Chapitre 7 (1/5)
Quand j’arrivai dans la cour, je repérai rapidement Célestin, en pleine discussion animée avec son frère.
—… t’ai déjà dit non ! tonna Célestin, agacé.
— Qu’est-ce que tu peux être coincé du… Oh, salut Matt !
Cole m’adressa un sourire à pleines dents, alors que Célestin m’accueillait avec un air boudeur. Je leur demandai quel était l’objet de leur querelle. Cole se tourna vers moi avec une énergie théâtrale :
— C’est bientôt l’anniversaire de Monsieur le Prince.
Il se plaça devant son frère en accompagnant ses mots d’une révérence exagérée. Célestin lui répondit en levant les yeux au ciel.
— Et il refuse que je lui paie un gigolo.
J'avalai de travers et toussai bruyamment. Le mot « pardon » sortit à peine de ma gorge.
— Ah, tu vois ? répliqua Célestin.
Il agita les bras, excédé. Son frère leva les yeux au ciel. Ils continuèrent leur discussion. Cole proposait des cadeaux plus farfelus les uns que les autres. Au moment où il lui proposa un saut sans parachute, Mirabella vint nous saluer avec sa grâce habituelle.
Tandis qu’elle se joignait à la conversation agitée, je glissai mon regard sur elle. Nous n’avions pas pu échanger à propos de notre cours commun. Je devais avouer que j’étais inquiet pour elle. Puisqu’elle n’était pas du genre à partager ses émotions — je ne pouvais pas l’en blâmer — j’ignorais ce qu’elle pensait. Pour l'heure, je me contentai de l’observer en silence et essayai de noter le moindre signe d’un trouble naissant.
Sur le trajet, Vilenia, Melvin et Timéo se joignirent à notre groupe. Ils discutèrent des cours, avant que ça ne dérive sur le Grand Conseil et son traitement injuste. Timéo nous expliquait sa théorie du complot numéro trois quand je sentis mon Platphone vibrer dans ma poche.
Alice.
Depuis la soirée, nous avions échangé quelques messages. Rien de très intéressant. Elle ne cessait de me questionner pour obtenir des informations et avancer sur son enquête. Seulement, je ne pouvais rien faire pour elle. Ce n'était pas par indifférence. Je ne souhaitais pas mettre sa vie en danger.
Une fois devant la salle, nous gagnions notre premier cours d’Histoire de la vie. Pendant que nous nous installions, j'en profitais pour prendre des nouvelles de Mirabella. Elle me raconta ses histoires avec le brun de la soirée, avec qui elle n’avait pas accroché.
Durant notre conversation, je remarquai que Melvin nous observait. Quand il capta mon regard, il détourna les yeux.
Derrière lui, je surprenais une autre paire d’yeux vissée sur moi, ambrés, intenses, que je n'avais jamais remarqués auparavant.
Était-il nouveau ?
Des mèches châtaines tombaient sur ses joues. Ses lèvres se fendirent d'un sourire étrange, presque mystique. Un frisson fit trembler mon corps, comme un mauvais présage. Je l’ignorais.
Le contact fut rompu quand le professeur entra d’un pas claudicant. Il ne prit pas le soin de nous saluer verbalement et se contenta de pousser un grognement presque animal. Sa tête pendait sur son épaule droite. De taille moyenne, il était sec comme un fil. Son apparence était étrange, irréelle.
D’un geste maladroit, presque désarticulé, il vida le contenu de son sac sur la table.
— Putain de bordel de…
Nouveau grognement. Il fouilla frénétiquement les poches de sa besace. Ses mains tremblaient.
Après quelques efforts supplémentaires, il finit par sortir une craie. Quand il se retourna, il constata — accompagné d’un soupir d’exaspération — que le tableau face à lui était en réalité une énorme tablette tactile. Il poussa quelques jurons supplémentaires.
Pour la première fois, il pivota vers nous et offrit la vue de son visage serpentin : Des yeux jaunes comme le soleil, un nez aussi plat qu'une limande, une bouche gonflée qui rappelait deux saucisses. Sur ses joues étaient parsemées des écorces.
— Ne vous fiez pas à mon apparence, je reviens d’entre les morts.
Sa voix était rauque et granuleuse. Il reprit :
— C’est une longue histoire.
Sa main remuait mollement.
— Je serai votre professeur d’Histoire de la vie, comme vous l’avez probablement deviné. Je suis Monsieur Dutronc.
Avec quelques difficultés, il s’adossa contre son bureau, avant d’ouvrir les brindilles qui lui servaient de bras tel un messie. Il commença alors le cours : l’histoire des Altruistes.
— Les premiers de notre genre sont les Naturels, arrivés durant l’ère paléozoïque, au même titre que les reptiles. Nous avons trouvé notre création dans les fonds marins, sous une énorme roche émergeant des vagues. Au départ, nous n'avions pas une apparence humaine. Au fil du temps, nous avons évolué.
« Les Naturels régissèrent le monde pendant des siècles. Ils s’occupaient de la pousse des arbres, des fleurs. De l’approvisionnement et de la purification de l’eau. Ils contrôlaient le vent, la pluie et tout ce qui était lié au climat.
« Puis les humains sont arrivés… Ces vermines, pustules de ce monde ! De vraies merdes, des pourritures, des…
Le professeur laissait couler les insultes en cascade. Un élève dut l’interrompre pour qu’il reprenne ses explications.
— Pardon, pardon… Je me suis laissé emporter par l’émotion… Où en étais-je ? Ah, oui : avec leur arrivée, les règles ont évolué. Pour les accompagner, de nouvelles races d’Altruistes ont vu le jour.
Le Grand Conseil fut, à l'origine, fondé par des Naturels. Avec le temps et l’apparition des Altruistes, il avait évolué. Les conditions de vie de la planète avaient également changé. Elles entraînèrent des territoires à leur extinction. Ceux-ci étaient les zones qui nous étaient attribuées lors de la prise de nos fonctions. Nous avions deux façons de nous « éteindre » : soit lors d’une éclipse, qui annonçait l’heure de la relève ; soit lorsqu’un de nos territoires mourait. Chaque Altruiste était responsable de sa zone. Nous signions notre métier de notre vie.
Ce qui expliquait le déclin des Maîtres de La Mort. Les humains étaient partiellement immortels, ce qui réduisait les zones de chacun. Nous n’étions pas les seuls. Les Naturels, qui avaient vu la nature se réduire drastiquement, n’avaient plus besoin de couvrir autant de lieux.
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