Chapitre 12 (5/5)
Je me raclais la gorge. Au fond de moi, je me rendais bien compte que j’avais changé. Depuis Heidi, les émotions se répandaient comme un cancer. Elles parcouraient mon corps, jusqu’au bout des doigts. En début d’année, j’étais neutre, calme. Plus le temps passait, plus cette métamorphose en moi devenait évidente. Ma manière de parler, mon caractère, mes réflexions…
J’évoluais.
Et, dans un monde comme le nôtre, ce n’était peut-être pas une bonne idée.
Je devais retrouver mes esprits.
Ne pas ressentir. Ne pas ressentir. Ne pas ressentir.
Une main se posa sur mon épaule. Je me retins de lâcher un cri.
— Ça va ?
Alice se tenait à mes côtés. Ses traits reflétaient l’inquiétude qu’elle me portait. Autour de moi, les élèves se pressaient pour quitter les lieux. Je ne pouvais pas être vu avec elle. Pas maintenant. Pas avec la R.D.Â. dans les parages.
Alice tentait de connaître la vérité sur sa mère. Comme elle devait avoir déjà enfreint quelques règles, je ne souhaitais pas la mettre en danger. Hors de question que je risque sa vie.
— Je suis… Désolé, Alice. Je peux pas te parler aujourd’hui. On se voit plus tard.
Sans un mot de plus, j’avançais vers la sortie. Vu de l’extérieur, je devais ressembler à une épave, perdue au fond des mers.
Alors que je montais les marches du hall, la mort de Vilenia revint me hanter. Mon cœur se serrait une nouvelle fois. Ça me hanterait toute ma vie.
— Alors, comment ça s’est passé ?
Je sursautai. La porte de mon couloir s’était tout juste refermée sur moi. Je ne m’attendais pas à trouver quelqu’un ici.
Melvin était adossé contre sa porte de chambre. Son regard était froid, comme si rien ne s’était passé. La chaleur qui l’habitait depuis tout ce temps semblait s’être évanouie, comme si elle n’avait été qu’un mirage.
— Toi !
J’avançais vers lui, d’un pas décidé.
— Qu’est-ce que tu as fait ?
Melvin leva les sourcils, surpris.
— De quoi tu parles ?
— Vilenia ! Me dis pas que t’as rien à voir dans sa mort.
— Tu penses que j’ai fait quoi ?
Je soufflais par le nez, comme un taureau prêt à charger. Objectivement, je n’avais aucune preuve, mais je savais au fond de moi que c’était une déduction logique. Après tout, il était le seul à être au courant de sa défaillance.
— Arrête de faire comme si ça t’était égal, m’énervai-je.
— Mais ça m’est égal.
Melvin décroisa les bras et avança vers moi. Son regard bleu, d’un calme angoissant, se posa dans le mien.
— Je suis un Maître de La Mort. Je ne ressens rien. C’est comme ça. C’est ce que nous sommes, Matt. Non, la mort de Vilenia ne me fait rien. Et, ça devrait être le cas pour toi aussi.
Un voile passa dans les yeux de Melvin, encore une fois si rapide que je pensais avoir rêvé. Ce n’était pas la première fois que je remarquais ça chez lui. Comme si une émotion essayait de se manifester, mais qu’elle était aussitôt refoulée. Seulement, je n’arrivais pas à la décrypter. Quelque chose m’échappait et je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus.
J’étais déstabilisé. Que devais-je penser de lui ? Disait-il la vérité ? Cachait-il quelque chose ?
— Eh bien, c’est pas le cas, OK ? Ça me touche et j’ai pas honte de le dire.
Melvin fit un sourire amusé.
— Et tu trouves pas ça horrible qu’une fraude se baladait dans nos couloirs, déséquilibrant notre monde ? Mettant à mal la pureté de notre lignée d’Élu ?
— Ça reste une vie !
— Une vie non méritée.
Melvin réduisit encore plus l’écart entre nous. Je pouvais sentir son parfum. Ses yeux froids me sondaient, m’observaient comme une bête curieuse. Je détournais vite les miens, de peur qu’il voie.
— C’est horrible ce que tu dis. Vilenia était ton amie, putain ! Et toi, tu me parles de pureté et de vie non méritée ? Mais, t’es complètement taré ou quoi ?
— Elle connaissait les risques.
— Et c’est une raison ? m’énervais-je de plus belle. Tu l’as peut-être pas dénoncé, mais tu restes une belle ordure !
Melvin fit un sourire, amusé par ma remarque. Comme s’il était à un putain de one-man-show.
— Je vois pas ce qu’il y a de drôle.
— Tu devrais arrêter de te donner en spectacle, Matt. Je te rappelle que le Grand Conseil voit tout, entend tout.
Melvin me tourna le dos et se dirigea vers sa chambre.
— Et tu ferais bien de faire attention, me lança-t-il tandis qu’il rentrait dans sa chambre.
Ma mâchoire se serra si fort que j’avais l’impression que j’allais me péter une dent. Je claquai ma porte et me jetai sur mon lit. Après avoir saisi mon oreiller, je hurlais dedans.
Qu’est-ce que ça fait du bien de se lâcher !
Cette journée avait été la pire de toute mon existence. Je doutais de tout désormais.
Pouvais-je avoir confiance en Melvin ? Était-il le Renifleur ? Avait-il joué un rôle dans la mort de Vilenia ?
Mes amis étaient-ils vraiment mes amis ? Pouvais-je leur faire confiance ?
Comment en suis-je arrivé là…
En l’espace de quelques jours, j’avais l’impression que ma vie avait basculé. Tout ce que je croyais être vrai ne l’était pas. Jusqu’à ma propre nature. Mon cerveau se noyait dans un flux de questions sans fin, un tourbillon qui me donnait un mal de crâne de chien !
Mon Platphone vibra dans ma poche. Je constatais que j’avais trois messages en attente, qui provenaient tous d’Alice.
« Que se passe-t-il Matt ? T’avais l’air choqué quand je t’ai croisé… »
« Matt, tu m’inquiètes… Tu veux en parler ? »
« ??? »
Je lui répondis que tout allait bien et qu’elle n’avait pas à s’en faire. Je lui expliquerai plus tard. Pour le moment, j’avais besoin de faire le vide. De trier mes interrogations.
Je me redressai et attrapai mon Livre noir dans le tiroir de ma table de chevet. J’avais besoin de me raccrocher à quelque chose. Retrouver mon identité. Je le feuilletais.
Je rouvris la page où se trouvaient les noms et les touchai du bout du doigt. Quelle était la probabilité pour que je rencontre une proche des futurs morts ? Heureusement, Alice n’y était pas. Cette humaine était pétillante, pleine de vie. Je n’avais pas envie de lui prendre son âme. C’est pour ça que je devais trouver un moyen de lui faire arrêter les recherches. Plus que tout, je ne souhaitais jamais voir son nom sur ma liste, ou sur celle d’un autre Maître de La Mort.
Comment en étais-je arrivé là, à devoir me préoccuper de la vie d’une humaine ?
Je secouais la tête et posais mon Livre.
Au lieu de m’occuper d’elle, je devrais songer à ma propre âme, qui était bien en danger de mort imminente. L’évidence s’imposa à moi dans mon esprit. Pour survivre, je devais à tout prix trouver les Anges Noirs.
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