Chapitre 14 (1/4)

5 minutes de lecture

Mon père avança dans ma direction, les mains derrière le dos.

— Que fais-tu ici ? demanda-t-il d’une voix glaciale. Je t’attendais dans ta chambre.

Je soupirai, accablé par l'ironie de la situation.

— Je réfléchissais.

— Je dirais plutôt que tu m’évitais.

— Je peux pas t’éviter. Où que j’aille, tu vas.

Il esquissa un rictus presque imperceptible avant de me tendre la main.

— Viens.

Je m’exécutai. Aspirés dans un vide sans fin, il nous téléporta dans un tourbillon effréné. Nous nous retrouvâmes sur un sommet montagneux. La neige battue par le vent, l’air glacial qui m’attaquait immédiatement… Cela réveilla des souvenirs enfouis en moi. Des moments partagés avec mon père. Ce lieu avait accueilli les seuls instants de confession de sa part. Sur la vie, sur notre avenir. J’étais nostalgique.

Je frissonnai. D’ordinaire, le froid ne m’atteignait que très légèrement, mais ici… C’était différent. Il devait au moins faire… -40 degrés ? Heureusement que je ne pouvais pas mourir, sinon, j’y aurais peut-être laissé ma peau en quelques minutes.

Mon père ne faisait pas attention à moi. Son regard était tourné vers le paysage blanc. Son corps était statique. Il ne semblait pas ressentir le froid de la même manière que moi. Je remarquais que, lorsque je respirais par la bouche, une espèce de vapeur s’en échappait. Ce n’était pas le cas de mon père.

Quand il se tourna vers moi, je dus plisser les yeux, avec toute la lumière qui se reflétait dans la neige.

— Nous venions souvent ici, ensemble, quand tu étais jeune. Un endroit paisible, coupé du monde. Je n’ai jamais croisé personne, compte tenu du climat et des conditions météorologiques.

— Tu m’étonnes… murmurai-je.

— C’est le meilleur endroit pour avoir une discussion privée.

Je levai les yeux vers mon père. J’eus l’impression de voir une lueur briller au fond de ses yeux, sans parvenir à la décrypter.

— Tu te rappelles, la dernière fois que nous sommes venus ici ? Tu devais avoir quinze ans.

J’essayais de me souvenir de ce moment, mais je n’avais que des flashs brouillés.

— Je m’en rappelle pas…

— Tu m’avais confié que tu te sentais différent, comme si tu n’appartenais pas à notre monde. Je t’avais donc emmené ici, pour discuter.

— Ah, oui. C’est à ce moment que tu m’as dit de ne pas discuter tes ordres, et d’avoir confiance en l’avenir, grognai-je, me remémorant ce pénible souvenir.

C’était l’une des fois où je pensais naïvement que je pouvais me confier à mon père. Je me souvenais de ce fameux moment où j’avais douté de moi, de mes capacités. Puisqu’il m’apprenait toutes les facettes de mon futur métier, j’avais le sentiment de ne pas être à ma place. À cette époque, j’avais cru pouvoir tout lui avouer et qu’il m’aiderait. Qu’il me comprendrait. Au lieu de quoi, je m’étais pris une leçon de morale. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il fallait toujours peser ses mots, avant de les confier à quelqu’un.

— Tu as toujours confiance en moi ?

Je pris un instant pour répondre. J’ignorais si c’était toujours le cas. Quand nous nous étions séparés, tout avait changé. Je n’étais plus sûr de mes croyances.

— Oui, finis-je par répondre.

— Si un jour, tu as un doute, le mont Elbrouz aura toujours une réponse…

Mon père avança vers le vide, les bras croisés derrière le dos. Un flash me vint en tête, de cette même image de lui, le dos tourné. Une autre personne se tenait à ses côtés, une main sur son épaule. Ce souvenir était flou, lointain.

Tous ces moments passés ensemble… Pourtant, tellement de distance entre nous. Aussi énorme que le vide en face de lui. Deux étrangers qui partageaient un lien invisible.

Mon père prit conscience que j’étais toujours présent. Il tourna la tête et plongea son regard dans le mien, avant de se rapprocher de moi.

— Comment vas-tu, Mattheus ?

— Là ? Je dois avouer que j’ai un peu froid, lançai-je sur un ton ironique, mais sinon…

Je haussai les épaules.

— Ouais, tout va bien.

Il fronça les sourcils, agacé.

— Je suis sérieux, Mattheus. Comment se passent tes cours ? Aimes-tu ta formation ?

— Oui, c’est cool.

Mon père fit un pas supplémentaire dans ma direction, gardant son sérieux légendaire.

— Est-ce que tu vas enfin m’expliquer ce que tu faisais dans l’aile des humains, déguisé en poule ?

— Rien, Papa, soufflai-je, exaspéré.

— Ne me réponds pas sur ce ton. Je suis ton père, il est de mon devoir de veiller sur toi.

— Je sais, râlai-je une nouvelle fois, sauf qu’il n’y a rien dont tu doives t’inquiéter.

D’un air menaçant, mon père s’avança vers moi. Il s’enfonçait à moitié dans la neige. J’eus presque le réflexe de mettre mes mains devant mon visage, comme s’il allait me mettre une claque. Non pas qu’il eût déjà été violent avec moi — ça n’était jamais arrivé. Mais je ne savais plus ce que je devais croire ou non le concernant.

Nos yeux se croisèrent et je compris qu’il n’était pas en colère. Il essayait simplement de regarder mon âme.

Je détournais les yeux.

Du coin de l’œil, je voyais mon père s’avancer encore, le regard rivé sur ma main.

— Où est ta bague ? me demanda-t-il, d’un ton grave.

J’observais à mon tour ma main nue, devenue presque bleue avec le froid.

— Oh, j’ai dû l’enlever quand je me suis lavé les mains, mentis-je, gardant les yeux baissés.

— Où est-elle ?

Je relevais les yeux vers lui. Une lueur brillait dans ses yeux, j’eus l’impression qu’elle dégageait… De l’inquiétude ?

D’un geste abrupt, je fouillais les poches de mon jean, avant de me rappeler que je l’avais mise dans mon sac de sport. Quand je répondis en ce sens à mon père, il fronça une nouvelle fois les sourcils, avant de me gronder :

— Remets-la immédiatement à notre retour. Es-tu inconscient ? Après ce qu’il est arrivé à ta camarade, tu pourrais être plus vigilant ! Surtout avec la R.D.Â. qui rôde.

Mon visage était statique. Avec cette température, j'ignorais si je ne bougeais plus à cause du changement d’attitude de mon père ou à cause de mes membres aussi gelés que des stalactites.

— Compris ? me lança-t-il, attendant visiblement une réponse de ma part.

Je hochais la tête. Je ne comprenais pas le rapport avec ma bague.

Son regard glissa sur moi. J’eus l’impression qu’il se rendait enfin compte que j’étais congelé. Il posa ses deux mains sur mes épaules, avant de relancer sa téléportation.

Annotations

Vous aimez lire Lexie_dzk ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0