Chapitre 2 (1/3)

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Les peintures qui ornaient les murs de l’école se mouvaient avec une grâce fluide, comme si elles répondaient à la cadence de mes pas. Leurs trajectoires m’étaient inconnues. Je me laissais emporter par la danse des formes, qui s’entrelaçaient et se mêlaient avec la sensualité d’un ballet céleste. Les dessins s’épanouissaient sous mes yeux, créant une mélodie secrète. Cela rappelait un air joué sur un instrument à bec, qui flottait dans l’air.

Que signifiaient ces œuvres vivantes ? Pourquoi étaient-elles là, sur ces murs froids et silencieux ?

Mon regard s’attarda sur une peinture végétale. Elle était étrange, irréelle. Des tiges vertes s’élevaient vers le ciel, frémissant sous la caresse d’une brise. Deux soleils éclataient dans un même feu. Leur chaleur palpable, douce, que je pouvais presque sentir sur mon visage.

La cloche de l’université brisa le silence. Son tintement réveilla une douleur sourde dans mon crâne.

Je n’avais plus le temps de flâner. L’angoisse montait en moi à mesure que j’avançais.

« Sois digne de ton vieux père » résonnaient les paroles de mon Gardien dans mon esprit. Malgré moi, je ne souhaitais pas le décevoir. J’avais besoin de prouver ma valeur à ce monde. De trouver ma place. J’avais vécu trop longtemps dans l’ombre de mon père.

Sur le chemin, une peinture attira mon regard. Elle représentait un sommet enneigé, baigné dans une brume épaisse et humide. Ce paysage me parut familier, mais j’étais incapable de remettre le doigt dessus. L’avais-je visité avec mon père ? Ou bien l’avais-je vu dans un documentaire ?

Ce ne fut pourtant pas cette sensation de déjà-vu qui me retenait. Non, ce qui me frappait, c’est qu’elle ne bougeait pas. Elle ne dansait pas, ne vivait pas. Elle restait figée. Comme si elle était… morte.

Le brouhaha des élèves me ramena à la réalité. À en juger par la foule qui se pressait au bout du couloir, je n’étais plus bien loin de ma destination. Quand je pénétrai dans la salle, Mirabella était déjà installée. Je m’assis à côté d’elle. Son expression concentrée, absorbée dans ses pensées. Puis, lorsqu’elle me remarqua, un sourire éclatant illumina son visage.

La R.D.Â., que j’avais aperçue plus tôt, entra dans la pièce dans un silence formel. Leurs pas lourds résonnaient dans la pièce. Plus personne n’osait faire le moindre bruit. Elle passa entre les rangs, nous observait longuement, avant de quitter la salle. Je me demandais s’ils répéteraient ce rituel à chaque cours.

— Bonjour à tous, fit la voix du professeur, rompant le silence pesant qui s’était installé. Je suis Monsieur Tantum — il écrivit son nom sur la géante tablette tactile derrière lui, d’une écriture bancale — votre nouveau professeur et guide de l’Âme et ses secrets.

Il se tourna vers nous d’un mouvement vif. Ses yeux qui nous perçaient comme des lances, balayèrent un à un chaque élève. Son visage, marqué par l’expérience, portait les traits d’un quadragénaire, orné d’une moustache touffue qui semblait garder les secrets du temps. Sa chevelure en bataille brillait légèrement. Sur son nez, une paire de lunettes à monture transparente, si petites qu’on ignorait comment elles restaient en place. Probablement par la force de son nez patate.

Ce qui m’intriguait le plus, ce fut son regard dur. Ses yeux portaient l’écho de mon père. Une vague de nervosité envahit mon corps, diffusée comme un poison dans mes veines. Mes mains devinrent moites. J’eus l’impression qu’il soudait mon âme, et qu’il cherchait à connaître mes faiblesses.

Pour trouver du réconfort, mes doigts s’égarèrent sur ma bague. Les pierres noires m’observaient. Je l’ôtai, observant chaque relief du serpent sculpté. Cela me permit de fuir le regard du professeur. Pourtant, ses prunelles me transperçaient, m’observaient, m’évaluaient. D’un geste maladroit, je rangeai la bague dans ma poche. Puis, je relevai la tête vers lui, pour garder un semblant de contenance.

— Avant que nous ne commencions, déclara-t-il, je veux que vous répondiez à une question fondamentale. La plus importante, peut-être. Qu’est-ce qu’une âme ?

Derrière lui, la question s’inscrivit sur la tablette. L’écriture flottait, comme une énigme suspendue dans l’air. Plusieurs mains s’élevèrent — y compris la mienne.

Facile comme question, me disais-je.

— Oui, vous, dit-il, pointant une élève à ma gauche, dont les cheveux roux cascadaient comme un fleuve de feu.

— L'âme, commença-t-elle d’une voix claire et assurée, est le noyau de l’être, le "soi" qui réside dans le corps et le guide. Sans l’âme, le corps serait un simple contenant vide, une coquille sans vie. C’est elle qui insuffle la vie, la pensée, la parole, les émotions, les désirs… Elle façonne la personnalité et l'identité, unissant le corps et l’esprit dans une danse éternelle.

— Très bien, mademoiselle, répondit Monsieur Tantum, c’est une définition complète, mais je souhaiterais que vous plongiez plus profondément au cœur de votre âme. Oubliez Lysara*, cherchez au fond de vous-même. Qui d’autre aurait quelque chose à ajouter ?

Deux, trois mains s’élevèrent.

— Oui, vous là-bas, indiqua-t-il en désignant un jeune homme. Sa voix s’était adoucie.

Mon camarade était d’une stature imposante, son teint marqué par le soleil du sud. Ses yeux aussi sombres que la nuit. Sa voix, grave et vibrante, s’éleva dans la salle :

— L’âme est la couleur de l’être, déclara-t-il avec assurance, sa signature unique à travers le corps. Elle n’est jamais lisse, toujours marquée, brisée parfois par le passage du temps. L’âme ne meurt jamais. Elle se forge, se transforme, voyage à travers les âges, se réincarne, se taille au fil du destin.

Monsieur Tantum laissa un moment de silence flotter, avant de s’exclamer avec une ferveur palpable :

— Oui ! L’âme a une couleur, une essence ! Une marque, une vérité profonde ! Oui !

Son exaltation résonna dans la pièce, comme une mélodie envoûtante.

Ses yeux glissèrent sur la salle. Il attendait une réaction de notre part. Comme si, à ses mots, nous allions nous lever comme un seul homme et l’applaudir. À la place, le silence régnait. Seul le bourdonnement des mouches, assez téméraires pour briser ce calme, venait rompre la pesanteur ambiante.

Son visage se tordit en une grimace, un éclat de frustration traversa brièvement ses traits.

— Vous ne disposez pas encore de la vue, dit-il, mais chacun de vous porte en soi une couleur d’âme, invisible à vos yeux. Moi, je peux percevoir chaque histoire, chaque vécu, chaque frisson passé dans cette salle. Je peux sonder votre âme, la puiser pour en extraire ce que je souhaite. Grâce à la couleur de votre essence, je sais qui vous êtes, quel est votre rôle ici. Cette couleur est fixe, immuable, votre essence ne change pas. Contrairement aux âmes humaines, qui, elles, sont... changeantes.

Il haussait les épaules, comme si ce mot, « changeante », ne méritait que peu d’importance. Il reprit son souffle.

— Ce n’est pas un nom très original, ajouta-t-il, un brin de moquerie dans sa voix. Et maintenant, vous allez sûrement me demander… — Il se racla la gorge et reprit d’une voix aiguë : — Mais monsieur, comment on fait pour voir une âme ?

Puis, il reprit sa voix initiale :

— Eh bien, il suffit d’ouvrir son esprit, d’élargir sa perception, de regarder au-delà des formes, de percevoir avec l’âme elle-même. Voir l’autre, dans sa profondeur, jusqu’au noyau de son être.

Cette fois-ci, le silence était chargé d’attente.

— Alors, que diriez-vous de vous exercer ? Vous allez commencer par observer vos camarades. Choisissez quelqu'un, et ensemble, nous allons apprendre à éveiller la vue.

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* C'est le moteur de recherche de notre époque, le seul que l'on puisse utiliser. Créé par Baptiste Estagia, un cousin d'Ekatya, en 2323. Aujourd'hui, c'est le seul outil qui existe, enregistrant chaque trace de notre historique, chaque clic. Et le pire, c'est qu'il est surveillé, constamment, par le gouvernement humain et le Grand Conseil.

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