Chapitre 2 (2/3)
Une voix féminine me parvint, douce comme le souffle du vent :
— On se met ensemble ?
Je levai les yeux pour croiser son regard océan, calme et mystérieux.
— Si tu veux, répondis-je.
Son sourire s’élargit jusqu’à ses yeux.
Après avoir disposé nos chaises face à face, nous nous plongeâmes l’un dans l’autre. Un voile de gravité s’installa sur le visage de Mirabella. Ses traits se figèrent, ses sourcils se froncèrent. Je sentis qu’elle s’était déjà enfoncée dans mon âme.
Prenant une profonde inspiration, je commençai à l’imiter. J’essayai de visualiser une ancre, n’importe quoi qui me permette de m’accrocher en elle. Puis, je sautai à mon tour dans son esprit.
Voir ne devait pas être aussi complexe. À l’inverse des humains, privés de ce don, nous étions, par instinct, doués. C’était presque comme une seconde peau. Nos âmes étaient entières, pures, achevées, comme un miroir parfait de notre être.
Mais, le chemin vers l’âme de Mirabella se révéla plus compliqué que prévu. Le lieu dans lequel je m’aventurais m’évoquait une peinture vivante. Le paysage m’entourait de sa douceur. J’eus envie de siffloter.
Je ne savais pas où m’orienter. Alors, je suivis un chemin de terre, qui se dessinait sur ma droite. Mais, bien vite, le lieu prit une tournure plus sombre. Des lianes se mouvèrent autour de moi. Elles m'encerclèrent de leurs bras noirs, visqueux, à l’image de serpents affamés.
Du mieux que je le pus, je me battis, arrachant les tentacules avec mes ongles. Seulement, leur force était démesurée.
Alors, je profitai de leur aspect liquide pour me laisser tomber. Je glissai sur le sol, et rampai pour sortir de ce piège. Une fois de l’autre côté, je sentis mon cœur battre. Un sourire s’étirait sur mes lèvres. J’eus un instant de fierté.
Face à moi se dressait un séquoia majestueux. Avec prudence, j’avançai vers lui, curieux. La nature chantait, d’une mélodie calme et apaisante. Quand j’arrivai devant le tronc, je remarquai qu’il était creusé en son centre. À l’intérieur, une lueur noire ondulait, vibrait, dansait.
Était-ce l’âme de Mirabella ?
Comme hypnotisé, j’approchai vers le spectre. Quelque chose attira mon regard. Derrière son âme, une lumière plus faible, verte, vacillait comme une flamme mourante. Avec légèreté, je levai la main vers elle, pour tenter de capter sa chaleur. Mais, avant que je ne puisse la toucher, un puissant élan m’éjecta de l’esprit de Mirabella.
En un instant, je retrouvai la réalité, sous le regard étonné de Mirabella. Ses sourcils étaient levés. Cela créait des vagues sur son front. Ses lèvres s’entrouvrirent. Mais aucun son ne franchit ses lèvres. Elle semblait aussi troublée que moi.
— Ça va ? fis-je dans un souffle.
Ses yeux fouillaient les miens. Puis, ses traits se détendirent. Elle murmura à son tour :
— O… Oui, ça va.
Sa voix me réchauffa. Le sourire qui se dessina sur ses lèvres fit disparaître les doutes qui m’assaillaient.
— Alors, tu as vu mon âme ? poursuivai-je.
Une émotion s’agita au fond de ses iris, si fugace que je ne sus la décrypter.
— Matt… répondit-elle tout bas. Oui, je… J'ai vu un morceau de ton âme, mais… J'ai également vu autre chose… Une lueur rouge, et je…
Avant qu’elle ne puisse continuer, une voix grave interrompit notre échange.
— Alors ? demanda le professeur d’un ton qui se voulait rassurant. Est-ce que vous vous en sortez ? Le chemin vers l’âme n’est pas toujours aisé, mais avec le temps, un seul regard vous permettra de voir sans effort. Pour le moment, concentrez-vous. Ne vous inquiétez pas, nous prendrons le temps de nous exercer.
Il ajouta, un sourire à peine perceptible aux lèvres :
— Pour la prochaine session, je voudrais que vous lisiez les pages cinq, six et sept. Cela concerne la signification de chaque couleur.
Je rangeai lentement mes affaires, mes pensées encore perturbées par notre exercice.
Un garçon passa à côté de moi. Il murmura quelques mots au professeur avant de se tourner vers nous.
— Pour que nous puissions tous faire connaissance, Melvin et moi avons réservé le bar « Le Repère » pour ce soir. C’est pas très loin. Si cela vous convient, on vous attendra là-bas à partir de dix-neuf heures.
Il nous adressa un sourire. Puis, il se remit en marche et récupéra ses affaires dans un mouvement fluide. Les voix enjouées des élèves résonnèrent entre les murs. De mon côté, je me sentis envahi d’une étrange solitude. Puisque j’avais toujours été privé du monde, nous ne pouvions pas me décrire comme quelqu’un de sociable. Une crainte me prit. Celle de ne pas plaire aux autres, de ne pas m’intégrer.
— Ça te dit qu’on y aille ensemble ? me lança Mirabella.
Son regard doux et curieux fixait le mien. Au fond de moi, j’eus presque envie de l’étreindre. Je la remerciais silencieusement pour sa proposition. Elle soulageait mon angoisse d’y aller seul.
— Pourquoi pas ? répondis-je, le cœur un peu plus léger.
Nous traversâmes ensemble le chemin vers les dortoirs. Lorsqu'elle commença à monter les marches, elle se tourna vers moi.
Elle s’apprêtait à parler, mais une voix m’interpella avant qu’elle n’en ait le temps.
— Mattheus, on m’a laissé ça pour toi.
Brendelia me tendit une enveloppe vierge. Intrigué, je saisis le message et sortis la feuille glissée à l’intérieur.
"Tu me dois un nouveau livre. Réf. 559638, trouvable facilement en librairie. Viens toquer quand tu l’as. Alice, Bât. B, chambre 64."
Bâtiment B... C'était l'aile des humains. Comment avait-elle su qui j’étais, sans même connaître mon prénom ? Et comment Brendelia avait-elle su à qui remettre cette lettre ?
— Qu’est-ce que c’est ? me demanda Mirabella tandis que nous montions les marches vers notre étage.
— Une erreur.
Je froissai la lettre entre mes mains, avant de la jeter dans la première poubelle que je vis.
— On se retrouve sur le seuil dans une trentaine de minutes, ça te va ?
— OK.
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