Chapitre 12 (1/5)
— Mattheus, tu as quelque chose à m’avouer ?
Je levai les yeux. L’homme aux yeux gris cherchait à pénétrer mon âme, pour en percer tous les mystères. Dans un réflexe de survie, je détournai le regard.
Cette journée… Elle était interminable. Si longue, si pesante. Tout ce que je voulais, c’était me cacher sous la couette et me laisser engloutir par le sommeil. Et surtout, oublier que j’existais. Si j’avais su que tout allait finir ainsi…
J’imagine que vous êtes perdu, hein ? Laissez-moi reprendre depuis le début.
En début de matinée, je m’étais empressé de rejoindre mes amis. Depuis ma soirée avec Célestin, je n’avais pas eu un moment seul avec Vilenia. Chaque fois, elle était entourée de Melvin ou bien de Gray.
Et puis, il fallait dire que je passais du temps avec Alice. Nous avions passé deux soirées ensemble, à ranger les livres de la bibliothèque. C’était une manière de me racheter pour mon comportement désastreux en début d’année. Elle m’avait reparlé de son pari. Je sentais qu’elle avait hâte de me voir me ridiculiser devant sa classe.
Malgré ma quête de réponses, je me laissais distraire par Alice. Peut-être était-ce à cause des fioles, ou bien de mes émotions naissantes. Peu importait, finalement. Je devais avouer que j’appréciais les moments passés avec elle et que je ne regrettais pas de m’évader de temps à autre.
À mon sens, je me pensais intouchable, comme si je flottais dans un rêve. À ce moment-là, je n’avais aucune idée à quel point j’avais tort.
Quand j’aperçus Vilenia dans le couloir, je lui demandai discrètement s’il était possible que l’on se voie en aparté. Avec un sourire chaleureux, elle m’entraînait un peu plus loin. Une fois à l’abri des regards, je l’interrogeai sur les Anges Noirs. Même si je lui avais parlé de la voix la plus basse possible, j'avais senti la panique monter en elle. Puis, elle fronçait les sourcils.
Après avoir jeté un regard par-dessus son épaule, elle me répondit d’une voix coupée :
— Je te dirai tout ce que tu veux savoir après les cours. On se rejoindra dans les bois, derrière l’université.
Notre échange fut bref. Je hochai la tête, sans ajouter un mot de plus. Puis elle repartait déjà vers notre classe, non sans me jeter un regard inquiet. Célestin, qui était adossé contre le mur devant la salle, me lança un regard appuyé.
« Alors ? » disait son expression. Je pinçai mes lèvres, réponse silencieuse qui voulait dire « Je te le dirai plus tard. »
Au loin, Melvin me lançait un regard intrigué. Il plissait les paupières. Il avait l’air de quelqu’un qui aurait des soupçons sur mes agissements.
Monsieur Tantum nous attendait. Il nous indiqua qu’il ferait cours à la place de Monsieur Dutronc, qui avait dû s’absenter pour une urgence au Grand Conseil.
— Quand le bébé sort du corps de sa mère, il naît sans âme. C’est à ce moment-là qu’intervient le Maître de La Vie. Après avoir soigneusement sélectionné une fiole contenant une âme à l’Âmularium, il va l’insérer dans le nouveau-né. On sait que l’insertion a fonctionné quand le bébé commence à pleurer. Dans de rares cas, l’âme ne prend pas. L’enfant deviendrait alors mort-né. Durant les premières années de la vie de l’enfant, l’âme restera blanche. Ensuite, elle prendra une couleur de fond qui le représentera pour le reste de sa vie. C’est l’environnement dans lequel il grandit qui sera décisif. Vous voyez, l’âme est comme un noyau. Ce noyau évolue avec ce que l’âme subit, et la couleur s’adapte. Quand une âme prend une nature profonde, c’est indélébile. Cela veut dire que cette couleur prendra le pas sur toutes ses décisions présentes et futures. Si par malheur la couleur était mauvaise pour l’individu, notre rôle serait difficile à tenir. L’évolution des âmes est très complexe, rendant les humains…
La porte de la classe s’ouvrit brusquement. Le professeur interrompit net ses explications. La R.D.Â. entra et balaya la pièce du regard.
Leurs casques gris mat brillaient à peine sous la lumière, des visières électroniques dissimulaient leurs visages. Des halos lumineux dansaient autour de leurs yeux. L’un d'eux avait un cercle lumineux autour de son œil gauche – un scanner d’âme, sans doute. Et sur le côté droit, un profil s'affichait : celui de l’Altruiste.
À cet instant, tout ce que je pensais, c’était : quel profil avaient-ils de moi ?
Je secouai la tête, pour chasser cette pensée futile. Ce n’était pas le moment de me perdre dans ces détails.
Leurs pas résonnaient d’un son métallique. Chaque mouvement lourd, impitoyable. Ils étaient entièrement équipés d’armures en acier, protégés par des champs électriques. Chacun d’eux portait une Arracheuse. Un canon long et plat, avec des trous de gruyères répartis sur la longueur. Un faisceau lumineux vrombissait à l’intérieur.
Comme ils se dirigeaient vers moi, je retenais mon souffle. Leurs Arracheuses étaient braquées sur ma poitrine.
Est-ce qu’ils m’avaient déjà repéré ? Est-ce qu’ils allaient détruire mon âme défectueuse ?
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