Chapitre 7 (2/5)
La cloche se répandit en un écho entre les murs et annonça la fin du cours.
— Franchement, les humains sont un fléau pour la planète ! s’exclama Mirabella, quand nous sortîmes de la salle.
— Tu parles comme Monsieur Dutronc, lança Vilenia.
— Parce qu’il a raison.
Célestin, Melvin et Timéo sortirent à leur tour et nous rejoignirent avec enthousiasme. Nous débattions sur Monsieur Dutronc et sa haine des humains quand un bruit métallique résonna dans le couloir. Au fur et à mesure, l’écho se rapprocha, jusqu’à s’arrêter à nos côtés. Madame Brindillovan, accompagnée de la R.D.Â., m’observait, les lèvres pincées.
— Mattheus, je te prierais de me suivre, dit-elle, le ton aussi glacial qu’un sommet enneigé.
Mes yeux glissèrent sur elle, pour s’attarder dans les regards inquiets de mes amis. Sans trop savoir pourquoi, je fus envahi d’un sentiment de peur. Pour ne rien montrer, je me redressai avec honneur.
D’un hochement silencieux, je saluai mes amis, qui continuaient de m’observer avec stupeur. Puis je suivis Madame Brindillovan qui m’attendait. Alors que nous marchions dans un silence religieux, je sentais des émotions naissantes flotter dans le creux de mon estomac. Je percevais leur souhait de s’exprimer. Pourtant, je n’en fis rien. Les leçons de mon père me servaient, finalement.
Le trajet fut interminable. Nous passions de couloir en couloir, sans jamais un instant de répit. Tout ce que je voulais faire, c’était fuir. Me cacher sous une roche, comme un cloporte. Au lieu de quoi, mes jambes portaient le poids de l’attente.
Notre petite troupe finit par s’arrêter devant une étroite porte en bois. Ma professeure me fit entrer, puis elle me pria de m’installer sur la chaise en métal. Sous mon poids, elle grinça d’un avertissement discret. Le pied gauche était instable, j’eus l’impression qu’elle allait céder.
Madame Brindillovan avança d’une lenteur contrôlée, laissant derrière elle la R.D.Â., gardienne de la porte. Quand elle prit place derrière son bureau, elle croisa les doigts et me lança un regard franc. Il pénétra en moi comme un vent agité.
Je me tenais toujours droit, l’air de dominer la situation. Une respiration maîtrisée, un menton relevé. Un vrai soldat du Grand Conseil. Alors qu’au fond, je n’étais qu’un ver de terre entortillé, prêt à céder sous le poids du stress.
— Peux-tu m’expliquer pourquoi ton badge est remonté dans la liste des autorisations, sur le dépôt Est, il y a cinq jours ?
Son ton autoritaire me glaça l’échine.
Bien sûr. Le badge. J’avais complètement oublié ce détail. Qu’est-ce que je pouvais être stupide !
— Eh bien…
Je me léchais les lèvres pour me donner le temps de la réflexion. Seulement, Madame Brindillovan ne souhaitait pas me laisser le moindre répit. Elle se leva et posa ses deux mains à plat sur le bureau. Le bruit étouffé m’arracha presque un sursaut, que j’évitai de justesse.
— Non seulement tu as pénétré dans un lieu réservé au personnel, mais, en plus de ça, tu y es entré avec une humaine.
Pour accompagner son geste, elle attrapa un dossier sur une pile de documents à sa droite et l’ouvrit. Ses yeux suivaient une ligne. Elle hochait doucement la tête, l’air concentré, avant de reporter son attention sur moi.
— Alice Valmorin. Née le quatre mai trois mille soixante-quatre à Vantaris. Là-dedans — elle secoua le dossier —, j’ai toutes les informations la concernant. Avons-nous besoin de l’éliminer, Mattheus ?
Elle m’observa avec intensité.
— Je te le répète, que faisiez-vous là-bas ?
— On cherchait un endroit calme pour… Pour batifoler, répondis-je d’une voix sûre et distincte. Vous comprenez, elle avait un peu bu, et elle voulait me… Enfin, vous avez compris.
Elle jeta le dossier sur son bureau d’un geste sec. Son regard remonta vers le mien, m’observant avec sévérité. J’eus l’impression qu’elle essayait de fouiller les tréfonds de mon esprit, pour y déceler le mensonge caché.
— Sais-tu qu’il est strictement interdit d’emmener des humains dans cette partie de notre école ? Comprends-tu que je pourrais te faire arracher, ici et maintenant ?
Une lueur de colère brilla dans ses yeux, comme une flamme ardente. Son ton sec me fit douter de ma propre existence. Pourtant, je réussis à garder mon calme. Avec assurance, je me redressai, un désir de protéger Alice qui brûlait dans mon âme.
Les traits de ma professeure finirent par s’adoucir. Un sourire s’étira sur ses lèvres, répandant sa chaleur.
— Évidemment, je ne le ferais pas. Tu es l’un de nos éléments prometteurs, et je ne voudrais pas gâcher ton avenir. Je vais effacer toute trace de ton passage et ne vais pas te dénoncer au Grand Conseil. Mais que je ne t’y reprenne plus, est-ce bien clair ?
— Oui.
Son sourire s’élargit, dévoilant ses dents de devant. Elle s’approcha de moi et posa une main sur mon épaule. Elle me dominait de toute sa hauteur. Sa main caressa ma joue dans un silence inconfortable. Avec son index, elle releva mon visage vers elle. J’eus presque l’impression qu’elle allait caresser mes cheveux, comme l’on caresse son poulain obéissant.
— J’ai confiance en toi, Mattheus. Ne me déçois pas. Nous t’aurons à l’œil.
Quand elle m’annonça que j’étais libre de disposer, je sentis un poids tomber de mes épaules. Avec la prudence d’un chat pris au piège, je sortis de la pièce. Les deux colosses de la R.D.Â. encadraient la porte, si bien que je dus me glisser entre eux.
Une fois que j’étais hors de vue, je courus sur la pointe des pieds et sortis dans la cour. L’air frais me fouetta le visage, dans une douloureuse libération. Je reprenais mon souffle. Non pas essoufflé par ma course, mais par cet échange.
Me surveillait-elle à l’instant ? Est-ce qu’on allait me suivre à chaque moment ? Ou bien n'était-ce que des menaces en l’air ?
Je remontais dans ma chambre, tripotant nerveusement ma bague. Je jetai un coup d’œil dessus et fus surpris d’apercevoir la couleur onyx se mouvoir de manière inhabituelle.
Je n’eus pas le temps de m’attarder à sa contemplation que mon Platphone vibra dans ma poche. Je constatais plusieurs messages non lus, en majorité sur notre groupe d’amis.
Vilenia nous proposait de la rejoindre, en compagnie de Melvin et Timéo, à une soirée rock qui se déroulerait en ville dans la soirée. Après avoir pris contact auprès de Mirabella et de Célestin qui étaient partants, on se donna rendez-vous dans le hall. Ils m’accueillirent avec un air inquiet.
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