Chapitre 19 ~ Monsieur Rhânlam (2/6)
ATTENTION - ce passage contient des violences.
Je tombais dans un gouffre, agité par des turbulences. Des images de vie tournaient autour de moi, s’entremêlaient dans le désordre.
Cette âme était troublée, lourde. Comme si elle n’avait jamais accepté le fait d’être partie. Je pressentais qu’elle allait être difficile à suivre.
Au bout de plusieurs secondes qui me parurent des heures, je finis par tomber dans une flaque de boue. Ma tête me tournait, je me sentais pris de nausée.
Mes jambes étaient en mouvement. Je mis un peu de temps avant de me rendre compte que j’étais dans un corps d’enfant. J’aperçus son reflet dans les bais vitrés d’un établi, dans lequel se trouvaient des animaux de la ferme. Je rejoignis deux personnes d’une quarantaine d’années que j’identifiais comme ses parents.
L’enfant que je suivais, continuait sa course, dans la joie et la légèreté.
Puis, un bruit rompit l’euphorie, nous projetant sur le sol. Ses parents ne souriaient plus.
— Sylvestre, va te cacher ! lança la femme.
— Mais pour…
— Obéis ! ordonna l’homme.
Sans comprendre ce qu’il se passait, le garçon finit par obéir. Deux ombres apparurent. Sylvestre se cacha dans un buisson, dans la pénombre. Son point de vue m’empêchait de voir ce qu’il se passait. Je réussis simplement à apercevoir deux gros couteaux de boucher dans leurs mains.
Sylvestre ferma les yeux, je me retrouvai dans le noir. Je sentis sa main sur ma bouche, étouffant un cri.
J’entendais des hurlements venant des parents de Sylvestre. Des voix. Ils parlaient, mais je ne comprenais pas ce qu’ils disaient. Ensuite, j’entendis un gros « boom », comme le bruit d’un corps qui tombe sur le sol. Encore des cris, stridents cette fois. Des bruits de couteaux tranchant la chair. L’odeur du sang. J’eus un haut-le-cœur.
Au bout de plusieurs minutes, il n’y eut plus de son. Ensuite, ce sont les cris des animaux qui me parvinrent.
Sylvestre mit ses doigts dans ses oreilles. Je n’entendais plus ce qu’il se passait, tout du moins, de manière réduite. Quand le silence fut total, Sylvestre sortit de sa cachette.
Au sol jonchait la tête décapitée de sa mère. Plus il avançait, plus il découvrait les membres du corps de sa mère, dispatchés sur l’herbe humide de sang. Ce fut la même chose pour son père.
Des larmes coulaient sur ses joues. Une boule de colère, de tristesse, se forma en lui. Ses jambes tremblaient. De par son âge, il ne semblait pas se rendre compte de l’ampleur de la scène sous ses yeux.
Dans l’étable, la scène se poursuivait avec les animaux. Tout était calme. L’odeur du lieu pénétrait dans mes narines. C’était insoutenable. Un mélange de chair, de sang, d’égout. Je tombais sur le sol.
C’était trop, je ne pouvais pas en voir plus. Je marquais une pause dans les souvenirs. Je ne voulais pas voir ce qui allait suivre. Comment pouvait-on vivre un traumatisme pareil et avoir une vraie vie heureuse ?
Puisque le professeur nous avait demandé d’analyser un souvenir sans préciser lequel, je décidai de m’arrêter là. Je ne pouvais pas poursuivre, c’était au-dessus de mes forces. J’étais pris de nausée.
Me relevant tant bien que mal, j’observais l’atmosphère. Quand nous mettions sur pause, nous n’étions plus obligés de suivre le point de vue de la personne, mais pouvions nous mouvoir librement.
Les hommes avaient emporté les corps et laissé les têtes derrière eux. Comme une signature. Ou un avertissement. Je me promenais dans l’étable pour analyser les lieux quand mon pied ripa dans une flaque de sang.
Cette fois-ci, j’eus encore plus de mal à me relever, comme si on venait de me mettre K.O. Puisque c’était moi qui étais tombé et non Sylvestre, je n’avais aucune trace sur mes vêtements.
Ma vue se troubla, mon ventre me serrait. Ces sentiments étaient bien les miens.
Une nouvelle fois, je me laissais choir sur le sol. Je vomis mes tripes. Tout du moins, comme un chat asthmatique, je toussais sans que rien ne tombe sur le sol.
— Ça va ?
Je sursautai, ne m’attendant pas du tout à entendre une voix. Était-ce réel ou bien étais-je en train d’halluciner ? Est-ce que tout ce chaos m’était monté à la tête ?
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