Chapitre 7 (3/5)

6 minutes de lecture

Je n’eus pas le temps de saluer Mirabella et Célestin qu’ils m’assaillirent de questions. Je jetai un regard circulaire avant de les attirer à l’extérieur. Nous empruntions l’escalier de pierre. Quand je fus certain que personne ne traînait dans les parages, je leur racontai mon entrevue à voix basse.

Mirabella fronçait les sourcils à mesure que je détaillais ma soirée.

— Mais pourquoi t’as fait ça ? me coupa-t-elle quand j’évoquai Alice.

— Arrête de l’engueuler comme si c’était sa faute, me défendit Célestin.

— C’est pas ce que je dis… Mais risquer sa vie pour une humaine…

— C’est notre rôle de veiller sur les humains !

Un silence s’installa. Chacun de nous était plongé dans ses pensées. Malgré les doutes que je pouvais avoir, rien ne m’empêcherait de protéger Alice. Il fallait également que je me protège, mais je pouvais aisément faire les deux. Pour le moment.

Mirabella nous fit signe de la suivre. Nous empruntions une ruelle animée, avant de nous arrêter devant une devanture délabrée. Un fast-food. À l’intérieur, la foule se serrait en une file bordélique. L’odeur qui régnait réveilla mon estomac en feu.

— Oh Grand Conseil, ça sent trop bon ! lâchai-je, la bave sur le coin des lèvres.

— J’ai la méga dalle, répondit Célestin qui salivait autant que moi.

Mirabella se mit sur la pointe des pieds puis se tourna vers nous :

— Montez pour réserver une table et envoyez-moi votre commande. J’ai peur qu’on n’ait plus de places avec ce monde !

Célestin m’emboîta le pas. En haut, les tables étaient presque complètes. Nous en choisîmes une au fond de la pièce. Sans m’attarder, je scannai le QR code et envoyai mon choix à Mirabella.

Une fois que l’on eut reposé nos Platphones sur la table, nous discutâmes de la soirée déguisée. Comme il était une oreille attentive ainsi que de judicieux conseils, j’eus envie de me confier à lui. Je lui reparlais d’Alice et de la vapeur qui avait émané d’elle lorsque nous discutions.

— Mais ce qui était le plus étrange, c’est que cette vapeur sentait… bon. Rien à voir avec l'odeur de la mort.

— Cette vapeur, est-ce qu’elle ondulait autour d’elle quand elle bougeait ?

Je hochais la tête.

— Eh bien ça, mon jeune ami, c’est ce qu’on appelle les phéromones !

Célestin s’avachit contre le dossier de sa chaise, un bras derrière le dossier.

— Ça veut dire qu’elle t'attire… Sexuellement.

Ses yeux pétillaient de malice.

— Quoi ?!

— Eh oui, répondit-il, un large sourire aux lèvres.

— Mais elle m’attire pas du tout !

Mon ami fit une moue amusée et m’observait sans un mot. Il battait des paupières, la bouche pincée. Mon visage était figé, mon expression aussi blasée que possible.

— Elle est sympa, mais les humains, c’est pas trop mon truc.

— Hum hum.

Je me penchais au-dessus de la table.

— Non, sérieux mec. Je voulais juste savoir si tu savais un truc à propos de cette vapeur. C’est la première fois que je voyais ça.

Son sourire s’affaiblit. Ses hanches dansaient de malaise sur sa chaise. Ses yeux détaillèrent chaque visage avant qu’il ne s’approche de moi.

— Ouais, maintenant que tu le dis… T’es pas censé voir les phéromones. Moi oui, car je suis un Cupidon. On est les seuls à pouvoir le voir. C’est ce qui nous permet de déterminer l’attirance entre deux êtres.

J’observais quelques personnes derrière nous.

— Donc là, dans la salle, tu le vois ?

— Pas sur tout le monde. Mais oui, je le vois. Toi, tu peux repérer la mort. Moi, je peux repérer l’amour.

Je détaillais les humains. D’eux se dégageait cette fameuse vapeur. Je clignais des yeux. Tout se dissipa.

Ce n’était pas la seule chose que je remarquai. Toutes les personnes qui nous entouraient observaient Célestin. Avec intensité. Le genre : yeux doux, bouche entrouverte, à la limite de baver. Comme s’ils étaient amoureux. Ou admiratif.

Je tripotai ma bague. Ce n'était pas agréable de sentir tous les regards braqués sur soi. J’eus l’impression qu’on m’observait avec jalousie.

Les pierres de ma bague continuaient de diffuser une couleur brumeuse. Étrange.

— J’comprends pas comment tu peux la voir. J’ai jamais entendu parler de ça.

Je haussai les épaules.

Mirabella arrivait à nos côtés, déposait lourdement le plateau sur la table, avant de s’affaler à mes côtés.

— Eh beh ! C’était la cohue en bas.

Célestin récupéra cinq hamburgers sur le plateau. Je fronçai les sourcils en le voyant faire.

— Allez, bon app. Mangez bien, parce qu’après, on va danser, fit Mirabella, agitant ses épaules.

Je grimaçais.

— On peut pas apprécier de la bonne musique sans devoir se donner en spectacle ?

Mirabella me fit un sourire en coin.

— Fais comme tu veux. Mais, pour moi, bonne musique veut dire danse, et danse veut dire « je ne rentrerai pas seule ce soir ».

Célestin étouffa un rire. Je lui lançai un regard discret, une lueur amusée dans les yeux. Puis je reportai mon attention sur Mirabella.

— Ah ouais, t’as faim !

— Et pas seulement de tacos triple non-viande, répliqua Célestin, la bouche pleine.

— Tu peux parler, lui lançai-je avec un sourire narquois.

Il recracha quelques miettes quand il rit.

— Si vous aviez vécu dans une prison comme avec mes parents, croyez-moi, vous auriez aussi envie de profiter de la vie.

— Et ta haine pour les humains ? fit Célestin.

— J’ai pas de haine. Je veux juste m’amuser, sans sentiments. C’est trop demandé ? — Elle nous jeta un coup d’œil avant de reprendre : — Me regardez pas comme ça ! Quand on commencera à bosser, on aura plus le temps pour ces choses-là. Alors, oui, je suis pas fan des humains, mais pour ce genre d’activité, ils sont pas obligés de parler. Je vous conseille de faire pareil, avant qu’il ne soit trop tard.

— Trop tard ? répétai-je.

— Bah ouais. Quand on aura définitivement pris nos fonctions, on ressentira plus rien. Plus de goûts, plus d’odorats… Rien.

— Quoi ?! répondis-je un peu trop fort.

— Chut ! me fit Mirabella, qui jetait des regards apeurés.

Je l’imitai. Deux, trois personnes avaient levé la tête. Comme il n’y avait rien d’intéressant à voir, ils s’étaient vite concentrés sur autre chose.

— Qu’est-ce que ça peut faire ? C’est déjà presque le cas, là. Non ?

— Je comprends mieux pourquoi mon père me servait des plats infectes, s’il avait plus de goûts, lançai-je.

— C’est ça qui te vient à l’esprit ? me gronda Célestin. Ces connards du Grand Conseil nous privent de nos sens ! C’est quoi cette vie de chien ?

— Chut ! répéta Mirabella. Les murs ont des oreilles.

— On te prive de quoi, toi ? demandai-je à Célestin.

Je réalisai que nous ne lui avions jamais posé la question. Pour nous, c’étaient les émotions fortes. Cela me paraissait tellement naturel que je n’avais jamais pensé qu’il pouvait y avoir différents degrés de restriction.

Mais, depuis ma première âme, les choses avaient commencé à évoluer. Je n'étais pas encore au summum de l’émotion. Mais c'était un début.

— De l’amour. Je peux pas tomber amoureux… Genre, tous les humains sur cette putain de planète tomberont amoureux de moi à cause de ma nature. Mais, moi, je pourrais jamais connaître ce sentiment.

Je repensai à la discussion que nous avions eue en début d’année sur l’amour. Je me rappelai la mélancolie qui avait inondé ses yeux. Tel un miroir, son regard brillait du même désespoir.

— Les salauds ! m’écriai-je, ne supportant pas de voir le mal que faisait le Grand Conseil à mon ami.

— Chut !

— Oh, c’est bon, la bibliothécaire !

Par prudence, je jetai tout de même un regard au-dessus de mon épaule. D’un geste rassurant, Célestin déposa sa main sur la mienne et serra légèrement. Ses yeux étaient emplis de tristesse, malgré son envie de me réconforter.

— Comme l’a dit Mira, profitons de l’instant. On verra plus tard pour le reste, murmura-t-il.

Plus j’en apprenais sur le Grand Conseil et son organisation, plus je ressentais de la rancœur contre eux. Je finissais par comprendre les paroles de mon père.

Comment notre système avait pu évoluer si négativement ? Comment en étions-nous arrivés là ?

Annotations

Vous aimez lire Lexie_dzk ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0