Chapitre 5 (7/9)
Heidi et Karl couraient à toute vitesse, leur souffle lourd et irrégulier, emportés par l’urgence du moment. Mes poumons me tiraillaient. Leurs pas résonnaient dans la nuit, tandis que derrière eux, une horde de policiers hurlait des ordres furieux. Ils prirent un virage. Un autre. Ils escaladèrent un grillage. Ils franchirent un muret, mais se retrouvèrent face à un mur. Un cul-de-sac. Le piège s’était refermé sur eux.
Au-dessus d’eux se trouvait une échelle, bien trop haute pour y grimper à deux. Le regard de Karl se fixa dans celui d’Heidi. Un adieu silencieux s’y dessina. Les mots n’étaient pas nécessaires. Leurs âmes se comprenaient.
— Non... souffla-t-elle, les yeux emplis de terreur.
Elle ne pouvait pas le perdre, pas maintenant, pas après tout ce qu’ils avaient traversé ensemble. Son cœur se brisait à l’idée de continuer seule. Son père était tombé pour la cause, et elle ne pourrait pas survivre à un tel vide. La solitude était une option qu'elle refusait d'accepter, elle préférait mourir que de vivre sans lui.
Mais Karl, plus résolu que jamais, ne l'écoutait pas. D'un geste ferme, il la prit par la taille, la soulevant avec force. Il la hissa vers l’échelle, mais elle lutta. Au bout de quelques secondes, elle se résolut à attraper le métal froid. Une fois sur la plateforme, elle tendit une main vers lui. Son regard chercha désespérément le sien. Mais il ne la saisit pas.
— Je t’aime, murmura-t-il avant de disparaître dans l'ombre, courant sans un regard en arrière.
Les bruits des coups résonnèrent alors dans la rue, accompagnés des sanglots étouffés d’Heidi. Un cri silencieux d’agonie se forma dans ma gorge, une douleur insoutenable. Tais-toi ! suppliai-je intérieurement, mais les mots ne pouvaient pas lui parvenir. L’odeur du sang, sucrée et métallique, s’échappa dans l’air. Tout ce que je pouvais entendre, c’était le bruit sourd de la fin.
Le monde d’Heidi venait de s’effondrer. Elle était allongée en position fœtale, pleurant son désespoir, ses larmes tombant comme une pluie glacée. Elle avait tout perdu.
Une boule énorme, noire de douleur, se noua dans ma gorge. Une autre, plus lourde encore, se forma dans mon ventre. Une rage dévorante, incontrôlable, m’envahit. J’avais envie de hurler, de tout détruire. Comment pouvaient-ils supporter de vivre ainsi, avec ce poids écrasant sur les épaules ?
Et pourtant, au milieu de cette tourmente, une sensation nouvelle se réveilla en moi, forte et pure. La douleur, l’angoisse, tout cela m’enveloppait, mais il y avait aussi cette sensation inédite : la vie. Une vie palpitante, brisée et entière à la fois. C’était un feu sauvage, brûlant et pur, qui me traversait avec une intensité que je n’avais jamais connue.
Et malgré la tristesse, malgré le chaos, une vérité s’imposa : ce feu, cette sensation, c’était la vie qui me saisissait. Et putain, qu’est-ce que c’était bon !
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