Chapitre 1 (2/3)
Dans le ciel, les étoiles étaient englouties par l’éclat aveuglant de la civilisation. La Lune, elle-même, semblait effacée, disparue dans l’ombre de ce monde bruyant et agité. J’avais toujours ressenti une mélancolie éternelle face à ce gâchis, ce déni de la beauté céleste. Ne me demandez pas pourquoi, mais j’avais toujours été fasciné par ce spectacle nocturne, un mystère que mon père m’avait fait découvrir un jour, un souvenir gravé à jamais dans mon âme, comme une mélancolie douce et persistante.
La porte en bois brut gronda sous mes mains, et un air de poussière emplit mes narines alors que j’entrais. Pourtant, tout ici semblait neuf, d’une propreté presque irréelle. Une touffe de cheveux blonds, aux racines brunes visibles sur le sommet du crâne, se mouvait derrière l'écran d'un ordinateur. Le vaste bureau en bois d’ébène était imposant malgré l’immensité du hall.
Une femme rondelette, débordant d’enthousiasme, se leva d’un mouvement vif et m’accueillit chaleureusement. Sur son pull en laine rose bonbon, un badge scintillait, portant le nom de « Brendelia ».
— Bonjour Monsieur ! Puis-je voir votre pass d’entrée ainsi que votre pièce d’identité, s’il vous plaît ?
Le tic-tac insistant de l’horloge derrière Brendelia me pressait d’une urgence silencieuse. Je fouillai mes poches, entre quelques papiers de snacks et miettes oubliées. Quelques déchets s’écrasèrent au sol, et je ressentis le poids du regard vif de Brendelia se poser sur moi. Un morceau de carton, fripé et en partie déchiré, finit par émerger.
Quand je le tendis à la secrétaire, elle écarquilla les yeux, figée un instant. Mais sans un mot, gardant la bouche légèrement ouverte, elle observa mon pass.
Dans ma poche restante, ma pièce d’identité n’avait pas souffert du chaos.
Elle me scruta par-dessus ses lunettes épaisses, un regard perçant, mais sans jugement.
— Mattheus Occis… Mattheus Occis, murmura-t-elle en tapotant sur son clavier. Ah, vous êtes là ! Chambre 244, au second étage. Voici votre clé et le badge d’accès. Il vous permettra de pénétrer dans vos quartiers ainsi que dans l’aile gauche pour vos cours. Avez-vous besoin d’aide pour votre valise, Monsieur Occis ?
— Non.
— Très bien, Mattheus. Bonne soirée.
Derrière son comptoir, un escalier majestueux en marbre s’élevait, ses paliers s’étendaient vers le ciel, révélant un plafond qui semblait défier la gravité, distant de trois mètres ou plus à chaque étage.
Après avoir passé mon badge devant le scanner, un bip retentit, résonnant dans le silence du couloir. Son écho s’étira, me suivant jusqu’à ma porte, comme une présence invisible. Loin de l’apparence soignée et accueillante de l’extérieur, cet étage baignait dans une obscurité inquiétante dont les murs, drapés d’un noir abyssal, paraissaient avaler toutes lumières.
Je glissai la clé dans la serrure et, à l'instant où elle tourna, une sensation de soulagement s’empara de moi. L’odeur fruitée de l’orange flottait dans l’air, quelque peu inhabituelle après la lavande, parfum familier du réconfort.
La chambre, petite et austère, semblait un sanctuaire laissé à l’abandon. Le bois vieilli du mobilier était gravé de traces du temps, mais c’était tout ce que j'avais désormais. Le lit, la table de chevet, la lampe, l’armoire, le bureau, la chaise – tout paraissait figé, comme une scène d’un passé révolu. Seuls les rideaux beiges, flottant contre la fenêtre légèrement ouverte, donnaient de la vie à la pièce. Des draps du même acabit étaient pliés sur mon bureau.
Épuisé, je me laissai choir sur le matelas nu. Mes doigts s’attardaient sur la bague en or blanc, formant un serpent sinueux et indomptable, trônant sur mon majeur. Ses yeux d’onyx perçant l’obscurité, immobiles, semblaient me porter un jugement sévère.
« Pour te rappeler qui tu es… » m’avait dit mon père, en m’offrant ce premier cadeau. Un geste aussi rare qu’inattendu, qui avait entraîné un flot de questions dans mon esprit.
L'autre présent qu'il m'avait offert était un collier, orné d'un œil où dansait une éclipse, mystérieuse, au cœur de son iris. « Ta destinée. »
Bien que j'eusse accueilli ses cadeaux avec une certaine douceur, je savais que mon père n'agissait jamais par pur caprice. Ces objets, je le sentais, étaient liés à ma mission, à mon avenir. Je n'étais pas dupe. Avec le temps, j'avais appris à me taire, à laisser mes questions flotter sans réponse. Après tout, il ne dévoilait jamais ce qu'il jugeait inutile de savoir.
À l’aube de cette nouvelle vie, ses avertissements tournaient en boucle dans mon esprit, comme une vieille mélodie folle.
« Ne t’implique pas, Mattheus. » « Ne te mêle pas aux humains, Mattheus. » « Ne crée aucun lien, Mattheus. » « Ça pourrait être dangereux. » « Dangereux ! » « Danger… »
Une mélodie incessante, qui jouait avec mes nerfs. C’était comme si j’étais pris dans un filet invisible, une marionnette façonnée à son image. Mais quel danger pouvait-il bien y avoir pour un immortel, hein ? Personne ici n’avait la capacité de détruire mon âme, certainement moins les humains avec qui nous partagions les lieux.
En plus, ce n’était pas mon vrai père. Les Âmes Élues suivaient une sélection stricte, confiées à des Gardiens choisis par le Grand Conseil lui-même. Nous étions privés de libre arbitre. Cela nous empêchait d’agir de manière irréfléchie.
Que craignait donc mon père ?
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