Chapitre 10 (2/4)

4 minutes de lecture

* Alice *

Merde. Bien sûr qu’ils allaient le voir. Son badge avait laissé son empreinte. Avec toutes nos technologies, c’était une évidence. Notre école avait une politique assez stricte. Nous n'étions pas supposés pénétrer des lieux sans autorisations préalables.

Ce qui m’étonnait le plus, c’est que personne n’était venu me voir.

— J’espère que t’as rien eu de grave ?

— Non. Par contre, il faut que je fasse profil bas pendant quelque temps. Et je te conseille de faire pareil. Tu te mettrais en danger à continuer de fouiner.

— En danger ? Au pire, ils me vireront de l’école, je pense que je survivrai.

Son regard dur se posa sur moi.

— Ça va plus loin que ça, Alice. Je suis sérieux.

— Je vois ça.

Nos plats arrivèrent, coupant court à la discussion, qui avait pris trop de sérieux à mon goût. Je souhaitais que l’on passe un moment pour apprendre à mieux se connaître, pas pour déprimer ensemble sur les risques de se faire attraper.

— Ce que je me demande, c’est comment tu as pu voir la salle dont tu m’as parlé la dernière fois, me fit Mattheus.

— La salle des archives ?

— Ouais.

— J’arrive plus à me rappeler comment j’ai réussi à y aller. C’est juste… t’as jamais eu l’impression d’un déjà-vu ? Sans arriver à mettre le doigt sur le souvenir en lui-même ?

— Pas vraiment.

Je haussais les épaules. À vrai dire, j’ignorais quelles autres précisions je pouvais lui apporter. Ce n’était pas comme si j’arrivais à retrouver cet endroit, de toute façon.

— J’ai vu où c’était, et je te conseille vraiment de ne pas chercher à y aller. Cette pièce est plus gardée que n’importe quelle autre pièce au monde.

— Les prisons aussi sont bien gardées, plaisantai-je.

Mattheus fronça les sourcils.

— Elle est comment, cette pièce, au juste ? lui demandais-je, reprenant mon sérieux.

— Alice…

— Tu croyais que je lâcherais l’affaire aussi facilement ? le taquinais-je. J’ai besoin de trouver cette pièce.

— Je t’aiderai. Je te demande juste de patienter. S’il te plaît ?

Je levais les yeux au ciel.

— OK, j’attendrai. De toute façon, j’ai trois ans à tirer ici, voire cinq si je prolonge mes études, alors j’ai le temps.

Il me servit un sourire-grimace avant d’attraper son plat, qu’il n’avait toujours pas touché. Désormais, je le laisserai tranquille à ce sujet. Il fallait que je lui fasse confiance.

— Et ton père, dans tout ça, t’as pas réessayé de lui demander des informations ? me fit Mattheus.

— Non. Il est aussi fermé qu’une huître à ce sujet. Je pense qu’il me cache un truc, mais je pourrais pas lui tirer les vers du nez sans avoir au moins un minimum d’information.

— Pourquoi il te cacherait un truc ?

— J’sais pas, un instinct. Mais je me trompe peut-être. Tu sais, il était tellement dévasté quand ma mère est morte... Peut-être qu’il est juste trop triste, trop brisé. Peut-être qu’il préfère parler d’autre chose.

— Ah bon ? Et pour toi, c’était pas trop difficile chez vous ?

— Au début. En fait, ma mère n’est pas vraiment morte.

— Comment on peut être pas vraiment mort ? lança Mattheus, intrigué.

— Elle a disparu sans laisser de trace.

— Alors, comment tu sais qu’elle est morte ?

— Ma mère ne nous aurait jamais quittés si elle avait été vivante. Jamais.

— On connaît jamais vraiment les g…

Jamais, répétai-je, exaspérée.

Il fit la moue.

— Au début, tu disais ? me reprit-il.

— Ouais. Au départ, quand elle a disparu, mon père était dévasté. Pendant plusieurs mois, il s’enfermait dans sa chambre et je l’entendais à travers la porte. J’étais jeune, je savais pas comment gérer tout ça. Mon père m’a ensuite élevée. C’était cool, notre petite vie à tous les deux, notre routine. Puis, on a eu des problèmes financiers. Et, puisque j’insistais pour venir dans cette école… Il a dû accepter du travail supplémentaire. Il voulait acheter ces médocs d’immortalité, mais je sais pas si j’en veux.

— Pourquoi ?

— Est-ce que j’apprécierais autant la vie si je savais que je pouvais empêcher d’y mettre fin ? Quand on sait que les choses se finiront un jour, on a tendance à beaucoup plus apprécier. C’est comme une musique, quand tu l’écoutes, tu savoures, car tu sais qu’elle se finira. Eh bien, la vie, c'est pareil. Ça en gâcherait la saveur.

Mattheus haussait les sourcils. Son regard se faisait intense, comme si je venais de déclencher quelque chose en lui avec ces simples mots.

Leur délire d’immortalité, je n’y avais jamais adhéré. Déjà parce qu’il fallait payer un rein pour y avoir accès. Et ensuite : dans quelles conditions ? Nous étions trop nombreux sur cette Terre. Certaines parties du territoire avaient un climat trop chaud pour y vivre. Les lacs s’étaient en partie asséchés. Nous devions dessaler la mer pour boire. Jusqu’à quand, hein ? Un jour, il serait temps de laisser la nature reprendre ses droits. Bien sûr, je voulais vivre. Mais pas comme ça. Pas si ça devait avoir des conséquences sur le reste.

Mon père n’avait jamais insisté. Il comprenait mon choix. De son côté, je le soupçonnais d’en prendre. J’avais l’impression qu’il vieillissait lentement.

— Tu es surprenante, me confia Mattheus.

Mes joues s’empourprèrent sans pouvoir m’en empêcher. Je lui fis un sourire.

— Je sais. Et encore, t’as pas tout vu, répondis-je.

— On a le temps, répondit-il sur le même ton de plaisanterie.

Quand nous eûmes fini nos plats, nous regardions la carte des desserts. Même si j’étais plus salé que sucré, j’aimais terminer le repas avec une note sucrée. Et, au pire, si je prenais du poids, ce n’était pas bien compliqué : je n’avais qu’à prendre une de leurs pilules qui fait maigrir… Ce que les humains n’inventeraient pas de nos jours.

Parfois, je rêvais d’un autre monde. Mais il fallait que je me contente de celui-ci, n’est-ce pas ?

Si seulement j’avais pu naître à une autre époque...

Annotations

Vous aimez lire Lexie_dzk ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0