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On distingue une silhouette humaine, immobile, comme figée dans l’obscurité. L’atmosphère est trouble, nocturne. On ne voit ni les circonstances, ni clairement le corps. Juste une impression : celle d’une fin proche.
— C’est donc la fin.

ÉCRAN NOIR | BRUITS NON IDENTIFIÉS

— Bienvenue, monsieur Sesheta. Ça faisait longtemps.

Mr Sesheta ouvre les yeux. Il se retrouve dans un lieu étrange, un monde cotonneux baigné de lumière pâle. Le sol est transparent, suspendu au-dessus d’un vide sans fin, où dérivent lentement des fragments de mémoire.

— Mais… qui êtes-vous ? Où suis-je ? – demande-t-il, encore déboussolé.

— Ne vous en faites pas. Tout va vous revenir… dans trois secondes.

Mr Sesheta est soudain pris d’une violente secousse. Son souffle s’emballe. Puis, ses souvenirs affluent en un éclair, comme une marée impossible à stopper.

(Règle n°1 : Une fois mort, tous nos souvenirs nous reviennent 20 secondes après notre arrivée dans la salle de réveil.)

— Mais oui, c’est vrai… je suis mort ! – s’écrie-t-il, rattrapé par l’évidence. — C’est pour ça que je suis là, dans les nuages, haha. Ça faisait longtemps, Gardienne Adeola.

— Bravo, vous n’avez eu aucune panique en vous rappelant que vous êtes mort. – commente-t-elle avec calme. — D’habitude, c’est la dernière chose que les gens ressentent.

— Ça va franchement, c’est la neuvième fois que je meurs. – plaisante Sesheta avec un air détaché. — Tu t’imagines si je paniquais encore ? Hahahahaha. Ça en deviendrait presque quotidien de venir ici.

(Règle n°2 : Un être qui meurt est privé d’émotions négatives 10 secondes après avoir retrouvé la mémoire de ses vies précédentes.)

— Allez, suivez-moi je vous prie. – dit Adeola en se tournant. — C’est bientôt l’heure.

Ils se mettent en route, marchant dans cet endroit qui semble sans fin, suspendu au sommet de ce monde. Chaque pas résonne doucement sur le sol translucide.

— Tu sais, cette vie a été magnifique, hahaha. – lance Sesheta avec nostalgie. — Franchement, naître dans une famille riche… quel bonheur !

— Dommage que vous n’ayez pas eu d’enfants. – dit-elle avec un petit rire étouffé.

— Eh oh ! Tu sais que si j’avais encore mes sentiments négatifs, j’aurais été blessé… – grogne-t-il avec exagération. — Tu parles d’un ange…

— Veuillez cesser de me qualifier d’ange. – coupe Adeola avec fermeté. — Je suis une gardienne. Rien à voir avec cette création née de l’imaginaire des humains.

— J’aurais été à deux doigts de te croire agacée, hahaha. – ricane-t-il. — Au final, les « anges » sont inspirés de vous… Même si, soyons honnêtes, ils sont plus beaux et plus forts que les gardiens. J’aurais préféré qu’ils existent, bahahahaha.

— Toujours le même, à ce que je vois. – répond-elle avec une neutralité impeccable. — Vous savez pourtant très bien que nous ne pouvons ressentir d’émotions négatives.

— Ahahahaha. Tu peux toujours faire semblant comme moi, sinon c’est pas drôle, hahaha. – insiste-t-il. — Allez, essaie.

— Veuillez cesser.

— Pitié…

Une fois morts, nous n’avons plus d’enveloppe charnelle. Nos âmes quittent le monde des vivants pour rejoindre l’Autre Monde, un espace régi par des entités supérieures appelées Gardiens.

Bien que dépourvus de corps physiques, dans ce monde, les âmes et les esprits apparaissent sous une forme visuelle, presque tangible. On dirait qu’ils ont un corps, qu’ils marchent, qu’ils sourient ou froncent les sourcils. Mais ce n’est qu’une illusion sensorielle, une projection créée pour rassurer, communiquer… ou juger.

Quand nous mourons, nous gardons le même visuel que lors de notre dernière vie.

La gardienne Adeola est un esprit féminin, très mince et grande, portant avec élégance la robe des gardiens.

Adeola et Mr Sesheta arrivent au lieu où les êtres voient le récapitulatif de leur dernière vie. Une pièce suspendue dans le vide, parcourue d’écrans brumeux, où l’air vibre de souvenirs encore tièdes.

Dans cet endroit, les âmes récupèrent leurs émotions négatives. Un passage obligé, souvent plus brutal que la mort elle-même.

— OH, Ronda ! Ça fait longtemps ! Comment tu vas !? – crie Sesheta avec un enthousiasme sincère.

Ronda est un esprit féminin qui fait partie de ceux qui s’occupent de présenter le récapitulatif des vies aux âmes revenues de l’oubli.

Une sorte de fonctionnaire de l’au-delà, avec un humour douteux, une voix rauque, et une robe tissée d’étoiles mortes. Même si ce n’est qu’une projection visuelle, son visage est aussi douteux que ses blagues.

— OH ! Si c’est pas notre bon vieux Sesheta ! Ça fait une paie, dis-moi. – lance Ronda en écartant les bras. — Comment t’es mort cette fois ? Une des ex que t’as trompées t’a poignardé ? Gyahahahahahaha !

— Bah en fait, j’me suis souvenu que j’avais une charmante copine dans le ciel, et j’me suis dit : « Tiens, si j’allais rendre visite à la femme de ma vie. ». Ou plutôt… de ma mort ! BAHAHAHAHAHA !

— Gyahahahahahaha ! T’es vraiment qu’un petit charmeur. – glousse-t-elle. — Tu me fais rougir alors que j’ai même plus de corps pour le faire !

— Je parlais d’Adeola. – répond-il du tac au tac. — T’es pas mon style.

— Petit insolent ! Je vais créer un enfer exprès pour toi si tu continues !

— Les deux s’entendent vraiment bien. – commente Adeola doucement, en les observant avec un soupçon de consternation.

— Alors, comment ça se passe aujourd’hui, niveau morts ? – demande Sesheta à Ronda.

— Comme d’habitude, le flux est assez gros. – répond-elle en haussant les épaules. — Même si c’est toujours moins intense que pendant les temps de guerres mondiales.

— Pas le temps de se reposer, alors ! – dit-il en souriant.

— Heureusement que je ne connais plus la fatigue. – soupire-t-elle. — Même si je suis bien contente de ne pas avoir à m’occuper des animaux.

Au même moment, du côté des animaux :

— Froppy la grenouille… Dites-moi, comment avez-vous pu mourir étouffé en avalant une grenouille ? – demande le Gardien Adom, d’un air désespéré.

— Elle était balèze, cette mouche… sûrement championne de lutte. CROAyez-moi !

— Donc, Mr Lyon Off Seth… Vous êtes mort à cause de votre femme Cardi T qui, à force de copuler avec vous, vous a provoqué un arrêt cardiaque… – dit le Gardien Anikulapo, les yeux levés au ciel.

— Pitié, je ne veux plus être un lion dans ma prochaine vie. – gémit Off Seth. — Je ne vais pas tenir si ça recommence…

— Je plains les gardiens d’animaux… – commente Sesheta, sincèrement navré.

— Bon, ton dossier vient de me parvenir. – annonce Ronda en consultant un écran flottant.

— C’est ton tour !

— Le moment est venu…

— Zayn Smith… ou en vérité, Zayn Sesheta. Tu es né le 16 juillet à Ferrega. Ton père, Yohan Sesheta, était un Kamaréen ayant fait fortune en travaillant comme grand architecte.

— Il en a bavé... – répond Zayn d’un ton presque admiratif.

— En quittant Kama, il décide de changer son nom de famille en Smith. – poursuit Ronda. — C’est une fois installé pour ses études qu’il rencontre ta mère, Lucile Fourchet. Elle deviendra plus tard Lucile Smith.

— Eh oh ! On est là pour parler de moi ou de mes parents ? – grogne-t-il. — Tu veux que je les appelle et qu’on fasse une soirée souvenirs aussi ?

Ronda le toise du regard, les sourcils presque transparents levés avec autorité, avant de reprendre.

— Donc. Tu es venu au monde quelques années plus tard. Enfant, tu menais déjà la vie dure aux domestiques. À dix ans, tu en as poignardé une. À seize ans, tu as fait renvoyer deux employées après les avoir accusées de vol, car elles ont refusé tes avances.

— Je voulais perdre ma virginité.

— Durant toutes tes années de lycée, tu as persécuté des élèves.

— Quelqu’un peut m’en vouloir de frapper des nerds et des weebs, hein ? – répond Zayn avec un mépris non dissimulé. — C’est que des sales puants.

— Durant ton voyage à Lordesse, tu as brûlé un homme, tenu des propos racistes envers une jeune fille, tiré sur quelqu’un… et j’en passe.

— En même temps, vous avez vu la ville de fous où j’avais atterri dans ce pays de merde qu’est Lordesse ? – s’énerve-t-il. — Bendetta ! J’espère ne plus jamais y mettre les pieds.

— Bien que Bendetta soit l’une des villes avec le plus haut taux de criminalité de Lordesse, reconnaissez que vous avez pas mal cherché les problèmes. – déclare Adeola, visiblement agacée.

— T’as oublié que c’était l’une des villes les plus pauvres du pays aussi.

— Au final, tu es mort à 23 ans, lors d’un accident de voiture, à environ 100 km/h en pleine agglomération. Tu as été le seul mort, heureusement. – conclut Ronda avec un soupçon de lassitude.

— Comment ça, heureusement !? – s’offusque Zayn. — Je reste tout de même un homme mort ! C’est une vie perdue trop tôt !

Une aura menaçante se fait sentir derrière lui.

— Ah oui ? Et qui s’est permis de rouler à plus de 50 km/h au-dessus de la limite autorisée ? – dit Adeola avec un sourire doux… mais visiblement meurtrier.

Zayn esquisse un rire nerveux.

— Hahaha… Je croyais pourtant que les gardiens n’avaient pas de sentiments négatifs. – lâche-t-il, mal à l’aise. — Pourquoi je ressens ton envie de m’étriper ?

— Tu en es déjà à ta neuvième vie. – rappelle Ronda avec gravité. — Il va falloir te ressaisir lors de la dixième. Les huit autres n’ont pas été très réussies, pour la plupart.

— Ça va, j’ai compris...

Ronda glisse le dossier de Zayn dans un grand casier lumineux, là où toutes ses vies sont archivées. L’étiquette "SESHETA" brille un instant en violet. Un nouveau dossier apparaît dans un flash sur son bureau.

— Les informations sur ta nouvelle vie sont là. Avant d’y venir, n’oublie pas : c’est ta dixième vie. Si tu rates, ça sera—

— « La fin de tout. » – coupe Zayn dans un soupir. — C’est la neuvième fois qu’on me le dit…

(Règle numéro 10 : Une âme a le droit à un total de dix réincarnations maximum.)

— Et sûrement la dernière. – dit Ronda, posant sa main sur le dossier. — Sur ce… voici les informations sur ta nouvelle famille.
— La seule famille qu’il reste à Papa, c’est tante Lahila et oncle Judor. – répond Zayn, confiant. — Les deux sont riches, donc je n’ai pas à m’en faire.

(Règle n°6 : Nous renaissons toujours dans la même lignée. Nous serons alors l’enfant de notre cousin, petit-fils, tante, sœur, etc.)

— Il s’agit… d’une des sœurs de ton père. Haya Sesheta.

Le visage de Zayn se fige, son teint vire au gris lunaire.

— UNE AUTRE SŒUR !? C’EST QUI, CELLE-LÀ !?

Il n’en a jamais entendu parler. Même pas une rumeur. Une autre sœur de son père ? Depuis quand ?

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