Chapitre 23

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 La tâche qui se présentait à elle était ardue. De l'eau à la nourriture, des habitations aux vêtements, tout était à changer. Le problème lorsqu'on habitait en ville était qu'on dépendait de l'argent pour vivre et pour avoir de l'argent il fallait travailler. On ne pouvait pas cultiver la terre car il n'y avait pas de terrain de disponible.

 À Ganesh le marché du travail était complètement bouché, en raison de l'esclavagisme. Les patrons préféraient acheter des esclaves plutôt que de payer des employés, cela leur revenait beaucoup moins cher. De ce fait, il existait un grand écart entre les riches et les pauvres car dans ce système la haute société s'enrichissait pendant que les autres s'appauvrissaient. Et malheureusement, les seuls emplois qui restaient disponibles étaient terriblement éprouvant et très mal payés. Elle devait donc trouver une solution pour obtenir de l'argent sans passer par là.

 Mais avant, elle devait remettre en état les habitations. Zélie avait beau n'être âgée que de vingt-trois ans, elle n'en restait pas moins très influente. Elle était de ces femmes dotées d'un charisme naturel qui donnait envie de les suivre peu importe où elles allaient. D'autant que sa beauté lui assurait des clients réguliers ce qui faisait d'elle une des plus riches du quartier. Elle avait des allures d'ange avec ses longs cheveux blonds ses yeux bleus très clairs et sa peau pâle. Et ici, ce sont les femmes qui faisaient la loi, pendant que les hommes travaillaient auprès des plus riches pour tenter de subvenir aux besoins de leur famille.

 Leïla fournit donc un plan de maisonnette solide et facile à réaliser avec peu de matériaux. Pendant leur construction, elle décida de s'occuper, avec l'aide de quelques femmes, de nettoyer tout le linge qu'elles avaient pu trouver. Elle leur expliqua d'abord comment faire du savon à base de plantes.

 Au moment où elle voulut puiser de l'eau et qu'elle se rendit compte de son état, elle leur montra aussi comment fabriquer un filtre avec du sable pour pouvoir la nettoyer. Il leur fallut plusieurs journées pour en venir à bout mais quand tout fut enfin terminé, les habitants avaient peut-être encore le ventre vide mais ils dormaient désormais dans des linges propres et de solides cabanes.

 Les jours suivants, elle fit le recensement de ce que les uns et les autres savaient faire. Certains savaient coudre, d'autres tisser, d'autres encore sculptaient le bois, et d'autres fabriquaient des sandales. Elle ordonna qu'on fabrique des vêtements, des sandales et des jeux en bois pour les enfants. Tout le surplus serait vendu pour obtenir de l'argent et à manger.

 Ce modèle économique généra un élan de solidarité entre les gens et au bout de quelques mois, tout le monde était convenablement vêtu et l'on possédait suffisamment d'argent pour acheter à manger pour nourrir tout le monde. Elle avait également reproduit le modèle de jardinière qu'elle avait développé à Siloé. Ainsi, une part de leur nourriture était cultivée par eux selon leur propre besoin.

 Durant tout son séjour parmi eux, elle continua de dissimuler son identité. Elle se faisait appeler Doc. Elle ne voulait prendre aucun risques car elle savait que si Mufasa venait à avoir vent de sa présence ici, elle serait immédiatement exécutée.

 Deux semaines après son arrivée, Zélie mis au monde une magnifique petite fille et l'accouchement, bien que difficile, se déroula sans problème. Grâce à cela, la nouvelle de ses compétences médicales fit rapidement le tour du quartier et elle se retrouva bien vite débordée par le nombre de patients.

 Face à ce constat, elle forma Soraya, une jeune fille brune aux yeux verts, d'environ son âge, qui avait un don naturel dans ce domaine. Le temps qu'elle soit opérationnelle, ses journées étaient vraiment très chargées entre son désir d'améliorer les choses et son travail auprès de ses patients toujours plus nombreux. Elle avait décidé de se focaliser sur la construction d'un hôpital et d'une fabrique à pénicilline, son médicament issue des moisissures bleues.

 Un matin, plusieurs mois après son arrivée, elle fut appelée d'urgence pour s'occuper d'un patient en état critique car Soraya était chargée d'un accouchement et ne pouvait y aller. Une dame âgée lui demandait de soigner un homme blessé. Elle s'y rendit avec précipitation, prenant le petit Yassin comme assistant dans son travail.

 « Vous voilà enfin ! Cela fait cinq jours qu'il est dans cet état, je lui ai donné tous les soins que j'ai pu mais son état ne semble pas s'améliorer. »

 Elle se dirigea vers le chevet du blessé.

 « Que lui est-il arrivé ?

 — Une blessure à l'épaule qui semble s'être infectée, plus une autre à la jambe. »

 Elle s'approcha de lui et se concentra sur les blessures sans même prendre le temps d'observer son visage. À ce moment-là elle n'avait plus un homme devant elle, mais seulement deux blessures qui nécessitaient des soins immédiats. Elle défit les bandages fait par l'autre et remarqua que les blessures avaient été soignées.

 « Vous avez des compétences médicales ! »

 Elle était admirative devant le travail de la vieille femme.

 « J'étais herboriste dans le passé, aujourd'hui je ne suis qu'une pauvre femme qui vient en aide à ceux qu'elle peut aider. »

 La plus jeune lui sourit, heureuse de l'apprendre.

 « Vous n'avez jamais voulu former d'apprentis ?

 — Je n'ai jamais eu d'enfants à qui transmettre mes connaissances. »

 Elle semblait triste et mélancolique. Leïla posa sa main sur son genou.

 « Et si je vous trouve un apprenti, accepteriez-vous de le former ? »

 Elle lui sourit chaleureusement.

 « Ce serait un plaisir. »

 Satisfaite, Leïla reporta son attention sur son patient et entreprit de nettoyer, suturer et panser les blessures. À la fin, elle se tourna vers l'autre qui avait observé ses gestes avec un grand intérêt.

 « Avez-vous de l'écorce de saule afin de faire une infusion pour faire baisser la fièvre ?

 — Je devrais trouver cela. »

 Elle se leva avec difficulté pour aller chercher ce qu'elle lui avait demandé. Leïla envoya Yassin chercher de l'eau fraîche pour éponger le front de l'homme afin de faire baisser sa fièvre. Lorsqu'elle éclaira son visage avec la bougie afin de voir à quoi il ressemblait, elle fut surprise de connaître son identité.

 « Et bien mon enfant, ça va ? On dirait que tu viens de voir un fantôme ! »

 Elle ne lui répondit pas, encore sous le choc de ce qu'elle venait de découvrir.

 « Mais comment est-ce possible ? »

 Elle ne se souvenait pas de l'avoir vu parmi les prisonniers. Même si cela faisait déjà plusieurs moi qu'elle se trouvait ici, elle ne comprenait pas comment il avait pu se retrouver ici. Était-il venu pour elle ? Allait-il l'aider à rentrer ? Tant de questions mais aucune réponses ne lui seraient apportés tant que son ami resterait inconscient. Elle se reprit bien vite et sécha ses larmes qu'elle n'avait pas pris conscience de laisser couler. Elle se pencha au-dessus de son oreille pour lui chuchoter une mise-en-garde.

 « Écoute-moi bien Rayhan bin Malik Muharib, si tu meurs alors que je viens de te retrouver, je te ressuscite pour te tuer moi-même ensuite. Et je danserai nue sur ta tombe avant de faire pipi dessus. Alors accroche-toi parce que t'as intérêt à t'en sortir ! »

 Elle resta trois jours et trois nuits à son chevet, sans le quitter ne serait-ce qu'une minute. Elle mit toute son énergie et ses compétences pour le sauver. Elle lui donna à manger les plats que sa sauveuse lui avait confectionné et s'assura que sa blessure guérisse bien.

 Miriam, la vieille dame, lui raconta comment elle l'avait sauvé de la fosse sous la prison. Elle connaissait en réalité un autre passage, pour atteindre la grotte, que celui que les enfants avait emprunté le jour de leur rencontre et comme eux elle s'y rendait régulièrement afin de récupérer du tissus et d'autres choses susceptible d'être utilisées pour son confort.

 Ce jour là Rayhan lui était tombé dessus et elle avait eu beaucoup de mal à se dégager d'en dessous de lui. Une fois la tâche accomplie, le jeune homme avait légèrement gémit, elle avait alors compris qu'il était encore en vie. Ses instincts d'herboriste avait repris le dessus et elle avait tout fait pour le sauver.

 Malheureusement, les conditions n'étaient pas les meilleures qui existent pour soigner un blessé et c'est pour ça qu'elle avait requis son aide pour l'aider à le sauver. Leïla lui était tellement reconnaissante pour tout ce qu'elle avait fait, qu'elle ignorait comment la remercier.

 « Sauve le, petite ! Sauve ton homme, mon enfant, cela serait une bien grande récompense pour moi.

 — Quoi, mais comment ...

 — Je suis vieille mais pas aveugle, penses-tu que je n'aurais pas remarqué que tu étaient une femme. Les hommes de ton pays doivent vraiment avoir du caca dans les yeux pour ne pas l'avoir vue.

 — Je suis désolée.

 — De quoi ?

 — D'avoir menti ... »

 Elle baissa les yeux, honteuse.

 « Tu devais avoir tes raisons, je ne te blâme pas. »

 Un détail de sa déclaration lui revint en mémoire et elle rougit aussitôt.

 « Par contre ... Ce n'est pas mon homme. J'en ai un autre mais il n'est pas ici, nous avons été séparés ...

  — Mais tu l'aimes beaucoup celui-là, non ?

 — Oui, Rayhan est un ami fidèle. Il était le seul à savoir que j'étais une femme et il m'a toujours soutenue et protégée, c'est à mon tour de le sauver.

 — C'est bien ma fille. Veille bien sur lui.

 — Tu ne demandes pas pourquoi j'ai menti pour rejoindre l'armée ?

 — Tes raisons n'appartiennent qu'à toi, mon enfant, mais si tu veux m'en parler, je suis là pour t'écouter.

 — J'aimerais le dire à quelqu'un pour ne pas oublier qui je suis. Cela ne fait que quelques mois que j'ai quitté mon pays mais j'ai l'impression que cela fait déjà une éternité. Je me sens tellement perdue. Mais j'ai peur que si je te dévoile la vérité, tu ne sois en danger.

 — Ne t'en fais pas pour moi, je suis vieille, je n'ai plus rien à perdre.

 — Dans ce cas ... Je vais te raconter mon histoire. »

 Leïla lui raconta toute sa vie depuis la mort de sa mère jusqu'à son dévouement pour les habitants de Siloé, elle raconta aussi comment le roi l'avait remarquée et comment elle s'est retrouvée à intégrer la compétition. Elle lui parla longtemps de Jamal se rappelant chaque moment heureux qu'elle avait passé à ses côtés.

 À la fin de son récit, elle avait les yeux remplis de larmes, mais elle se sentait à sa place, elle avait l'impression d'avoir retrouvé son identité. Miriam par contre la regardait bouche bée, ne croyant pas un mot de son récit. Elle rit devant sa mine déconfite.

 « Oui, je suis Leïla ibn Salim Khazar épouse de Jamal ben Ahmad Al Shamseni, reine de Shamsen.

 — Votre altesse, avec tout le respect que je vous dois, vous êtes soit folle, soit un ange mais en aucun cas un être humain normal. »

 Cela provoqua à nouveau son hilarité.

 « On me dit souvent que je ne suis pas normale mais je ne pouvais décemment rien faire en restant sagement dans mon pays alors que mon mari et mon peuple souffraient à cause de moi ...

 — En quoi est-ce votre faute ? La faute en revient à notre princesse et à notre roi, pas à vous.

 — Tu as peut-être raison.

 — On doit toujours écouter ses aînés, maintenant dormez un peu, vous avez besoin de repos.

 — Mais ...

 — Il n'y a pas de « mais » jeune fille ! L'état de votre ami ne peut aller qu'en s'améliorant. Dormez un peu, vous avez besoin de reprendre des forces. »

 Elle obéit et s'allongea près de lui. Le sommeil ne tarda pas à la saisir et elle s'endormit comme une masse.

 « Vous êtes réveillé, n'est-ce pas mon garçon ?

 — Où suis-je ? »

 Il se redressa avec difficulté comprenant qu'il était inutile de feindre plus longtemps.

 « À Ganesh, dans le quartier le plus pauvre. Vous étiez au courant de l'identité de votre amie ?

 — Oui je le savais. Et c'est pour cette raison que je suis ici. Je suis venu avec son frère mais nous avons été séparés.

 — Qu'allez-vous faire ?

 — Que voulez-vous dire ?

 — Elle ne peut pas rester ici, c'est beaucoup trop dangereux, si quelqu'un découvre qui elle est ...

 — On en peut rien faire, quitter la ville est désormais impossible. Mufasa, votre roi, a doublé la sécurité et vous avez entendu son histoire, elle ne vous abandonnera pas tant qu'elle n'aura pas accomplis la mission qu'elle s'est fixée. Cela fait quelque temps que je l'observe et s'il y a bien une chose que j'ai retenu par rapport à son caractère, c'est qu'elle ne renonce jamais à ce qu'elle croit être juste. D'autant que je la soupçonne d'avoir un plan afin de gagner cette guerre. Je me contenterai donc de la suivre tout en assurant sa protection de ma vie car je suis honoré de servir une reine pareille.

 — Oui, une reine comme elle ne court pas les rue, alors veillez bien sur elle, cela serait une très grosse perte pour votre pays.

 — Et puis dès que je serai de nouveau sur pied, je vais tenter de retrouver Leith, son frère.

 — J'ai cru comprendre qu'ils se ressemblent tous les deux.

 — Oh oui ! Comme deux gouttes d'eau bien qu'elle soit légèrement plus petite et beaucoup plus fine.

 — Dans ce cas laissez-moi vous aider, je suis sûre que je saurais le retrouver. Mais avant racontez-moi votre histoire. Comment avez-vous réussi à arriver jusqu'ici. Et surtout, comment se fait-il que vous ayez été séparés? »

 Rayhan se redressa et s'assied plus confortablement contre la paroi de la cabane. Il observa d'abord sa reine endormie. Elle était magnifique. Il l'avait toujours trouvée belle mais quand elle dormait, elle semblait si faible et si fragile, qu'elle ressemblait à un ange tombé du ciel. Il reporta son attention sur la vieille dame à ses côtés et décida de lui narrer son histoire.

 Il lui expliqua la cellule de crise qui s'était tenue après la découverte de sa disparition et ce qui s'en était suivie ensuite. Ils venaient à peine de terminer de préparer leurs affaires, que déjà Jamal, Salim, Zayed et Malik leur déversaient tout un tas de recommandations. Ils les écoutèrent, attentifs à leur expérience, et partirent pour rejoindre la frontière.

 Comme cela ne faisait pas si longtemps que les frontières étaient fermées, il existait encore quelques points de passages qu'ils réussirent à emprunter. Ils savaient qu'une fois en territoire ennemi le retour serait beaucoup plus délicat mais ils étaient prêts à tout pour ramener Leïla.

 Ils traversèrent de nuit. Ils accrochèrent chacun une corde à un tronc d'arbre situé sur la rive Shamsen, dont ils enroulèrent l'autre extrémité autour de leur taille. Ils s'engagèrent ensuite dans sur le Nahr gelé en cette période de l'année. La traversée fut périlleuse mais ils réussirent à gagner l'autre rive sans incident.

 Ils détachèrent leur corde et s'enfoncèrent dans la forêt devant eux. Ils trouvèrent une grotte dans laquelle ils passèrent la journée. Ils reprirent leur périple la nuit venue. C'était Malik qui leur avait conseillé de faire cela afin de mettre toutes leurs chances de leur côté.

 Ils contournèrent Beiden où ils savaient trouver les troupes Cheim et prirent une autre route moins fréquentée pour rallier la capitale. Le trajet leur pris plusieurs semaines en raison des nombreux détours effectués. Au bout de plusieurs jours de marche sous le soleil brûlant, ils croisèrent enfin la route d'une charrette conduite par un vieil homme tout rabougri.

 Il s'arrêta à leur hauteur pour leur demander où ils allaient. Il les prit pour des badauds qui voulaient tenter leur chance à Ganesh, ne se doutant pas une seule seconde de leur illustre identité de l'autre côté de la frontière. Il avait tenté de les dissuader de poursuivre leur route en leur disant qu'une vie de misère les attendait là-bas, mais après beaucoup d'argumentation, il finit par accepter de les y emmener.

 Arrivés dans la capitale, ils quittèrent leur chauffeur et entreprirent de localiser leur cible. Ils découvrirent l'enclave où travaillaient les esclaves. Ils espionnèrent les lieux mais ne la trouvèrent nul part. Inquiets, ils se séparèrent.

 Leith partit vers le Sud, fureter dans la ville à sa recherche tandis que Rayhan partit vers le nord. Ils devaient ensuite se retrouver une semaine plus tard à ce même endroit et recommencer leur recherche, cette fois-ci en direction de l'Est et de l'Ouest. Et c'est uniquement quand ils auront fouillé la ville de fond en comble, qu'ils chercheraient à la retrouver ailleurs.

 Malheureusement, Rayhan se fit arrêter dès le lendemain, jugé suspect par un habitant. Il fut emprisonné et jeté dans l'enclave des esclaves.

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