Chapitre 18 ~ File d'attente (3/4)
Soudain, Monsieur Rhânlam fit son apparition, traversant le hall à grandes enjambées. Je le regardai, fascinée, comme si j’avais devant moi une apparition divine. Sans perdre de temps, il s’élança vers la R.D.Â. et leur indiqua quelque chose en pointant un couloir. Les hommes en uniforme se précipitèrent dans cette direction, sans même nous accorder un regard.
Mes jambes tremblaient. Il fallait que je me fasse discret, que je me faufile sans attirer l’attention. Je me dirigeai vers la sortie, le cœur battant. L’air frais m’assaillit en pleine figure, et j’accueillis cette brise avec un soulagement presque intense. Je tentais de reprendre mon souffle, en essayant de ne pas attirer les regards. J’eus l’impression que Monsieur Rhânlam m’observait.
Marcher. Sortir. Rester calme.
— Ça va ? me demanda une voix que je ne reconnus pas.
Une main se posa sur mon épaule. Je suivis le mouvement de la main du regard, et je vis le jeune homme au regard ambré. Fay.
D’un geste brusque, je me dégageai de son emprise. Je n’aimais pas que des inconnus me touchent. Son regard s’intensifia, comme s’il essayait de percer quelque chose en moi. Puis, ses yeux se posèrent sur ma main, là où brillait ma bague.
— Oui, répondis-je d’une voix sèche, sans me retourner, et me dirigeai à toute vitesse vers la sortie.
Son insistance me surprenait. Devais-je me méfier de lui ?
* * *
Après avoir quitté les arcanes du cours de l'âme et ses secrets, Mirabella, Célestin et moi nous précipitâmes vers la sortie. La R.D.Â., omniprésente, surveillait sans cesse les allées et venues, et nous, furtifs, tentions d’échapper à son regard vigilant, fuyant les cours avec une urgence palpable. Mais à chaque volte-face, il semblait que ce même garçon aux yeux couleur d’ambre nous suivait, comme une ombre. Depuis quelques jours, cette étrange sensation grandissait en moi, comme si ses pas résonnaient partout où je me rendais.
Sur le chemin du retour, je partageais cette inquiétude avec mes amis, et lorsque je mentionnai ce garçon, Célestin serra les dents, un malaise visible traversant son visage.
— Qu’est-ce qu’il y a ? lui demandai-je, ne comprenant pas son expression.
— Rien, c'est juste que…
Il s’interrompit soudain, ses mains se mouvant dans des gestes furtifs, comme s’il dialoguait avec des pensées invisibles. Mirabella et moi restions là, les yeux fixés sur lui, attendant la suite de ses paroles.
— Je crois qu'il me harcèle un peu, souffla-t-il. Il est bizarre.
— Comment ça ? insistai-je, curieux de savoir ce qui se passait vraiment.
— Tu te rappelles, à Noël, je t’ai dit qu’il insistait pour qu’on se voie ?
Tentant de me souvenir de nos conversations, rien de ce genre ne revenait à la surface.
— Non.
— Eh bien, je… J'ai couché avec lui.
— Quoi ?! m'écriai-je. Attends… tu nous fais une scène avec Mira parce qu'on t'a pas dit qu'on l'avait fait, mais toi, tu nous dis pas ça ?
Célestin grogna.
— Je t’en avais parlé à Noël…
— Pas vraiment !
Mirabella, elle, se redressa, le regardant de haut, comme une reine prête à rendre son jugement.
— Bon… C'était un soir où je me sentais un peu seul. Il était là, on a bu un verre, on a discuté… Et de fil en aiguille, on a fini par se retrouver au lit. Que voulez-vous que je vous dise ? Moi aussi, j'ai des besoins !
— Toi qui avais soi-disant arrêté avec les relations, le réprimandai-je.
— C'était juste un coup d'un soir, pas une relation, souffla-t-il en se défendant.
— Tu viens pas de dire qu'il était bizarre ? Renchérit Mirabella.
— Si, c'est justement pour ça que c'était un coup d'un soir, râla-t-il.
Mirabella et moi échangeâmes un regard lourd de sous-entendus avant de nous tourner à nouveau vers lui, les mains sur les hanches, comme si nous allions le réprimander.
— Et ? lançai-je d'un ton insistant, hochant la tête.
— Bah, peut-être que c'est pour ça qu'il est bizarre… Je l'ai un peu… ghosté.
Mirabella leva les yeux au ciel, tandis que je maintenais mon regard sur Célestin, sans ajouter un mot, absorbée par ce qu'il venait de nous confier. Célestin se tenait là, replié sur lui-même, comme s'il avait honte, évitant de croiser nos yeux.
Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de trouver ce garçon aux yeux ambrés vraiment étrange. Ce n'était pas qu'une simple histoire de cœur.
Je posai une main sur l'épaule de Célestin, qui me répondit par un sourire timide.
— Il faudrait quand même qu’on se penche sur la question du Renifleur. Je sais même pas pourquoi on a pas pensé avant de le chercher plus concrètement, fis-je.
— Peut-être parce que vous étiez focalisé sur Melvin ? Nous lança Célestin d’un ton plus dur.
— Parce que c’est lui ! Vous allez voir, je vais enquêter sur lui.
— Désolé de faire le rabat-joie, mais je pense que non. Vil m’avait fait des confidences. Elle semblait plutôt proche de lui. Et j’ai confiance en son jugement…
La tristesse dans sa voix me fit de la peine. Je posais une main sur son épaule.
— Moi, je pense réellement que c’est lui ! s'écria Mirabella en croisant les bras.
— Oui, mais toi, tu es aveuglé par cette haine que vous nourrissez tous les deux.
Mirabella le fusilla du regard.
— Me regarde pas comme ça, ce n’est qu’un fait, se défendit-il en levant les mains.
— Il faut dire qu’il n’a pas tort… lâchai-je en hochant la tête. J’avoue que j’ai des doutes à son sujet. Je pense que ça vaut quand même le coup qu'on enquête sur lui, mais pas qu’on dépense toute notre énergie de son côté.
— Écoutez, je vous ai dit que je m’en occupais, je m’en occupe, répondit Mirabella en soufflant. Après tout, c’est moi qui en suis persuadée, comme vous le soulignez, alors je m’en occupe.
Après nous être mis d’accord pour mener l’enquête de notre côté sur Fay et sur Melvin, nous nous séparâmes. Depuis notre dispute, je n'avais pas pris le temps d'aller voir Alice. Et, à ma grande surprise, je me rendis compte qu'elle… me manquait. Je n'avais pas l'habitude de ressentir le manque, un vide qui s'insinue sans crier gare, et encore moins pour quelque chose ou quelqu'un. Surtout pas pour une humaine.
Je me dirigeai vers le couloir qui menait à sa chambre, chaque pas hésitant, comme si une force invisible me retenait. Devrais-je frapper à sa porte ? Mon comportement avait été insupportable, je le savais trop bien. Comment pourrais-je espérer qu'elle me pardonne après cela ?
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