Chapitre 17 ~ Rapprochement (1/5)

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Comme l’heure du rendez-vous approchait, nous nous sommes quittés pour nous préparer. Je me revêtis d’une chemise blanche et d’un jean. Simple, efficace.

Quand je gagnais le hall, Célestin nous attendait déjà, les cheveux encore humides. Je l’accueillais avec un grand sourire et lui demandais :

— Ç’a été, ton cours ?

Il me sourit en retour.

— C’était trop bien ! On entre enfin dans le vif du sujet. Le prof nous montre comment maîtriser notre don. L’année prochaine, on aura des ateliers avec les Empathes pour s’entraîner sur des humains.

— T’as hâte ?

— Grave !

Je l’observais, heureux qu’il s’épanouisse dans son cours. J’avais également hâte d’en apprendre plus avec Monsieur Rhânlam.

Mirabella descendit les marches et nous salua avec enthousiasme. Nous échangâmes quelques banalités avant de nous mettre en route. La bibliothèque n’était pas très loin. Je guidais mes amis à travers les couloirs. Pendant le trajet, Célestin nous racontait son cours plus en détail. Il nous décrivait les émotions qu’il ressentait à travers ses visionnages.

Quand je poussai la porte de la bibliothèque, des éclats de voix nous parvenaient. L’ambiance était déjà bien installée : rires, verres à la main, discussions animées. Nous descendîmes les quelques marches et, une fois en bas, Sophie et Antoine vinrent nous arracher Célestin. Ce dernier nous lança un regard mi-amusé, mi-blasé.

Un peu plus loin, j’aperçus Alice qui discutait avec Melvin. Je fus surpris de le trouver là. Alice dut sentir mon regard sur elle, car elle se tourna vers moi, un sourire naissant sur les lèvres. Je hochai la tête pour la saluer.

Mirabella me tira par la manche et m’entraîna vers la buvette. Nous déposions les boissons que nous avions apportées. À nos côtés se trouvaient deux garçons qui se servaient.

Soudain, une odeur familière me titilla les narines : du soufre. Je balayai la pièce du regard. J’eus la sensation que toutes les personnes sur ma liste étaient réunies ici. Une douleur s’installa dans mon crâne. L’odeur était trop concentrée. Mauvais signe.

Mirabella, qui sortait ses cocktails, croisa mon regard. Je voyais dans ses yeux qu’elle aussi l’avait senti. Seulement, elle garda le silence, se contentant de dispatcher ses préparations.

— Pourquoi Melvin est là ? murmura-t-elle entre ses dents.

Je haussai les épaules.

— Je t’avoue que j’en ai aucune idée.

Elle se tourna vers l’audience.

— On vous a préparé des cocktails maison !

— Tu gères !

— Trop cool !

Melvin l’observait en silence. Mirabella détourna les yeux.

— Tu veux goûter ?

Elle me montrait l’un des thermos.

— C’est quoi ?

Sans me répondre, elle versa le liquide orangé dans un verre.

— Je l’appelle « La Mira ».

— « La Mira » ?

J’esquissais un sourire.

— Parce qu’il est aussi épicé que moi.

Elle rit et me tendit le verre. Je pris une gorgée et manquai de m’étouffer. Elle avait raison : c’était piquant, mais l’arrière-goût était étonnamment doux. Un peu comme elle… enfin, façon de parler.

Mirabella observait les convives se servir.

— Ah, et une fois la bouteille finie, je vous rappelle que le verre se trie dans le bac prévu à cet effet, lança-t-elle avec sérieux.

Je ne pus m’empêcher de rire.

— Quoi ? fit-elle en chuchotant.

— T’as l’air d’une vraie Naturelle.

— Eh, le verre, ça peut tuer les animaux s’il est jeté n’importe comment !

Les cocktails de Mirabella étaient excellents. J’eus à peine fini mon verre que je m’en servis un autre. En balayant la pièce du regard, je repérai Célestin. Il avait l’air mal à l’aise, coincé entre Sophie et Antoine, qui ne semblaient pas lui laisser un centimètre d’espace.

Sans hésiter, je m’approchai et l’attrapai par la main pour l’éloigner de là.

— Ça va ? lui demandai-je, tandis que Sophie et Antoine me lançaient des regards noirs.

— Ouais… Ils sont adorables, je les aime bien. Mais savoir qu’ils vont mourir… ça me pèse. Je pensais que je pourrais faire abstraction… Même si je peux pas tomber amoureux, j’ai quand même des émotions. C’est dur d’être avec eux, de profiter, en connaissant… la vérité.

Je le regardai et vis à quel point cette pensée le rongeait. Gêné, il détourna les yeux et attrapa un livre sur une étagère et feignit de le feuilleter.

— Je suis désolé, Cyl. Mais tu sais qu’on est là pour toi.

— Je sais… Je crois que je devrais arrêter de trop traîner avec eux. Je veux pas m’attacher et souffrir quand ils partiront.

— De toute façon, tu les perdras.

Célestin releva la tête.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— À la fin de notre apprentissage, on devra tout laisser derrière nous. On disparaîtra du monde des humains. On ne pourra plus jamais les revoir. Alors… qu’ils partent maintenant ou plus tard, qu’est-ce que ça change au final ? Autant en profiter, non ? C’est toi qui me l’as conseillé, d’ailleurs.

Il esquissa un léger sourire.

— C’est vrai que je donne de bons conseils… ironisa-t-il. C’est juste dur de penser à… l’après.

— Les choses sont comme elles sont. Soit tu gardes tes distances, soit tu fais avec. À toi de choisir ce qui te convient.

Il hocha la tête, l’air pensif.

— Écoute, ce soir, oublie tout ça. Profite. Si, après coup, tu vois que c’est trop difficile, alors tu prendras ta décision. Mais ce soir… On met tout ça sur pause, d’accord ? Prenons ce qu’on peut, comme dirait Mira, et ne pensons pas au futur.

Célestin inspira profondément avant d’acquiescer.

— Ok. Je vais essayer.

Célestin s’avança et me serra dans ses bras. Sa chaleur m’envahit instantanément. Je refermai les bras autour de lui, comme pour le protéger du monde extérieur.

— Merci, Matt. C’est agréable de pouvoir compter sur ses amis.

Après quelques secondes, il relâcha son étreinte et repartit sans un regard. Il souhaitait sûrement cacher sa tristesse. Je le regardais s’éloigner et me perdis dans mes pensées.

Célestin était tellement imprégné d’empathie que j’oubliais parfois à quel point mes mots pouvaient l’affecter. Moi, j’avais beau être plus ouvert à mes émotions, je restais maladroit et pas vraiment le mec le plus délicat du monde. Peut-être qu’à l’avenir, je devrais éviter de parler de la mort devant lui. Ou au moins, réserver ce genre de discussions à Mirabella, la seule qui puisse vraiment comprendre. Avec elle, je pouvais dire les choses sans filtre, sans risquer de blesser quelqu’un.

Non pas que Célestin fût fragile — loin de là. Mais la mort l’affectait différemment de nous, ce qui était logique. J’aurais aimé être plus sensible, mieux comprendre les autres. Peut-être qu’avec le temps, en apprenant à me laisser aller, ça viendrait.

Mais au fond, c’était aussi ça l’intérêt d’avoir des amis comme Mirabella et Célestin. Ils m’apportaient chacun quelque chose d’unique, et j’espérais être aussi important pour eux qu’ils l’étaient pour moi. Être un bon ami, ce n’était pas si évident que ça.

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