Chapitre 3 (2/3)

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Je lançai un signe de tête à Melvin, qui me répondit par un salut militaire exagéré, un sourire en coin. Alors que je suivais Mirabella, je jetai un dernier regard vers lui. Je le surpris à observer la jeune femme, mais lorsqu’il croisa mon regard, il détourna aussitôt les yeux vers le reste du groupe.

— Je te sauve des griffes de ce type, il parle trop.

Je haussai un sourcil, sceptique.

— Moi, je l’ai trouvé sympa.

— Moi, je l’ai trouvé prétentieux.

— Ah bon ? répliquai-je, surpris. Qu’est-ce qu’il a dit de si particulier ?

Mes parents me laissaient sortir, je pouvais collectionner des objets et blablabla… Sérieusement, t’as vu comment il se la raconte ?

D’un geste parfaitement synchronisé et absolument pas discret, nous lui jetâmes un regard appuyé. Melvin riait fort, s’animant sur la banquette comme un conteur passionné, ses muscles se contractaient sous l’enthousiasme.

— Franchement, je ne vois pas où est le problème, lui fis-je remarquer.

Mirabella laissa échapper un soupir.

— Je sais pas… Je le sens pas.

Mon esprit fut frappé d’un doute. Qui de nous deux avait le meilleur instinct ? Je ne connaissais ni Melvin ni Mirabella. Pourtant, une complicité s’était tissée entre nous, comme un fil invisible. Pourquoi le détestait-elle ?

Après avoir commandé deux bières en bouteille – hors de question de poser mes lèvres sur ces verres douteux – Mirabella m’attira vers une autre banquette. Des visages familiers se dessinèrent. Notre assise vibra légèrement sous les mouvements excités de Melvin derrière nous.

— Non mais sérieux, il peut pas arrêter de gesticuler comme ça ? grommela Mirabella.

Je laissai échapper un rire discret. C’est vrai qu’il dégageait une énergie débordante.

— Salut vous deux, lança une voix posée.

Je me tournai vers un garçon aux yeux vairons.

— Moi, c’est Célestin. Et lui, c’est Cole, ajouta-t-il en désignant son voisin d’un geste du pouce. Petite mise en garde : ne croyez jamais un seul mot qui sort de sa bouche.

Cole lui administra un coup de coude, mais son sourire trahissait son amusement.

— Et la petite naine au bout, c’est Nybélia.

Eh ! protesta-t-elle aussitôt.

Célestin se contenta d’un sourire malicieux avant de poser son regard sur nous. Mon attention se fixa sur lui. Son visage était… parfait. Il incarnait tout ce que je trouvais captivant chez les gens. Ses yeux – l’un bleu, l’autre marron – semblaient capables de voir le monde sous deux angles différents. Sa peau, teintée de reflets rosés, contrastait avec la mienne, bien trop pâle. Ses cheveux châtains, agrémentés de nuances bleutées, évoquaient les plumes d’un corbeau sous la Lune. Et son sourire, ourlé d’une bouche dessinée à la perfection, dévoilait des dents éclatantes, impeccables. Fascinant.

Cole, assis à sa gauche, lui ressemblait trait pour trait, à une seule différence : ses yeux, d’un bleu et d’un vert perçant.

Absorbé par l’étude silencieuse de leurs visages, j’en oubliai Nybélia. Je me rattrapai aussitôt, et tournai mon attention vers elle. Elle était effectivement menue, mais cela ne l’empêchait pas d’irradier une énergie solaire. Ses longs cheveux bruns cascadaient sur ses épaules, et encadraient un regard qui pétillait de malice.

— Oui, je suis une Naturelle*, répondit-elle à Mirabella, qui venait de lui poser la question. Et vous ?

— La Mort, comme Matt, répondit Mirabella en me désignant d’un geste vif.

Je hochai légèrement la tête en guise d’approbation.

— Et vous deux ? Poursuivit-elle. Vous êtes des Cupidons, je me trompe ?

Un même sourire illumina les visages de Célestin et de Cole.

— Tu te trompes pas, c’est exactement ce que nous sommes, répondit Cole.

— Cupidon ? Répétai-je. Ça consiste en quoi, exactement ?

— À faire naître l’amour dans le cœur des humains.

— Vraiment ? demandai-je, intrigué. Et… à quoi ça sert, l’amour ?

Célestin manqua de s’étouffer avec sa bière, recrachant une gorgée sous l’effet de la surprise.

— Attends mec, t’es sérieux ?

— Bah… ouais, pourquoi ?

Un éclat moqueur traversa son regard.

— Tu fais bien partie de La Mort, toi, lâcha-t-il en riant.

Je ne comprenais pas où il voulait en venir. Bien sûr, j’avais vu des documentaires, des séries, des films sur l’amour. Je savais ce que c’était. Mais, pourquoi vouloir influencer ce sentiment ? Pourquoi s’évertuer à le provoquer, à le guider ? Était-il si essentiel dans la vie des humains ?

— Eh ! s’écria Mirabella, outrée. Je fais aussi partie de La Mort, je te signale ! Et pourtant, je sais très bien à quoi sert l’amour !

Célestin éclata de rire. Puis, il m’expliqua sa définition de l’amour. Ses yeux s’animaient quand il en parlait.

— Je dirais même qu’il dirige le monde. On est tous accros à ça, d’une manière ou d’une autre, finit-il.

Dirige le monde, n’exagérons rien, soufflai-je en roulant des yeux.

Célestin secoua la tête, amusé.

— Tu n’imagines même pas ce que les gens sont capables de faire par amour. J’en déduis que t’es jamais tombé amoureux, hein ?

— Non.

— C’est rare, l’amour. C’est encore plus rare que ce soit réciproque.

Je haussai légèrement les épaules.

— Pour le provoquer, j’imagine qu’il faut rencontrer du monde… Ce qui n’a jamais été une option avec mon père, précisai-je.

— Comment ça ?

Je lui racontai en quelques phrases mon enfance passée entre quatre murs, sous le joug d’un homme trop protecteur ou peut-être tout simplement trop strict. Son visage se crispa sous l’effet du choc. Puis, il se tourna vers Mirabella, et lui demanda si elle avait vécu de la même manière que moi.

— Plus ou moins. Pendant longtemps, non. Mais, à mes seize ans, tout a changé.

Une lueur de tristesse traversa ses yeux. Mais elle secoua la tête et se reprit aussitôt. Elle nous raconta rapidement qu’après ses seize ans, ses parents l’avaient presque enfermée à clefs dans sa chambre, sans plus lui laisser voir la lumière du jour.

Célestin l’écoutait avec horreur. Il nous posa encore quelques questions, intrigué d’autant de cruauté, avant de nous confier qu'il avait baigné dans un cocon familial. À l’inverse de nous, quitter son foyer avait été difficile.

Puis, je lui demandai si, en tant que Cupidon, il avait lui-même connu l’amour qu’il décrivait. Un éclat de tristesse traversa ses yeux vairons. Je levai une main hésitante, prêt à lui apporter la chaleur de mon corps. Seulement, je ne savais pas s’il était normal d’avoir un geste pareil. Alors, je laissai retomber ma main sur la table. Il me répondit par un sourire timide. Mirabella était également perdue dans ses pensées.

Célestin fut le premier à rompre l’atmosphère pesante en se raclant la gorge.

— Vous pensez qu’il va bientôt crever ? lança-t-il.

Je haussai un sourcil.

— Hein ?

D’un mouvement de tête, il désigna le serveur derrière le bar.

— Qu’est-ce que j’en sais ? répliquai-je.

— Vous êtes pas censés la sentir, vous, la Mort ?

— La mort ? Oui. Mais là, je sens plus rien depuis deux heures, à part l’odeur de vomi, grognai-je, une grimace de dégoût sur le visage.

Célestin éclata de rire.

— Ce n’est pas être trop dur, de causer la mort ?

Causer la mort ? Non. On tue pas. On fait que récupérer l’âme d’une personne qui est déjà partie. Ce n’est pas à nous d’agir sur le cycle de la vie.

— Va dire ça à Ekatya et son mari, lança-t-il d’un ton amer.

Les paroles de mon père résonnèrent dans mon esprit, comme un écho lointain. C’était elle, la créatrice des médicaments d’immortalité partielle, dont l’ambition avait mis en péril l’avenir même de notre race.

— Et vous, vous en pensez quoi ? demanda-t-il en baissant la voix.

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* Naturels (n.m. ou n.f.) : Individus chargés de veiller sur la nature et d’entretenir l’équilibre écologique. Ils s'occupent de faire pousser les fleurs et les arbres, d’entretenir les bouquets, de faire couler l’eau, de la purifier, et de prendre soin de tout ce qui touche à la faune et à la flore. Contribue à la survie humaine.

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