Chapitre 8 (2/4)
* Célestin *
Après avoir formuler des excuses à mes amis, je partis les rejoindre.
—...encore un coup des Anges Noirs. Les Renifleurs sont sur le coup, je pense qu’on aura une…
Étoilé, la mère de Nybélia s’interrompit en me voyant arriver.
— Oh, mon gros doudou ! Viens là que je t’embrasse !
Oui, ça aussi, c’était une des raisons qui me faisaient détester mon anniversaire. Non mais écoutez-la, « mon gros doudou »… Comment être crédible après ça ? Je laissai échapper un soupir et ne dis rien de plus, laissant ses bras m’attraper. Ses bisous résonnaient dans la salle.
— Alors, gros doudou, content ? se moqua Cole en nous rejoignant.
Je le fusillais du regard.
— Évite d’ébruiter ce genre de chose, j’ai une réputation à tenir, grognais-je entre mes dents.
— Tout le monde t’a entendu crier comme une flipette quand la lumière s’est allumée, je crois que ta réputation est faite.
Pas faux. Je me résignai et haussai les épaules. Cole m’entraîna à sa suite. Nous laissions nos parents derrière nous. Tel un oisillon chassé du nid, j’ai dû quitter le cocon douillet de ma famille pour apprendre à voler de mes propres ailes. Peut-être que je paniquais aussi à cause du fait que mes parents m'avaient toujours couvé. Je ne m’en plaignais pas, mais ce trait de caractère ne m'était pas franchement agréable. Au fond, j’aimerais être plus courageux, plus audacieux.
— Célestin ! Je te souhaite un joyeux ann…
— Oh non, pitié, je veux pas entendre ce mot une fois de plus !
Vilenia m’observait, incrédule.
— N’en veux pas au gros doudou, il est chafouin, fit Cole.
La brune éclata de rire face à ma tête déconfite.
— Je comprends, c’est toujours stressant d’être épié par tout le monde et d’entendre des inconnus qui se fichent de nous nous souhaiter joyeux anniversaire une fois par an.
— Merci ! M’écriai-je, soulagé. Tu vois, elle au moins, elle comprend.
Cole leva les yeux au ciel.
— Tu devrais pourtant avoir l’habitude du regard des autres, puisque tu donnais des spectacles, lâcha-t-il.
Je fronçais les sourcils. Qu’allait-il encore inventer comme connerie ?
— Des spectacles ? demanda Vilenia. Quel genre ?
— Ne l’écoute pas, il…
— Mais non, ne sois pas timide, me coupa Cole. Tu peux lui dire, non ?
Les yeux de Vilenia s’éveillaient, avides de curiosité.
— Tous les dimanches, on allait voir ses spectacles de claquettes. Tu verrais l’énergie qu’il mettait dans ses mouvements de pieds.
Je crachais la gorgée de champagne que je venais de prendre. Mauvaise idée de boire quand Cole faisait ses blagues.
— Oh, c’est vrai ? Fit Vilenia, impressionné par mon faux talent.
— Bien sûr, on le surnommait « Le foudroyeur de plancher ». Je pense que tu as compris pourquoi.
— Faudrait que tu nous montres tes talents, Célestin ! Ça serait vraiment super.
— Oui, Célestin, ça serait super, répéta Cole avec un grand sourire satisfait aux lèvres.
— Plutôt crever.
Vilenia semblait perdue dans cette discussion complètement farfelue.
— Il te mène en bateau, je fais pas de claquette.
Elle fit une moue déçue, comme si ce « talent » l’intriguait réellement. Un soupir m'échappa, rempli de frustration. Mes yeux balayèrent la foule et cherchèrent à identifier les invités que Cole avait réunis. La plupart m’étaient inconnus, sûrement des camarades de promo.
Qu’est-ce qui les incitait à venir à l’anniversaire d’un parfait étranger comme moi ? La question resterait sans réponse.
Gray et Alasieus vinrent me saluer. Nous discutions un peu, puis je parcourus la pièce. Plusieurs personnes me serrèrent la main. Nous échangions des banalités. C’était assez simple pour moi de fondre dans la masse. Depuis toujours, je suis une personne sociable. Plusieurs personnes vinrent me parler, plaisanter avec moi.
Dans un recoin de la pièce, un type était assis seul, un verre à la main. Ses yeux parcouraient lentement la pièce, mais quelque chose dans son regard trahissait une profonde tristesse. Ça me fit un pincement au cœur. Cole s'approcha de moi, suivant mon regard.
— Il est mignon.
— Je sais où tu veux en venir, et c’est toujours non, répondis-je sèchement.
Depuis que mon frère était redevenu célibataire, il me harcelait pour que je cherche l’amour. C’était une drôle de blague, puisque, en tant que Cupidon, nous étions condamnés à ne jamais pouvoir goûter à cet amour. Le Grand Conseil nous avait enlevé ce privilège, cette malédiction qui me rongeait petit à petit. Vous savez, cette putain de frustration qui vous dévore de l’intérieur, ce sentiment que vous êtes si près du but, mais que vous ne pourrez jamais franchir la ligne.
Quand j’étais plus jeune, j’avais eu plusieurs histoires avec des garçons. Ils étaient tous superbes, charmants, un corps de rêve... Tout ce qu’on peut rêver… Mais il manquait toujours ce petit quelque chose. L’amour.
Cole, lui, avait décidé de passer outre cette règle, de tenter les relations, de se convaincre que ça pouvait suffire. Au début, ça l’avait comblé, je pense. Mais, au bout d’un moment, il avait compris que ça ne lui apportait pas ce qu’il cherchait. C’est ce qui avait mis fin à sa relation avec Nybélia. Il ne pouvait pas lui offrir ce qu’elle désirait vraiment. Alors, il se cachait derrière ses blagues et son insouciance.
Mais combien de nuits l'avais-je entendu pleurer en silence dans sa chambre ?
Je ne lui avais jamais dit que je savais, que je comprenais. Ça aurait été trop difficile pour lui, et ça l'aurait brisé encore plus, comme ça me brisait, moi. Tout le monde était constamment attiré par nous, nous adulait à cause du Cupidon en nous. Comme une drôle de malédiction, qui devait probablement amuser le Grand Conseil. C'était comme si on nous plantait un couteau en plein cœur à chaque fois, encore et encore, jusqu'à ce que la douleur devienne insupportable.
Depuis deux ans, j'avais pris la résolution de ne plus rien tenter, de ne plus espérer.
— Faut bien s’amuser un peu ? me lança-t-il gaiement. Même si on ne peut pas aimer, on peut toujours s’envoyer en l’air.
— Pourquoi faire ? Pour se réveiller chaque matin devant un visage qu’on ne pourra jamais aimer ? Très peu pour moi.
Cole me lança une moue triste, puis me tapota l’épaule comme pour me consoler.
— Ce que nous fait le Grand Conseil est vraiment inadmissible, murmura Vilenia, interrompant nos échanges. Nous devrions être libres de faire ce que l’on veut.
Je la regardai, surpris. Ce genre de parole venant d’un Altruiste était rare, surtout en public. Bon, ce n’était pas comme si nous étions totalement inconnus l’un à l’autre, mais je ne pensais pas qu’elle nous considérait aussi proches pour se confier de la sorte.
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