Chapitre 3 (3/3)
Mirabella et moi nous lançâmes un regard. Soudain inquiet, je jetai un regard dans la salle, pour vérifier que la R.D.Â. n’était pas présente.
— Désolé, je n’aurais pas dû poser la question, s’excusa-t-il aussitôt.
— On bouge ? proposai-je en étouffant un bâillement.
— Ouais.
Après quelques salutations rapides, nous quittâmes le bar et nous engageâmes dans la rue sombre.
— Tu connaissais déjà Cole et Nybélia ? demandai-je à Célestin en gravissant les marches du long escalier.
— Oui. Cole et moi avons grandi ensemble. Nous sommes comme des frères. Et Nybélia vivait dans le même quartier que nous. On passait nos soirées à traîner ensemble, à refaire le monde. On était un trio inséparable.
Il marqua une pause avant d’ajouter, plus doucement :
— Puis, Cole et Nybélia ont fini par se mettre ensemble. Ce n’était plus comme avant. J’avais l’impression d’être la troisième roue du carrosse.
— Je vois.
— Ils se sont séparés juste avant qu’on vienne ici. Mais la gêne est restée… Alors j’évite de les voir ensemble.
— Ça te dérange pas ?
— Non. J’ai fini par m’y faire. Cole et moi, on s’est promis de garder un lien fort. Une soirée par semaine, juste tous les deux. Ça me va très bien comme ça.
— Ça doit être chouette, d’avoir quelqu’un sur qui compter depuis toujours.
Un silence s’installa avant qu’il ne nous retourne la question :
— Vous avez grandi seuls ?
Mirabella et moi échangeâmes un regard.
— Oui, répondis-je simplement.
— Pareil, fit-elle.
Célestin se pinça les lèvres.
— Ça a dû être dur… Je sais pas comment j’aurais fait sans Cole.
Je haussai les épaules, mais au fond de moi, un étrange sentiment monta. Une espèce de manque que je n’avais jamais vraiment analysé. Un lien fort et indéfectible avec quelqu’un d’autre… Qu’est-ce que ça pouvait bien faire ressentir ?
— J’avoue que je suis bien contente d’être ici, souffla Mirabella. Vivre avec mes parents était… irrespirable.
Un silence flotta. Puis, Célestin reprit sur un autre sujet :
— À votre avis, on va commencer par apprendre l’invisibilité demain ?
— Probablement, répondis-je. C’est le don qu’on partage tous, après tout.
— J’ai jamais compris pourquoi on devait être invisible, confia Célestin avec un demi-sourire.
Mirabella se racla la gorge et prit une voix grave et théâtrale :
— Hey, ça va mec ? Je viens récupérer ton âme. Un sucre avec ton café ?
Elle haussait les sourcils d’un air faussement sérieux. Célestin explosa de rire.
— Ouais, pas très rassurant comme approche, admit-il.
— Mon père m’a raconté qu’avant, nous étions visibles, reprit Mirabella. Un Maître de la Mort est allé récupérer une âme… et la femme du défunt l’a attaqué avec son sac à main. Elle l’a frappé encore et encore. Évidemment, il n’a pas bronché. On ne peut pas mourir, après tout. Mais figurez-vous qu’elle a quand même essayé de l’étouffer !
Célestin ouvrit de grands yeux, mi-amusé, mi-perplexe.
— Sérieux ?
— Véridique. C’est après cet incident que le Grand Conseil a décidé que nous devions maîtriser notre don d’invisibilité. C’est plus sûr… et surtout, plus sain.
— Ça se tient, reconnus-je en hochant la tête.
— Et puis, si vous voulez mon avis, c’est mieux de ne plus côtoyer les humains une fois qu’on commence à travailler, ajouta Mirabella d’un ton détaché.
— Tu les aimes pas ? demanda Célestin, intrigué.
Elle haussa les épaules.
— Pas vraiment. Avec le temps, j’ai fini par comprendre qu’ils sont… cruels, irrespectueux, idiots.
— Rien que ça ! s’exclama-t-il en riant.
Mirabella lui lança un sourire en biais, mais ne rajouta rien.
Je levai les yeux et constatai que nous étions arrivés. Après avoir souhaité bonne nuit à Célestin, je gravis les marches en silence aux côtés de Mirabella. Un sentiment étrange me traversa. Comme si quelque chose la pesait.
Je n’étais pas un expert en émotions, loin de là, mais…
— Tout va bien ? demandai-je, brisant le silence.
Elle tourna la tête vers moi, surprise, puis laissa échapper un soupir léger.
— Je suis juste fatiguée, ne t’en fais pas. Mais, merci de t’en soucier.
Elle me sourit faiblement, avant de déposer un baiser rapide sur ma joue. Puis, elle disparut dans sa chambre.
Je restai un instant immobile, la main sur ma joue, avant de secouer la tête. Moi aussi, j’étais épuisé. Je réalisai que je n’avais pas encore lu les pages que nous avait données Monsieur Tantum.
Après avoir enfilé mon short de pyjama, je me jetai sur mon lit, allumai mon Platphone et me plongeai dans ma lecture.
Je lus ma propre description :
« La Mort : Caractéristiques et Fonctionnement de son Âme
L’Âme de La Mort est de couleur noire, car elle résulte de l’absorption de toutes les âmes humaines. Par nature, La Mort adopte une posture neutre. Un(e) Maître(sse) de La Mort ne ressent aucune émotion intense, ce qui lui permet de conserver une objectivité absolue dans l’exercice de ses fonctions. Ses perceptions se limitent aux visionnages, qui lui offrent une compréhension des sentiments humains puisqu’il/elle les éprouve directement.
Le rôle du/de la Maître(sse) consiste à accompagner les individus dans leur libération avant l’effacement de leur âme. Toutefois, l’Âme de La Mort peut parfois présenter une teinte gris foncé. Cette altération se manifeste lorsque le/la Maître(sse) éprouve des émotions, ce qui est plus fréquent durant la jeunesse. Néanmoins, cet état demeure temporaire et disparaît une fois que le/la Maître(sse) maîtrise pleinement ses fonctions. »
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