blessés. Et sur les trois autres infirmiers deux furent grièvement blessés. Ainsi se déroula sa matinée.

 Elle n'en pouvait déjà plus de voir autant de violence. Elle voyait tellement de morts, heures après heures, qu'elle avait l'impression d'être inutile. Quand elle réussissait à ramener des soldats à l'hôpital, beaucoup ne se remettraient pas de leurs blessures, tant les conditions étaient épouvantables.

 Elle avait beau avoir limité les dégâts en ordonnant que tout soit stérilisé au feu ou à l'eau bouillante, que les bandages soient lavés après utilisation, avoir demandé que les opérations soient faites dans une partie réservée, loin des blessés et le plus aseptisé possible, cela ne suffirait pas.

 Elle était terriblement en colère, tant d'horreur, de souffrance, de violence et de vies gâchées pour satisfaire les caprices d'une princesse puérile. La plupart des soldats qu'elles devaient soigner n'étaient pas plus âgés qu'elle, autrement dit, ils avaient encore toute la vie devant eux.

 Elle s'était confiée à Rayhan, elle lui avait fait part de toute cette rage et cette colère qui l'habitait avant de s'effondrer à ses genoux en sanglot. Après cet incident, elle avait décidé de verrouiller son cœur et ses sentiments pour économiser ses forces et concentrer son énergie à soigner ceux qu'elle pouvait sauver.

 Vers le milieu de l'après-midi, la pénurie de soldats commença à se faire sentir et son ancien général demanda sa mutation. Comme convenu, Ali refusa car sa présence était devenue plus que vitale. Malik avait tout d'abord refusé, pestant qu'ils avaient besoin d'homme sur le front mais le médecin resta fermement campé dans sa décision.

 Il était hors de question qu'il laisse sa reine se battre, c'était déjà risqué qu'elle remonte les blessés alors se retrouver au cœur de l'action, surtout pas ! À contre cœur, le père de Rayhan dut admettre qu'effectivement moins de soldats périssaient depuis qu'elle était là et qu'il était préférable qu'elle reste.

 Négocier la présence de son garde du corps fut d'autant plus délicat. Le père ne comprenait pas en quoi la présence de son fils soit si importante mais le médecin, têtu, refusait d'en démordre. Ce dernier affirma qu'elle avait besoin d'être protégée car si elle était blessée ou qu'elle mourrait cela causerait de gros problèmes et pourrait influencer l'issue de la guerre en leur défaveur.

 Mais l'autre maintenait sa position. Les deux sujets de la disputes étant présents, ils décidèrent d'intervenir avant qu'il ne s'en découle un bain de sang. Leïla se leva d'un bon et se plaça entre eux, face à son supérieur et dos au père de son ami.

 « Je pense qu'il est temps de lui dire.

 — Me dire quoi ? »

 Ali observait avec attention Leïla, cherchant à savoir si elle était vraiment sérieuse, ignorant Malik jurer derrière elle. Rayhan dut prendre son père par les épaules pour le calmer tant il fulminait de ne rien comprendre. Au bout d'un certains temps à s'observer mutuellement, Ali soupira et hocha doucement la tête donnant ainsi son approbation pour avouer la vérité au général.

 « Malik, la raison pour laquelle ton fils doit absolument rester c'est parce que Leith bin Malik Khazar n'est pas vraiment lui ...

 — Comment ça ? Qu'est-ce que tout cela veut-dire ? »

 Il était tellement en colère qu'on aurait pu voir de la fumée sortir de ses oreilles et de ses narines. Son visage était tout rouge et ses poings serrés contre ses hanches. C'est Leïla qui décida de lui répondre, reprenant sa voix douce et son timbre féminin, qu'elle avait tenté de masquer en simulant une voix d'homme.

 « J'ai pris la place de mon frère jumeau, monsieur. »

 Il la regarda avec de gros yeux, n'étant pas sûr d'avoir bien compris.

 « Vous êtes une ... Femme ? »

 Il avait craché le dernier mot comme une insulte. Son fils se mit dans son champ de vision.

 « Si ce n'était que cela nous l'aurions renvoyée depuis que nous avions découvert la supercherie. »

 Malik le fusilla du regard comprenant qu'il savait depuis le début qu'elle était une femme. Il la regarda d'un œil mauvais lui exprimant tout son mépris. Ali se racla la gorge pour qu'il le reporte son attention sur lui.

 « Malik, je te présente notre reine, Leïla ibn Salim Khazar. »

 Il perdit instantanément ses couleurs à l'entente de cette vérité.

 « Comment ? »

 Il était sur le point de s'évanouir, lui le grand et respecté général Malik bin Idir Muharib, tant il était choqué par cette nouvelle. Il n'avait pas pu être présent aux noces du roi car il assurait la sécurité au porte de la ville. Il ne l'avait donc jamais vu en vrai. Commençant à se rappeler des connections qu'il refusait de voir jusqu'à lors, Leith bin Salim Khazar était le jumeau de sa reine.

 « Ne deviez-vous pas rester à l'abri à Siloé ?

 — En effet, mais je n'ai pas pu me résoudre à me cacher sachant pertinemment que l'armée aurait besoin de mes compétences. Mon père m'a appris à me battre depuis ma plus tendre enfance, et quand mon frère s'est cassé la jambe le jour du mariage, j'y ai vu là une occasion en or pour venir ici. »

 Il resta figé, la regardant sans aucune expression. Il n'en était pas capable, bien trop perturbé par le fait de savoir sa reine ici, au cœur de l'action, où elle risquait sa vie chaque jour. La première réaction qu'il eut fut de la colère qu'il dirigea contre son fils pour lui avoir caché cela.

 Ce dernier rentra sa tête dans les épaules, voutant les épaules, il se recroquevilla sur lui-même, honteux de la réprimande silencieuse. Malik reporta à nouveau son attention sur Leïla, toujours en colère, avant qu'une lueur de respect traverse son regard.

 « Votre altesse, avec tout le respect que je vous dois, il faut que votre époux soit au courant de votre présence.

 — Non ! »

 Sa voix s'éleva tel un cri venant du cœur.

 « Vous ne devez pas lui dire. Je sais que cela est contraire à tout ce que vous croyez mais il ne doit pas savoir que je suis là. Il me renverra immédiatement en sécurité à Siloé et je ne peux pas me le permettre ! Premièrement parce que cela privera l'armée de soldats alors qu'ils en ont trop besoin et deuxièmement parce que ma présence ici est presque devenue vitale. Je suis la seule à vraiment savoir opérer dans ces conditions difficiles. »

 Il la regarda avec attention tentant de déchiffrer ses sentiments. Elle était sincère et il comprenait la douleur que cela lui coûtait de cacher à son mari sa présence ici. Il hocha lentement sa tête pour donner son accord.

 « Bien, nous ne dirons rien, mais vous ne devez plus mettre ne serait-ce qu'un orteil sur le lieu de l'affrontement. »

 Voyant qu'elle allait riposter il la fusilla du regard.

 « Compris ? »

 Elle hocha sa tête, vaincue. Elle n'avait pas le choix de se plier à sa demande. C'était soit ça, soit elle serait renvoyée en sécurité à la capitale et c'était hors de question.

 « Bien. Rayhan, tu resteras avec elle et tu ne la quitteras pas d'une semelle. Compris ? »

 Il affirma d'un hochement de tête et l'homme passa sa main dans ses cheveux avant de soupirer de lassitude.

 « Vous avez conscience que vous me placez dans une situation des plus inconfortables, votre altesse ? Surtout vis-à-vis de mon roi ! »

Elle baissa les yeux, honteuse.

 « J'en ai conscience et je m'en excuse. Mais, même si je comprends son raisonnement, je ne peux m'y plier.

 — Je suis d'accord avec vous, c'est pour cela que je vous approuve. Mais au moindre danger, vous serez mise immédiatement en sécurité. Je risque déjà suffisamment ma tête en autorisant votre présence ici, ce n'est pas pour cela que je vais tenter le diable en vous laissant vous faire tuer sans rien dire. Vous obéirez à Rayhan et s'il vous dit de partir, vous le ferez est-ce clair ?

 — Oui mon commandant !

 — Bien dans ce cas nous sommes d'accord.

 — J'ai une requête à vous faire.

 — Qu'elle est-elle ?

 — Je sais que vous manquez de soldat mais si Rayhan et moi ne pouvons plus aller sur le lieu des affrontements qui va remonter les blesser à notre place ? »

 Il réfléchit un instant.

 « Je vais organiser une équipe tournante qui sera chargée de remonter des blessés quand elle ne sera pas en train de combattre. Et je vais aussi faire remonter une demande au roi demandant plus de personnel dans l'équipe médicale. Cela vous satisfait-il ?

 — Oui mon commandant.

 — Parfait. Laissez-nous tout les deux s'il vous plaît, j'ai à discuter avec Ali. »

 Les deux plus jeunes quittèrent la tente de leur supérieur pour retourner à leur travail, les laissant seuls discuter des derniers détails relatifs à ce nouveau programme.

 Après cet épisode, Ali vint la voir régulièrement pour lui demander des conseils ou son avis pour certaines choses. Leur bonne entente fut perçue d'un mauvais œil de la part du chef de la section, qui voyait en elle une menace en son autorité et son pouvoir qu'il détenait.

 Il tenta plusieurs fois de faire échouer ses travaux, allant jusqu'à mettre la vie de patients en danger. Cela lui fallut de recevoir un blâme puis de se faire rétrograder et remplacer par elle. N'ayant plus personne pour déformer ses ordres ou ses demandes, elle put agir plus rapidement avec une meilleure efficacité.

 L'hôpital n'était plus synonyme de mort désormais mais on y voyait l'espoir de s'y faire soigner et d'en ressortir guéris. Quand les combats prirent fin et que l'armée Cheim quitta la vallée pour retourner de l'autre côté du Nahr, on fit la fête toute la nuit. Elle n'en profita pas trop longtemps de peur que son mari ne l'aperçoive et préféra se concentrer sur les blessés.

 Jamal avait ordonné que le campement reste établis jusqu'à ce que tout le monde ait retrouvé suffisamment de forces pour reprendre la route et lancer une nouvelle offensive. Ils avaient beau avoir gagné cette bataille et poussé l'ennemi à rentrer chez lui, la guerre n'était pas encore finie.

 Quelques jours plus tard, durant une journée particulièrement chargée où elle avait réussi à sauver beaucoup de vies, Rayhan lui rappela son moment de faiblesse.

 « Tu vois Mayakrub, tu me demandais la dernière fois, si tu étais vraiment utile, si tu en faisais assez pour eux. Aujourd'hui, tu as ta réponse. Si tu n'avais pas été là, notre armée aurait été décimée de plus de la moitié. Tu sais, je suis peut-être égoïste en te disant cela, mais quand j'ai appris que tu étais une fille, je voulais tout faire pour que tu ne viennes pas ici, mais aujourd'hui, je suis content de ne pas m'être écouté. Si tu n'avais pas été là ... Qui sait ? On aurait peut-être déjà perdu depuis longtemps et tu aurais été obligée de divorcer pour que ton mari épouse cette gamine prétentieuse à cause de qui nous sommes en guerre aujourd'hui.

 — Tu as sans doute raison, avait-elle répondu épuisée, on ne le saura jamais, puisque je suis venue. »

 Rayhan lui avait donné un coup de poing dans l'épaule pour la remotiver et ils étaient repartis soigner les blessés. À la fin de la journée, ils se couchèrent dans leur lit respectif. Au milieu de la nuit, elle entendit du bruit dehors qui la réveilla.

 Ne réussissant pas à se rendormir, elle quitte la tente pour rejoindre l'hôpital et se remettre au travail, ne souhaitant pas réveiller son garde du corps qui avait besoin de dormir. L'ancien chef du secteur, qui elle l'avait appris s'appelait Akim, arriva vers elle tout sourire. N'ayant pas l'habitude de le voir ainsi, elle demeura suspicieuse.

 « Leith ? Je souhaiterais te parler.

 — Et bien parle ! Je t'écoute.

 — C'est à propos d'un patient au secteur B12. »

 Elle paniqua légèrement. Le secteur B12 comprenait les blessés graves.

 « Lequel ? Il est mort ?

 — Non, non ! Personne n'est mort, mais il réagit bizarrement aux médicaments. Est-ce que ça t'embête de venir avec moi pour que je te le montre afin que tu puisses l'examiner ? »

 Soucieuse de l'état de santé de cet homme et oubliant toute prudence, elle le suivit hors de la tente. Ce fut une erreur. À peine avait-elle mise un pied dehors qu'elle reçut un coup derrière la tête. Elle perdit connaissance sur le coup et s'effondra sur le sol.

 Akim et son complice, un soldat de l'armée de Cheim, la placèrent sur un brancard et la recouvrirent d'un drap, faisant croire ainsi qu'ils transportaient un mort. Elle fut conduite hors du camp et enfermé dans un chariot avec les autres prisonniers de guerre.

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