Chapitre 20 ~ Le badge (1/5)
Alice et moi déambulions dans les ruelles encore remplies de monde. Pourtant, malgré la foule, l’atmosphère était étonnamment calme. Les néons bleus qui brillaient au-dessus de nous éclairaient doucement notre chemin.
Quand j’avais annoncé le nom du restaurant choisi, Alice avait souri, visiblement contente. Elle m’avait dit qu’elle était heureuse de partager un peu de son passé avec moi, avant de faire une petite moue gênée que j’avais peine à déchiffrer.
Son regard errait, comme si elle essayait d’éviter le mien. Au fond, je me disais que ce n’était peut-être pas plus mal. Elle avait raison, après tout : je lui mentais. Je lui cachais une grande partie de moi, de qui j’étais vraiment. Et même si je rêvais de tout lui dire, de lui confier la vérité… Certaines choses ne pouvaient tout simplement pas être partagées. Même si j’en avais le droit, ça ne changerait rien. Qui voudrait être amie avec La Mort, celle qui avait sûrement emmené sa mère ?
D’ailleurs, en parlant de la mort, elle n’avait jamais mentionné Yannick, son camarade de classe. Celui dont mon père avait été chargé de récupérer l’âme. Je n'avais aucune idée de l'impact que cela avait eu sur elle… D’un côté, j’avais peur de découvrir dans quel état elle serait quand… Eh bien, quand je viendrai chercher ses amis.
« Bravo Mattheus, vous êtes arrivés à destination. »
Je faisais disparaître l’alerte sur mon Platphone et le rangeais dans ma poche. Le restaurant en face de nous était impeccable, presque chic. Des moulures dorées ornaient la façade noire, et l’ensemble dégageait une sobriété élégante. La terrasse extérieure était repliée, prête à être déployée si le temps le permettait.
Alice poussa la porte et entra. À l’intérieur, l’ambiance correspondait parfaitement à l’extérieur. Les murs en briques beiges créaient un style industriel, mais restaient discrets. De grandes baies vitrées donnaient sur une cour intérieure, et deux longues tables en bois, nappées d’un tissu doré, offraient un air royal à l’ensemble. Des chandeliers étaient répartis tout autour, créant une atmosphère à la fois moderne et médiévale. C’était comme si l’on avait essayé de recréer un décor du passé, et franchement, c’était plutôt réussi.
Alice se trouvait juste devant moi. Sa robe vert émeraude se fondait parfaitement dans le décor. Sans même m’en apercevoir, je me surpris à la regarder, un peu plus que de raison. Je détournai rapidement les yeux, me concentrant sur la magie du lieu.
Un serveur s’approcha de nous. Ses cheveux bruns étaient soigneusement plaqués en arrière, et ses sourcils parfaitement dessinés. Il semblait porter une tenue d’époque, bien que je n’y connaisse pas grand-chose.
D’un geste assuré, il nous invita à le suivre jusqu’à notre table. Nous étions placés à côté d’une femme et de ses deux jeunes enfants. Une grimace involontaire déformait mes traits, mais je me ressaisis rapidement et tirai la chaise d’Alice. Je fis le tour de la table et m’assis en face d’elle.
Je me penchais au-dessus de la table, pour être proche d’elle, murmurant :
— Il aurait pu nous placer un peu plus loin, on est un peu serrés là.
— C’est pas grave, si ? me répondit-elle avec un sourire gêné.
— C’est pas super pratique pour discuter, c’est tout.
Son visage restait étrangement neutre, pas du tout comme d'habitude, et je me demandais si elle était encore fâchée contre moi. Pour être sûr, je plongeais mon regard dans le sien, cherchant à comprendre, peut-être même à percevoir ce qu’elle ressentait à travers la couleur de son âme. Mais elle détourna rapidement les yeux, rompant ainsi le contact.
Ses joues avaient légèrement rosi. Elle attrapa la carte du menu pour se cacher derrière. Son comportement n’était pas habituel, j’en fus déstabilisé. En silence, je pris moi aussi le menu et commençai à le feuilleter. Il y avait deux menus, chacun avec trois plats au choix. Aucun ne m’était familier, comme d’habitude.
Merci Papa de m'avoir gardé éloigné du monde !
Je choisis le « Menu du Roi » avec un canard à l'orange. Bien sûr, ce ne serait pas du vrai canard, mais je supposais qu'ils avaient recréé l’apparence de ce plat d’antan. En refermant la carte, mon regard se porta sur la touffe de cheveux d’Alice qui dépassait de son menu. Ses cheveux cendrés avaient de jolis reflets blonds qui s’harmonisaient avec les moulures dorées du restaurant. Ils tombaient en vagues sur ses épaules, lui donnant un air sauvage. Je remarquai aussi ses sourcils légèrement froncés, comme à chaque fois qu’elle était concentrée.
Quand elle reposa enfin la carte, je la scrutai un peu plus. Ses yeux croisèrent les miens, et je lus l’étonnement dans son regard. Je me laissai aller à détailler ses traits, laissant mes yeux se perdre sur son visage, comme si je voulais le mémoriser. J’observai ses lèvres, à demi ouvertes, et me demandai quel goût elles pouvaient avoir.
Je secouai la tête.
Pauvre Matt, tu dérailles.
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