Chapitre 13 (1/4)

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La mort de Vilenia m’avait dévasté, bien plus que je ne l’avais imaginé. Pourtant, jamais je ne pourrais l’exprimer, le montrer. À la place, nous devions revêtir notre masque. Notre fausse identité.

Après quelque temps dans cette université, à subir les lois du Grand Conseil, je réalisai que mon masque était un fardeau. Bien qu’il fallût parfois en avoir un, il était fatigant de devoir le revêtir en toute circonstance, de peur de jouer notre vie. Le mien, c’était celui-ci : le masque de la survie.

Le plus ironique dans cette histoire, c’est que la seule personne avec qui je pouvais m’épancher sur mon chagrin était Alice. Parce qu’elle n’était pas une Altruiste, qu’il n’y avait aucun danger à ce que je me montre vulnérable.

Alors, j’avais passé plusieurs soirées à la bibliothèque avec elle. Je me confiais, lui parlais de Vilenia. Bien sûr, je n’avais pas pu lui préciser les détails de sa mort. À la place, je lui avais raconté qu’elle était morte dans un accident de voiture.

Son écoute et sa bienveillance m’avaient aidé à surmonter la pente. Surtout, ils m’avaient rassuré. Tout cela m’avait mis sous pression, la peur au ventre qu’on découvre mon secret. Sans le savoir, elle avait réussi à me redonner confiance en l’avenir.

J’eus la sensation que nos soirées ensemble lui avaient également permis de surmonter les épreuves de ces derniers jours, redonnant de la couleur à ses rêves. Ses rires semblaient au départ timides, puis étaient devenus plus sincères et réels.

Puis, la vie avait fini par reprendre son cours, comme si rien de tout cela ne s’était produit. C’était étrange de constater qu’une mort n’empêchait pas le temps de s’écouler.

Mon costume de poule m’attendait, bien sagement suspendu sur mon porte-manteau. Durant nos soirées passées à discuter, nous avions décidé de reporter mon pari.

« Si tu veux, on peut annuler, c’est qu’un pari stupide », m’avait proposé Alice.

De mon côté, je pensais que ça serait plutôt un moyen de me distraire, peut-être même de guérir. Ce serait une parenthèse dans le temps, une échappatoire à cette réalité froide et sans âme.

Pourtant, je devais avouer que mon cœur était lourd. Mon visage était inexpressif dans le miroir. Je renvoyai l’image d’un type brisé par le temps. Mes cernes creusaient mes yeux. Les Altruistes étaient censés paraître jeunes. Cependant, nous portions le poids de cette société.

D’une main peu assurée, je rangeai le costume dans mon sac de sport. Une promesse était une promesse et je comptais bien l’honorer. Son rire était une bouffée d’air frais. J’en avais vraiment besoin.

Avec ces histoires, Mirabella était toujours dans l’ombre concernant ma condition. Les murs avaient des oreilles, désormais, c'était plus que certain. Un Renifleur traînait dans nos rangs, et j’eus bien peur qu’il s’agisse de Melvin. Malgré tout, je devais prendre le temps de lui avouer. La confiance était importante, surtout dans le climat actuel.

Avant ça, je devais me dépêcher. En parcourant les couloirs, je croisai cet homme aux yeux ambrés. D’un mouvement félin, il s’approcha de moi, de la malice dans le regard. Je n’avais pas envie de sociabiliser. Je tentai de l’esquiver, mais il se plaça à mes côtés. Il fit un bout de trajet avec moi.

— Tu rejoins Célestin ? me demanda-t-il d’une voix suave.

Comme je m’étais trompé sur Melvin, je ne souhaitais pas accorder ma confiance aussi facilement ; ainsi je ne lui répondis pas. Qui sait ce qu’il voulait avoir comme information ?

Après une autre tentative de sa part, ma bouche toujours scellée, il finit par me laisser, le regard animé par une expression que je ne saurais décrypter.

Après avoir rejoint Mirabella et Célestin, je leur racontai ce qui venait de se produire. Ce dernier leva les yeux au ciel, puis nous confia :

— À mon anniv, il m’a dit que j’étais pas son genre de distraction. Mais, depuis plusieurs jours, il essaie de se rapprocher de moi. Je comprends pas son délire.

Nous discutions à son sujet. Les relations pouvaient parfois être tordues. Une personne qui ne voulait pas être avec vous au départ finissait quelquefois par revenir à la charge, voyant que vous n’insistiez pas. Ce qui semblait être le cas. Célestin nous avoua qu’il n’était pas spécialement intéressé. Puis, il nous raconta sa soirée avec Cole.

Ensuite, le professeur d’Histoire de la vie, Monsieur Dutronc, nous fit entrer dans la salle. En réponse à l’apparition de Claus, il nous raconta plus en détails l’histoire des Altruistes.

En –236 av. GC, plusieurs naissances avaient eu lieu sur une pierre de quartz, celle qui avait émergé des eaux et donné naissance aux Naturels. Elle était connue pour ses vertus purifiantes et magiques. Des rumeurs circulaient à ce sujet : on racontait qu’elle pouvait prévoir l’avenir. Cette fameuse roche aurait absorbé l’énergie de ces femmes et concentré une puissance qui se serait répandue dans leurs nouveau-nés. C’est comme ça qu’avaient été créés le reste d’entre nous.

Nos contributions étaient timides pour commencer, puis nos dons avaient évolué. La pierre avait été déplacée dans l’Âmularium et distribuait sa magie aux fioles choisies par le Grand Conseil.

Cela nous permettait d’acquérir nos dons, ainsi que de réguler notre rôle. Le Grand Conseil choisissait quel type d’âme devait devenir un Maître de La Mort, ou bien une Muse, ou encore un Cupidon. Le choix leur revenait, comme pour tout le reste.

Pendant ses explications, il faisait le parallèle entre les humains et les altruistes. Cela souleva une question : est-ce que notre monde avait un lien avec la trouvaille scientifique des humains ? Comment arrivaient-ils à obtenir cette fameuse immortalité partielle ?

Le cours bifurqua ensuite sur l’histoire des Maîtres de La Mort. Comme je connaissais déjà ma propre histoire, je n’écoutai que d’une oreille.

Son discours s’égara sur l’une de ces connaissances.

— En parlant d’eux, ça me fait penser au jour de ma mort. Vous savez, quand on commence à exercer, on finit par être coupé du monde. Le fait de revoir mon vieil ami en ce jour particulier… Ça fait quelque chose. J’ai presque été… ému. Il n’avait pas changé, avec son regard glacial et ses mains derrière le dos. Ah…

Il marqua une pause.

De la manière dont il le décrivait, j'aurais juré qu’il s’agissait de mon père. Mais cela ne pouvait pas être certain. Des Maîtres de La Mort, il en existait assez pour qu’il puisse s’agir d’une autre personne.

— Vous savez, on se rend compte que l’on ne vit jamais vraiment avant de connaître la date de notre mort. À ce moment-là, tout paraît exacerbé.

Il évoquait le travail des Maîtres de La Mort. Je ne pouvais pas affirmer qu’il s’agissait de mon père. Finalement, je ne l’avais jamais vu à l’œuvre. Mais… Cette façon de décrire sa posture, sa manière de penser…

Je balayai mes pensées. De toute façon, je n’aurai pas de preuves concrètes. Mon esprit divaguait de nouveau. Je repensais à notre propre histoire.

Avant, les Altruistes étaient libres de choisir. Tout du moins, c’était leur âme qui choisissait ce qu’elle voulait devenir. Pourquoi avait-on supprimé ce choix ? Quel était le but recherché ?

J’avais beau retourner cela dans tous les sens, je n’arrivais tout simplement pas à comprendre cette suppression de liberté. Pourquoi faire ? Qu’est-ce que cela pouvait faire que notre âme veuille devenir un Cupidon ? Ou un Naturel ?

À l’époque, mon père m’avait expliqué qu’une âme qui choisit est une âme qui réfléchit. Était-il possible qu’ils veuillent nous retirer cette pensée ? Cette manière propre d’imaginer la vie ?

Puis je repensais à ma condition. Au fait que je sois une fraude, que je sorte des conventions établies.

Qu’est-ce que ça voulait dire, concrètement ? Qu’est-ce que j’étais ?

Avant ce cours, je n’avais pas réfléchi aux possibilités que cela engendrait, ni aux mystères que cela soulevait. Désormais, cette pensée m’obsédait.

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