Chapitre 19 ~ Monsieur Rhânlam (5/6)
Sans répondre, je portais mon regard sur les affiches que tenait toujours Mirabella. Quand elle se rendit compte de ma convoitise, elle bougea les bras et déroula un des posters.
— Qu’est-ce qu’on va faire de ça ? Non mais regardez-moi cette bouse ?!
Elle nous tourna le papier. Le dessin était très mal fait, comme si un enfant de cinq ans l’avait fait. L’affiche disait « venez vivre un anniversaire mortel ». Un rire nerveux faisait trembler les lèvres de Mirabella. Je ne pus m’empêcher de rire aussi devant cette œuvre d’art loupée.
— Donne ça — je lui arrachai des mains — on les collera plus tard. J’ai autre chose à faire.
— On est sa secrétaire pour accrocher ça ? Grogna Célestin.
Je haussai les épaules.
— Ça nous permettra d’avoir un prétexte pour l’approcher, soulignai-je.
— Vous voulez vraiment qu’on colle ça ? C’est la honte quand même…
— Et que veux-tu faire Mira ? dis-je d’un ton sarcastique. Lui redessiner son affiche ?
Mirabella haussait les épaules.
— Quitte à les coller, pourquoi pas. Honnêtement, je veux pas être associée à cette horreur, on a une réputation à tenir.
— Moi, je m’en fous, lâchai-je.
— Pas moi, confirma Célestin. Mais, tu sais dessiner Mira ?
— Je me débrouille, ouais.
Mirabella nous fit signe de la suivre. Nous nous empressâmes derrière elle. Après être arrivés dans notre couloir, nous entrâmes dans la chambre de Mirabella. Je me remémorais nos ébats sur ce même bureau et je ne pus contenir un léger sourire.
Elle souleva quelques papiers et sortit un carnet vert au format A4, qu'elle me tendit. Célestin et moi, nous nous installions sur son lit, tandis qu’elle prenait place à son bureau. On feuilletait le carnet en silence, absorbés par ce qu'on y voyait.
Au début, c'étaient des croquis de paysages, certains connus, d'autres plus imaginaires ou appartenant au passé. Puis, les pages changeaient, et nous tombions sur des portraits très différents les uns des autres. Il y avait aussi une photo d’un chat — sûrement Syra, celui dont elle m'avait déjà parlé — ainsi qu'un portrait de ses parents, avec quelques gribouillages autour. Et là, j'ai vu mon portrait. Je remarquais qu’elle avait choisi une teinte de châtain clair pour mes cheveux, alors qu’ils étaient en réalité d’un noir profond, mais je ne dis rien pour ne pas la gêner.
En tournant la page, je suis tombé sur un dessin d'un jeune homme aux cheveux blonds, ondulés, qui semblaient presque se fondre sur son visage. Son sourire était léger, sympathique, et ses yeux d'un bleu profond, presque mystique. Il avait l’air sympathique. En y regardant de plus près, il me faisait étrangement penser à quelqu’un…
— Attends, t’as vraiment dessiné Melvin là ? m'écriai-je.
Je tournais le carnet vers elle.
— Mais non ! Tu vois bien que c’est pas lui ! C’est Célestin !
— Ah bah, ils ont un air, quand même…
Mirabella fronça les sourcils.
— C’est ça ton idéal alors ? me moquais-je.
Mon amie se leva d’un bond et m’arracha le carnet des mains avant de me donner un coup avec. Puis, elle me lança de nouveau le livret.
— Oh ça va, je rigole. Lâche l’arracheuse.
Célestin saisit le carnet et observa le dessin.
— Je trouve pas que l’on se ressemble. J’ai un visage plus fin que lui.
Je haussai les épaules.
— Comment tu peux le savoir ? Tu ne te vois pas.
— Une intuition. Après, Melvin est beau gosse, alors je le prends pour un compliment. Merci, Matt.
Je lui fis un sourire en coin.
— Lui aussi, t’as envie de te le faire ? Ne puis-je m’empêcher de le taquiner.
Célestin leva les yeux au ciel.
— Une fois, c’est arrivé une fois ! Et maintenant, je vais en entendre parler toute ma vie ?
— Oh, bichon, répondis-je en faisant la moue avec ma bouche.
Célestin me tapa avec le carnet.
— Alors c’est comme ça, je suis votre victime ? lançais-je, faussement choqué.
— Plains-toi, t’as raison, ria Célestin.
Quand il tourna la page, nous tombâmes sur le portrait d’un garçon aux cheveux châtain. Ses yeux étaient d’un bleu profond à vous couper le souffle. On ne pouvait pas voir grand-chose, car Mirabella l’avait hachuré dans tous les sens.
— C’est qui lui ? demanda Célestin en désignant le portrait du garçon.
Mirabella nous jeta un bref regard avant de se tourner d’un geste brusque. Elle attrapa son carnet et déchira la page. Puis, elle porta ses mains à son visage.
— C’est… C’est Jack. C’était mon « petit ami » — Elle fit des signes avec ses doigts pour accentuer les guillemets.
Je jetai un coup d’œil vers Célestin, qui ne semblait pas surpris.
— Tu étais au courant ?
— Vaguement, me répondit-il. Elle m’avait dit qu’elle avait eu le cœur brisé. Par déduction…
Sans réfléchir, je posai ma main sur son bras, l’invitant à nous rejoindre sur le lit.
— Tu veux nous en parler ?
— Je n’en ai jamais parlé à personne… Enfin, j’ai essayé avec mes parents, mais avec la violence dont ils m’ont…
Je passai mon bras derrière ses épaules et Célestin lui saisit la main.
— J'avais l'habitude de traîner à L'Enchantement, c'était un bar à smoothies. Je me posais là, je regardais les gens passer et je dessinais. C'était ma façon de m'évader, d'être dans ma propre bulle. Et puis un jour, Jack est venu me parler. C'était un humain.
« Il m'a présenté à sa bande. Petit à petit, je traînais avec eux. On rigolait bien, c’était agréable de me sentir appréciée, entourée. Puis, un jour, Jack et moi, on est sortis seuls. À la fin de la soirée, on s’est embrassés. J’étais totalement sous le charme. On était jeunes, mais je savais ce que je voulais… Être avec lui me plaisait. Puis, on a fini par coucher ensemble et je…
Sa voix se brisa. Elle serra les dents, ferma les yeux quelques secondes, comme pour se reprendre.
— Un soir, il m’a dit que… que tout ça n’était qu’un pari… Au premier qui réussirait à coucher avec la… la paumée du village.
— Mais c’est horrible ! s’écria Célestin.
— Quelle pauvre merde… ajoutai-je, révolté.
— Le pire, c’est que quand j’ai voulu en parler à mes parents, la seule chose qu’ils ont faite, c’est de me punir et de me priver de sortie. Je suis restée cloîtrée jusqu’à mon arrivée ici.
Je bouillonnais intérieurement. Comment ne pas comprendre sa haine pour les humains après ça ?
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