Chapitre 11 (4/5)
Chambre 311. Je toquais.
— Matt ? Ça va ?
— On peut dire ça, ouais.
Célestin m’ouvrit la porte et me laissa passer.
— J’ai besoin de ton aide.
— Papa Cyl est là pour toi, plaisanta-t-il.
Je lui lançai un regard perplexe. Il se contenta de secouer la tête et me fit signe de m’asseoir.
— Dis-moi tout.
Je m’installai. Comme à mon habitude, je tripotai ma bague avec nervosité. La couleur grise des pierres semblait se moquer de moi.
— C’est pas quelque chose que je peux te dire à voix haute… Regarde ma bague. Les pierres, de quelles couleurs tu les vois ?
Il se pencha en avant et observa attentivement, les sourcils froncés.
— Elles sont rouges ? Je comprends pas.
Je frémis. La bague avait pris une teinte rouge.
Qu'est-ce que ça voulait dire ?
Je la retirai et la posai sur la table de chevet à côté du lit.
— Regarde mon âme, alors.
Célestin se repositionna face à moi. Ses yeux vairons plongèrent en moi. Il chercha mon âme au plus profond de mon être. Je patientai quelques instants, puis son regard se fendit d’incompréhension.
— Tu es une… tu… Comment… ?
Je haussai les épaules. J’essayais de trouver les mots justes, puis je réalisai qu’il n’y en avait pas. Alors, je lui racontai tout. Ensuite, je lui parlais des Anges Noirs. Je lui demandais s’il connaissait ce groupe.
— Non, ça me dit rien. Enfin, je crois que Vilenia en a parlé l’autre jour et…
Il s’interrompit brusquement. Un silence lourd s'installa entre nous. Célestin détourna le regard, l’air tourmenté.
— Vilenia ? répétai-je.
Il ne me répondit pas. J’eus l’impression qu’il se battait avec ses pensées. Je posais une main qui se voulait rassurante sur son épaule.
— Eh bien, elle…
Il s’interrompit et jeta un coup d’œil circulaire dans sa chambre, comme si quelqu’un y était caché. Puis, il baissa la voix :
— Ouais, je crois bien qu’elle en a parlé. Elle m’a dit qu’il existait un groupe de rebelles. Ça doit être les Anges Noirs. Elle semblait connaître une personne qui en ferait partie.
— C’est vrai ? Qui ça ?
Célestin haussait les épaules.
— Elle m’a pas dit.
— Faut qu’on aille la voir ! m'écriai-je en me levant d’un bond.
Mon ami m’attrapa le poignet avec fermeté, le regard dur.
— Attends, c’est pas tout.
Je posais sur lui un regard grave. Dans ses yeux, une lueur sombre dansait, comme s’il portait le poids d’un secret innommable. Son expression m'incita à m’asseoir une nouvelle fois à ses côtés. Une fois que je fus installé, il poussa un soupir et vida tout l’air de ses poumons.
— Je crois qu’un Renifleur se balade parmi nous.
Mes yeux s’écarquillèrent sous la surprise de sa révélation.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Une intuition.
Je portais une main sur ma bouche, comme si ce modeste geste me permettrait de mieux digérer l’information. Je fouillais ma mémoire de toutes les personnes qui pourraient paraître suspectes.
— Qui ? lui demandai-je.
Il haussa les épaules.
— Il faudra qu’on en parle à Mira, me dit Célestin.
— Oui. Mais pas tout de suite… J’ai besoin de digérer tout ça.
— Je comprends, mais ne tarde pas trop. J'aime pas lui cacher des choses.
— Je sais.
Je lui adressais un sourire franc et le remerciais pour sa confiance et pour son écoute. Ce fut difficile de verbaliser ma condition, mais ça faisait du bien. J’étais heureux d’avoir trouvé des amis sur qui je pouvais me reposer.
— Pour changer de sujet, reprit Célestin, tu saurais pas comment Sophie a eu mon numéro par hasard ?
Je grimaçais. J’avais complètement oublié cette histoire.
— Je lui ai donné… Et je lui ai en quelque sorte promis que tu lui offrirais un dîner.
— Quoi ?! s’étrangla Célestin.
— Désolé…
— T’abuses ! Qu’est-ce que je vais lui dire, moi ?
— Je t’ai pas tout dit.
— Attends, tu vas me dire quoi d’autre ? Que je dois la rejoindre vêtue d’une simple peau de bête ?
La tête outrée de Célestin provoqua un rire nerveux au fond de ma gorge.
— C’est pas drôle, Matt. Ça gratte, ce genre de truc ; tu voudrais quand même pas que j’aie des boutons sur le pé…
— Cyl… coupai-je pour essayer de réprimer mon hilarité. C’est pas ça.
— Quoi alors ?
— Eh bien… Elle… Et Antoine… Vont mourir.
— T’es pas sérieux ?
— Si, malheureusement…
— Quand ?
— C’est pas pour tout de suite, Cyl. T’as encore le temps de profiter d’eux…
Célestin s’allongea à demi contre son oreiller. Son regard se perdit vers le plafond. Ma culpabilité m’envahit. J’avais encore raté une occasion de me taire.
— J’aurais rien dû dire, je suis désolé.
— Non, c’est rien. C’est juste que… Quelque part, je trouve ça triste.
— C’est le cycle de la vie, l’équilibre du monde.
— Merci pour ton éclair de génie, se moqua Célestin. Bien évidemment que je sais tout ça. Mais savoir quelque-chose ne le rend pas pour autant plus juste, non ? C’est pas parce que les choses doivent se passer ainsi qu’on est ravi quand ça arrive. Ils sont jeunes… Leur vie est devant eux.
— Je sais.
— Et leur amie, Alice, elle en fait partie ?
Je secouais la tête.
— Dur, elle va perdre tout le monde d’un coup. Ça te fait rien ?
— Si, ça m’attriste pour elle… Mais que puis-je faire ? C’est mon rôle…
— C’est sûr… — il marqua une pause. — Et tu as des sentiments pour elle ?
— Des sentiments ? Que veux-tu dire par là ?
— Bah… Est-ce que tu ressens parfois l’envie de… de l’embrasser ?
— Quoi ?! Bien sûr que non ! m’écriai-je, me levant d’un bond.
— Ça va, j’ai rien dit, répondit Célestin, les mains en l’air.
Je me mordis la lèvre inférieure.
— J’ai jamais eu de relation, OK ? De n’importe quelle nature. Je sais pas ce que c’est… Ce qu’on est censé ressentir.
— Pour des raisons évidentes, je pourrais pas te décrire ce que ça fait quand on est soi-même amoureux. Je le vois qu’à travers ma spécialité, et c’est puissant. Mais t’as sûrement dû le ressentir aussi, dans tes fioles, non ?
— Bien sûr, mais y’a une différence entre ressentir à travers quelqu’un, et le ressentir soi-même.
— Je sais bien…
Le regard de Célestin repartit vers le plafond. Sa tristesse se lisait facilement sur son visage. Je m’avançais vers mon ami et l’incitai à se tourner vers moi.
— Je sais que c’est difficile pour toi, Cyl. Je suis désolé de partager mes doutes avec toi, j’imagine que ça doit être frustrant de me voir être rebuté par un sentiment que tu aimerais connaître. Je suis sincèrement navré.
— C’est pas ta faute, Matt. C’est juste que… J’aimerais bien qu’on soit libre, tu comprends ? Qu’on puisse ressentir ce qu’on veut, sans être bloqué…
— Avec les Anges Noirs, peut-être qu’on pourra trouver une solution à ça, non ?
— Je sais pas. On sait pas qui ils sont. Si on fonde tous nos espoirs en eux, et qu’on y trouve que du vide ?
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