Chapitre 7 (5/5)
Mirabella et moi dansions n’importe comment. Célestin prétendait jouer de la guitare. Derrière nous, Melvin et Vilenia faisaient une danse désarticulée. Timéo sautillait sur place avec énergie.
Malgré l’euphorie de notre groupe, je n’arrivais plus à profiter sans Alice. Étrangement, son départ avait laissé un vide. Alors, j’annonçai à mes amis mon désir de quitter la fête. Comme il se faisait tard, ils décidèrent de m’accompagner.
Les rues étaient calmes. Nous croisions quelques hommes encore dehors. Nous bavardions tranquillement à propos de la soirée rock, quand des voix brisèrent le silence de la nuit.
— Je t’avais dit que ça marcherait !
— Allez, déshabille-la !
Elles provenaient d’une ruelle étroite et mal éclairée. Un cercle de garçons y était formé. Ils devaient être sept ou huit. Parmi eux, je reconnus l’un des garçons qui étaient venus saluer Alice.
— Soulève ça !
Ils riaient. En m’avançant, je remarquai que l’un d’eux bougeait sa main dans son pantalon. Au milieu, je reconnus Alice, à moitié endormie.
Une rage incommensurable se répandit en moi. Cette scène faisait écho à celle que j’avais vécue dans l’âme d’Heidi. Cependant, cette fois, j’avais le pouvoir d’agir.
— Lâchez-la ! ordonnai-je.
Aucun mouvement.
— Lâchez-la, répétai-je d’un ton grave.
D’un geste vif, j’attrapai le premier garçon qui me passait sous la main et lui enfonçai mon poing dans le nez. Melvin se joint à moi et frappa un brun.
— Vous êtes sourds ? Cassez-vous ! lança Mirabella.
Le blond qui tenait Alice la laissa glisser au sol. Je serrais la mâchoire. Le garçon qui avait une main dans son caleçon finit enfin par la sortir.
— Vous avez un problème ? cracha le blond qui avait lâché Alice.
— Non, par contre, vous, vous venez de les trouver, répliqua Mirabella, prête à en découdre.
Un rouquin essaya de l’attraper. Elle esquiva le coup, saisit son bras, le tordit violemment. Il poussa un cri aigu.
— Lâche-moi, implora-t-il.
Elle leva son bras plus haut dans son dos, jusqu’à ce que des larmes se forment aux coins de ses yeux. Elle le repoussa avec le pied.
— On va vous niquer ! hurla un autre.
La bagarre fut rapide. Nous étions plus vifs. Notre corps supportait mieux la montée d’adrénaline et les affolements du cœur. Vilenia profita d’une ouverture pour se précipiter vers Alice. Elle vérifia son pouls. Se rapprocha pour sentir son souffle. Elle fronça les sourcils et se tourna vers nous.
— Ils l’ont drogué.
Ma rage s’amplifia. Je n’eus plus le contrôle de mes actes, mais j’en étais tout de même spectateur. Je pris la tête d'un des garçons et la frappai contre le mur. Je donnais un coup dans le ventre d'un autre.
Vilenia me héla, je me précipitai vers Alice. Je la soulevai d’un côté, Melvin vint m’aider de l’autre.
— Il faut qu’on l’emmène à l’infirmerie, suggéra Célestin. Il faut qu’on l’ausculte.
Arrivés à l’université, nous nous dirigions immédiatement à l’infirmerie. Elle se trouva juste à côté de l’accueil.
Une infirmière était assise derrière un comptoir en bois. Comme elle avait le nez plongé dans un bouquin, elle ne nous remarqua pas tout de suite. Je me raclai la gorge. Quand elle posa les yeux sur nous, une forme d’angoisse naquit dans ses yeux. Elle vint nous guider vers l’un des lits de camps.
— Que s’est-il passé ?
Je lui expliquais le déroulé de la soirée.
— Qui a fait ça ?
— Alice pourra vous le dire.
L’infirmière hocha la tête. Elle s’assit à côté d’Alice et prit sa tension. Puis, elle leva la tête vers nous.
— L’un de vous peut-il aller récupérer ses affaires ?
Je me proposai.
— Les autres, je vous demande de retourner dans vos chambres. Je m’occupe d’elle.
Après quelques adieux rapides, l’infirmière me lista des affaires à récupérer. Ensuite, elle récupéra les clefs d’Alice avant de me les tendre. Le numéro de sa chambre était indiqué sur le porte-clef : « Chambre 64, aile B. »
Je m’engouffrais dans le couloir. Au loin, la voix de l’infirmière faisait écho entre les murs. Je comprenais qu’elle prévenait les autorités.
Le couloir qui menait à sa chambre était large, peint en beige, avec des tableaux accrochés de toute part. De vastes fenêtres laissaient entrer la lumière des lampadaires extérieurs. Les numéros de chambre étaient dans l’ordre. L’aile B concernait les chiffres pairs.
Après avoir ouvert la porte, je constatai que sa chambre était bien plus grande que la mienne. Elle avait une vue sur les jardins. Le décor était moderne, épuré.
C’est donc ça, une chambre de riche ?
Sans perdre de temps, je réunissais les affaires demandées par l’infirmière. J’allais partir quand une photo attira mon attention. Une femme avec les mêmes traits qu’Alice, souriante, se tenait au côté d'un homme au teint caramel, une naissance de barbe sur une mâchoire carrée. Entre leurs bras, ils tenaient un bébé aux cheveux platines.
Je détournai le regard et retournai auprès d’Alice.
— Ça vous dérange si je reste un peu ? demandai-je à l’infirmière.
— Pas longtemps, d’accord ? Toi aussi, tu as besoin de te reposer.
Allongée là, Alice semblait si calme. Je n’arrivais pas à comprendre comment des humains pouvaient être aussi cruels.
La vie n'était-elle pas déjà assez compliquée pour détruire celles des autres ? Huit mecs sur une fille droguée ! Je n’en revenais pas.
La main d’Alice dépassait de la couverture. Avec douceur, je la replaçai au chaud. Je restai quelques instants à l’observer. Puis je me levai, déposai un baiser sur son front et partis.
Je montai les marches quatre à quatre, toujours soucieux de ce qui venait de se passer. Ce monde était en décalage avec l’idée que je m’en faisais à l’origine. J’étais perdu.
La sensation de ma bague me rassurait. C’était mon réflexe, quand j'étais anxieux. Je baissai les yeux et observai cette brume étrange qui continuait de se mouvoir. Elle s’agitait, comme prise dans une tornade. Et, au bout de quelques secondes, elle laissa place à une couleur gris clair. Je battis des paupières. Cependant la couleur ne bougea pas. Je gardais mon regard vissé dessus. Rien. Désormais, elle était fixe. Ce qui voulait dire que la couleur de mon âme avait changé. Il fallait croire que les ennuis continuaient.
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