Chapitre 13 (2/4)
La voix de Mirabella me ramena sur Terre. C’était l’heure de la pause. Je devais me dépêcher si je voulais faire un saut dans la classe d’Alice.
— Il faudra que je te parle, tout à l’heure, lui annonçai-je, ne souhaitant plus reculer l’échéance.
Ses sourcils se froncèrent, soucieuse de ce que j’avais à lui révéler. Mais ce n’était pas pour maintenant. Avant de partir, je racontai rapidement à mes amis où j’allais. Après m’être pris quelques boutades, je fonçai me changer dans les toilettes.
Lorsque je sortis dans la cour, j’eus l’impression qu’une ombre m’épiait. Cependant, vu comment j’étais présentement habillé, je me faisais sûrement des idées. Tous les regards étaient portés sur moi, comme si j’étais un phénomène de foire. Nous n’étions peut-être pas si loin de la vérité.
Dans le couloir de l’aile droite, je cherchais le plan de leur côté. Je finis par trouver les cours d’Alice. Tandis que je parcourais le lieu, des murmures accompagnaient ma course, ainsi que des regards remplis de curiosité.
Une fois devant la porte, je respirai un grand coup et entrai en trombe. Le professeur en contrebas m’observa avec un air las, comme s’il était habitué à ce genre de spectacle.
— Côt côt côt ! commençai-je en sautant sur les tables.
Je passais entre les rangs et écrasais les affaires des élèves au passage. Tout en continuant mes bruits de poule, je cherchais la raison de ma présence ici. Je finis par croiser le regard amusé d’Alice dans un rang sur la droite. Elle pencha la tête vers Sophie et sembla lui murmurer des choses. Son amie s’esclaffa.
Comme l’odeur de soufre de Sophie et Antoine était présente, à faible niveau, mais présente tout de même, je restais sur les rangs à gauche.
Le professeur s’approcha de moi, le regard énervé.
— Je vous prierai de sortir d’ici, sinon je…
— Côt côt côt ! grondai-je, continuant mon spectacle.
Dans un élan de provocation, je descendais vers lui. Je continuais de m’agiter comme une poule. Seulement, quand j’arrivais dans les rangs de devant, une odeur de soufre s’immisça dans mes narines. Elle s’installa derrière mes orbites. Au contraire de celles des amis d’Alice, celle-ci était forte. Elle s’emparait complètement de mon cerveau ainsi que de mon corps. Mes jambes tremblèrent sous le choc. Ma vision se brouilla. Tout autour de moi parut vaciller.
Je clignais des yeux pour essayer de reprendre mes esprits. Le costume paraissait se resserrer autour de ma tête. Il m’empêchait de respirer correctement. Quand je retrouvais un semblant de vue, je parcourais la salle des yeux. Je tentais de repérer la personne dont l’âme m’appelait. Je trébuchai. Ma course finit devant la personne en question. Son âme puait. J’eus l’impression de l’entendre murmurer, sûrement le fruit de mon imagination.
Ses yeux verts étaient posés sur moi. Comme les autres, il était amusé par mon ascension. Moi, j’étais figé. Son âme me retenait prisonnier.
Ma tête me lançait des coups, me donnait l’impression qu’elle allait exploser. J’avais chaud. Au loin, j’entendais les cris du professeur. Il se rapprocha de moi. Pourtant, j’avais l’impression qu’il s’éloignait, comme si mon âme quittait le lieu.
Je tentais tant bien que mal de me remettre sur pied — ou sur patte —, mais j’avais la sensation d’être sur un bateau en mer agitée, incapable de marcher correctement. Je m’étalais de tout mon long sur les marches qui remontaient vers la sortie. L’écho des élèves sonnait comme dans un rêve lointain. Je perçus leurs silhouettes en mouvement. Sentis des mains sur mes bras. Quelqu’un m’aida à me relever. En guise de remerciement, je me contentais de faire de nouveaux bruits de poule.
Le fameux garçon était tout proche de moi. Cela provoqua de nouveaux spasmes dans mes jambes.
Sortir d’ici… Fuir… Vite !
C’était la première fois que je sentais l’âme d’une personne qui allait quitter son enveloppe charnelle. Dans quoi ? Trois heures ?
J’entendais mon cœur battre, à mesure que je m’éloignais de l’amphithéâtre. J’eus la sensation qu’un morceau de l’âme était accroché à moi. Elle m’enveloppait de sa vapeur de mort. La tête encore vacillante, je reprenais mon souffle. Je me retenais sur un des murs.
Comme personne ne traînait dans le couloir, j’enlevais mon casque de poule.
Inspire… Expire… Inspire… Expire…
Une subite envie de vomir me prit à la gorge. Sans attendre, je me précipitai dans les toilettes les plus proches. J’entrais en trombe. Je lâchais mes tripes dans un des toilettes. Mes jambes tremblaient encore et cédèrent sous mon poids. Après avoir craché ma bile, je laissais ma tête retomber contre la paroi.
Tout en moi brûlait. Je sentais encore l’âme du jeune homme parcourir mon corps. Elle m’emprisonnait dans un tourbillon d’émotion.
Que venait-il de se passer ? Comment se faisait-il que je ressente tout cela, d’un coup ?
Pour me remettre les idées en place, je me relevai, encore tout tremblant. Je me rafraîchis le visage et bus une gorgée d'eau. Mon reflet dans le miroir faisait peur à voir. Mes cernes étaient creusées. Mes yeux rouges. Je ressemblais à un cadavre ambulant. Un zombie.
Quand je faisais mes exercices avec mon père sur des humains, je n’avais jamais ressenti ça. Oui, j’avais senti la mort, l’odeur de soufre. Bien évidemment que ça m’avait fait quelque chose, mais pas à ce point. Alors oui, depuis que je n’étais plus avec mon père, j’avais laissé les émotions m’envahir. J’avais ouvert cette brèche. Était-ce à cause de ça que tout était amplifié ?
Je tâtais mes poches à la recherche de ma bague avant de m'apercevoir que je l’avais laissée dans la poche de mon jeans. Et celui-ci était dans les sanitaires de mon aile. J’avais besoin de sentir sa chaleur rassurante.
Des larmes menaçaient de couler. Je fermais les yeux un instant pour reprendre une contenance. Hors de question qu’on me voie dans cet état. Mes émotions devaient rester cachées si je ne voulais pas subir le même sort que Vilenia.
Est-ce qu’elle aussi s’était sentie incroyablement seule dans cette épreuve ?
Quelle que fût la réponse, je ne le saurai jamais. Son âme avait été entièrement détruite à néant…
Je m’aidais avec le lavabo pour me relever. Mes jambes étaient encore engourdies, mais je sentais que la vapeur de l’âme du garçon commençait à s’évaporer.
Sans m'attarder outre mesure dans ces toilettes, je me mis en route. J’avais envie de courir, mais je ne pouvais pas le faire avec mes membres en coton. Au loin, je sentis l’air extérieur s’engouffrer dans l’enceinte. Je me hâtais. J’avais besoin de respirer l’air frais, de quitter ce costume, d’oublier tout ça…
Dans un virage, je percutais quelqu’un alors que je tentais de remettre mon casque. Cette personne bougea à peine, comme si elle était faite de pierre. Mes jambes flanchèrent une nouvelle fois. Je me rattrapais de justesse contre le mur.
L’homme de dos portait des vêtements entièrement noirs. Ses cheveux de jais étaient coupés court. La manière de se tenir, ce qu’il dégageait… Je reconnaissais cette personne. Je savais qui se tenait devant moi.
Je fis un pas en arrière pour essayer de m’échapper le plus loin possible sans être vu. Seulement, l’homme se mit à remuer et se tourna vers moi. Le Livre qu’il avait entre les mains se ferma d’un coup sec. Ses yeux bleus perçants plongèrent en moi comme un laser douloureux. C’était trop tard. Il m’avait vu.
— Mattheus, fit sa voix froide et grave.
Vous êtes-vous déjà senti comme un moins que rien sous le regard de quelqu’un ? Comme si, d’un coup d’œil, cette personne vous faisait sentir que vous étiez ridicule. Tout petit. Eh bien, actuellement, c’est comme ça que je me sentais. Sans m’en apercevoir, je retenais ma respiration.
De toute façon, je n’avais plus le choix, je devais l’affronter et assumer mes bêtises.
— Bonjour, Père, finis-je par répondre dans un souffle.
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