Chapitre 15 (1/4)

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— Nous avons décidé de vous accorder une semaine de coupure, pour la mort de votre camarade, annonça Madame Brindillovan d’une voix posée. Le Grand Conseil a décidé de vous en faire grâce. Aujourd’hui sera donc le dernier entraînement avant cette pause méritée. Je vais passer dans les rangs pour vérifier votre progression. À ce stade de l’année, vous devriez réussir à faire disparaître au moins la moitié de votre corps. Avant de commencer, reprenons les exercices de respiration.

Drôle de coïncidence. Cette coupure tombait pile au même moment que la fête de Noël chez les humains. Comme Vilenia était décédée depuis plusieurs semaines et qu’ils ne nous accordaient cette coupure que maintenant, je me demandais s’il y avait un lien.

Enfin, ce n’était probablement que ça : une drôle de coïncidence.

Madame Brindillovan s’agitait, reproduisant les exercices habituels dans une danse majestueuse. D’un mouvement hésitant et rigide, je l’imitais sans me poser de questions. Même si je savais qu’elle viendrait bientôt évaluer mon niveau, mon esprit était ailleurs.

La révélation d’Alice m’avait travaillé. Après sa rencontre avec les Anges Noirs, j’étais passé la voir pour discuter. La confiance s’était installée entre nous. Je l’avais écoutée sans l’interrompre, même si elle ne me répétait que des choses que je connaissais déjà.

Elle avait participé à une manifestation pour le droit des femmes et des accès aux soins pour les minorités. Ce groupe était généralement pacifique, mais il se pouvait que les choses soient plus virulentes de temps à autre.

Les humains et les altruistes se livraient au même combat : retrouver notre liberté. J'ignorais encore dans quelle mesure les deux groupes étaient liés.

— Si tu veux, je peux te les présenter, m’avait-elle dit.

Sa proposition était sympathique, mais les Anges Noirs humains n’étaient pas le groupe que je convoitais. Je lui avais fourni une réponse vague, afin de pouvoir revenir dessus si besoin.

Autre chose me tracassait. Comme je n’étais jamais revenu vers Alice au sujet de sa mère, elle avait décidé de reprendre son enquête dans son coin. Je ne supportais pas l’idée qu’elle se mette en danger. Je devais trouver le moyen de la convaincre de laisser tomber.

La professeure me tira de mes réflexions et me demanda de lui montrer mes progrès. Son souffle chaud effleura mon cou et me fit frissonner. Sa présence était presque étouffante. Elle me contourna. Son regard acéré se posait sur le mien, comme une lame prête à s’abattre.

Sans la faire attendre plus longtemps, je me lançai. Pour retrouver un semblant de calme et maîtriser mon agitation, je fermai les yeux.

Tu peux le faire, tu peux le faire…

Je me répétai ces mots comme une incantation. Il n’y avait que ses pas, lents et précis, qui résonnaient autour de moi comme les tic-tacs d’une horloge implacable, comptant les secondes avant ma condamnation. Les battements de mon cœur se calibrèrent sur ce rythme.

Seule la couleur de mon âme dansait dans mon esprit. Un cruel rappel de ce que j’étais devenu. L’imposteur. Une personne qui ne méritait plus sa place parmi les Altruistes.

Arrête de réfléchir, ordonnai-je à mon cerveau.

J’inspirai lentement, puis je bloquai mon souffle. Je me concentrai sur mes poumons et tentai de les visualiser. Peut-être que la simple envie de disparaître suffirait pour que j’y arrive.

Mais, au bout de plusieurs minutes, il fallait que je me rende à l’évidence. Rien ne se passait.

Je suis qu’un raté.

— Qu’est-ce qui se passe, Mattheus ?

J’ouvris les yeux. Les yeux de Madame Brindillovan se posèrent sur moi. De la pitié y brillait, clair comme de l’acier. Je brûlais de rage et d’humiliation. Je voulais la saisir par les épaules et la secouer comme un pommier pour qu’elle supprime ce regard. Mais, je n’en avais pas la force. Peut-être que j’étais trop dur avec moi-même, que je me mettais trop de pression. Je devais être moins dur. Après tout, je n’étais qu’un être ordinaire, en pleine phase d’apprentissage.

— J’arrive pas à trouver une raison de disparaître, de le vouloir vraiment… Balbutiai-je, la voix brisée par l'échec.

— Tu dois bien avoir une envie de disparaître, ne serait-ce que pour exercer ton métier, non ? dit-elle avec sagesse. Si c’est ce que tu désires profondément, ton corps suivra. C’est une question de ressenti. Je sais que ce n’est pas facile pour ton espèce, mais je crois en toi.

Sa main douce vint se poser sur mon cœur, dans une caresse froide. Elle m’adressa un sourire compatissant. Sous le voile trompeur de sa bienveillance, je percevais l'étreinte du destin s'insinuer en moi, telle une lame glaciale qui me transperça.

Son regard se prolongea avant qu’elle ne rejoigne un autre élève. Mon souffle s’échappa entre mes lèvres. Je ne m’étais pas rendu compte que je le retenais depuis tout ce temps.

La cloche retentit et me libéra enfin de cette tension. Je me précipitai hors de la salle. Pris d’un déséquilibre, je m’appuyai contre le mur pour retrouver une contenance. Mirabella et Célestin sortaient ensemble de la salle. Ils étaient lancés dans une discussion animée. Derrière eux, j’aperçus Melvin, dont le regard vint capter le mien.

Je me détournais de lui rapidement et reportais mon attention sur mes amis. Les parents de Mirabella lui avaient déjà envoyé un message pour l’inviter à rentrer pendant la coupure. Je l’écoutais pester, déçue de passer cette semaine avec eux. Puis, Célestin se tourna vers moi :

— Et toi, tu as des choses de prévues ?

Je haussai les épaules.

— Non, rien.

— OK, dans ce cas, tu vas venir chez nous.

Mes sourcils bougèrent de surprise, un sourire aux lèvres.

— Tu veux vraiment m’obliger à sortir de ma zone de confort et à sociabiliser, alors que tu sais que j’aime pas ça ?

Je poussai un soupir exagéré, faussement blasé.

— Oh oui ! Tu as intérêt à ramener tes fesses chez nous, sinon je vais débarquer chez toi, frapper à ta porte jusqu’à ce que t’aies envie d’absorber ta propre âme. C’est clair ?

— Bon, OK, je craque sous la menace.

Je levai les mains en l’air.

— Trop mignon ! Tout ça pour présenter ton nouveau chéri à tes parents, se moqua Mirabella.

— Ah, la jalousie, ça te va pas trop, chère amie, répondit Célestin avec un sourire espiègle. L'invitation vaut aussi pour toi, si tu veux fuir tes parents.

— C’est gentil, mais je sais d’avance que je vais devoir les affronter.

Mirabella soupira.

— Profitez bien pour moi, d’accord ?

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