Chapitre 23 ~ Le Renifleur (1/4)

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*Mirabella*

Célestin vint m’aider à soulever Mattheus, afin qu’il trouve une stabilité sur ses pieds. Sans un mot, nous l’accompagnions à travers les couloirs de notre aile, tellement il peinait à tenir debout. Nous avions insisté pour qu’il se repose. Mais, pensez-vous, il était têtu quand il voulait ! Comme si sa discussion avec l’un des professeurs était vitale. Tandis qu’il s’efforçait d’avancer, brillait dans ses yeux une obstination prête à braver les tempêtes les plus ardues.

À cet instant, il ressemblait à s’y méprendre à un ivrogne. Il avançait pareil à une limace sur le sol. C’était triste de le voir dans cet état. Même si son corps lâchait là, maintenant, il continuerait à s’entêter. C’était sa manière d’être, d’une fierté presque suicidaire, née d’un conflit intérieur qu’il n’avait jamais su exprimer autrement.

Ces derniers jours, je sentais le changement qui s’opérait en lui. Il était plus distant, plus éteint. Une idée semblait l’obséder. Comme nous n’avions pas pu nous voir en dehors des cours, nous n’avions pas pu en discuter.

Après s’être assuré que Mattheus pouvait continuer seul, nous avions pris congé. Célestin me tira par le bras, m’entraînant à sa suite. Les gémissements de Mattheus résonnaient encore derrière nous, grotesques et tragiques à la fois, comme une vache en plein vêlage. Je pinçai mes lèvres pour étouffer le rire qui montait malgré moi.

Nous étions presque sortis de l’enceinte que Célestin me barra le chemin avec son bras d’un geste ferme. Son regard appuyé m’indiqua de garder le silence. Pour le moment, je ne comprenais pas pourquoi nous devions nous cacher, même si la R.D.Â. nous rendait constamment nerveux.

En tendant l'oreille, des voix me parvenaient — un homme et une femme. Je n’en reconnus aucune. En me tournant discrètement vers Célestin, j’eus le sentiment que lui savait.

— ...t’assure que c’est une fraude. J’en mettrais ma main à couper, fit l’homme.

— Tu as des preuves ? Tu as fait un prélèvement ?

— Non. Son âme est noire, mais j’ai perçu ses émotions, l’autre jour…

— Ce n’est pas suffisant, coupa-t-elle. On ne peut pas se contenter d’une intuition. Il faut que tu sois certain.

— Ce n’est pas une simple intuition, c’est…

— Ça ne suffit pas, répéta-t-elle. Tu as ma réponse. Maintenant, va-t'en.

Un soupir. Des pas qui s’éloignent. Puis, nous, qui nous lançâmes des regards paniqués. Mon cœur cognait dans ma poitrine. Un frisson glacé parcourut le long de ma nuque. À mes côtés, Célestin fixait le vide, les yeux écarquillés.

Je l’attrapai par la manche, l’invitant à quitter les locaux. L’air frais me saisit. Je posai mes mains sur mes hanches, courbant l’échine, comme après un sprint. Mon souffle se bloquait dans ma gorge. Prenant conscience que je montrais trop d’émotion, je me redressai. Je devais être impassible. Quoi qu’il advienne.

Se relâcher, c’est mourir, me disait constamment mon père, comme un disque rayé.

J’avais grandi dans cette prison invisible, façonnée pour ne jamais faillir. Alors, j’étouffais la moindre émotion. Mais parfois… cette armure me pesait. Et je me demandais : à quoi bon survivre si l’on ne vit jamais vraiment ?

— C’était Fay, souffla Célestin, la mâchoire serrée.

Je levai les yeux, perdue dans mes pensées. J’avais décroché de la réalité, comme souvent quand les souvenirs me happent.

— La voix de tout à l’heure. C’était lui.

Je fronçai les sourcils. Ce nom ne m’évoquait rien.

— Fay ! répéta-t-il un peu plus fort. Le gars chelou. Celui avec qui j’ai couché.

Je me raidis. L’information me percuta de plein fouet.

— Tu penses que c’est lui... le Renifleur ?

— J’en suis persuadé. L’autre fois, il m’a posé des questions sur vous. J’ai failli répondre ! Heureusement, j’ai tenu ma langue, pour une fois.

Je l’observai, incrédule. Une image s’imposa brutalement : Mattheus, à demi-conscient, le visage livide sous les néons. La R.D.Â. l’entourant avec leurs arracheuses encore fumantes.

— Tu plaisantes ?

— Tu sais comment c’est… confidences sur l’oreiller…

— Donc, dans ces moments-là, tu penses à nous ? lui lançai-je, presque énervée. Finalement, t’es peut-être plus étrange que lui. Si tu n’as rien dit, comment est-il au courant ?

Il fronça les sourcils, à demi agacé.

— Je suis pas son mec, qu’est-ce que j’en sais ? grogna-t-il.

Nous nous fixions, bras croisés, comme deux cow-boys en duel.

— Comment il sait ? répétai-je, paniquée.

Il haussait les épaules.

— Je t’avais dit que tu perdrais ton temps avec Melvin, me réprimanda-t-il.

Melvin. Rien que d’entendre son prénom, j’avais les nerfs à vif.

Depuis le début de l’année, je le soupçonnais d’être le Renifleur. Ces derniers jours, j’étais passée en mode espionne, pour apporter des preuves à mes amis. Si bien que je l’avais suivi comme son ombre.

L’autre soir, je l’ai vu s’éclipser derrière l’université. Il se rendait dans les bois. Ceux-ci débouchaient sur une maigre clairière. Je sentais encore l’écorce de l’arbre qui m’avait servi de cachette. D’autres personnes étaient arrivées. Ils s’étaient mis en cercle, main dans la main. Puis, ils sont entrés dans une espèce de transe, limite sectaire. J’ai attendu malgré le sentiment étrange qui était monté en moi. À la fin, ils étaient tous repartis sans un mot.

Alors OK, ce n’était probablement pas lui, le Renifleur. Mais il fallait bien avouer qu’il était bizarre, non ? Et puis, soyons honnêtes cinq minutes : Melvin est du genre à tout faire pour qu’on le remarque. Imbu de lui-même, toujours à se la raconter. Ce côté « Je sais tout, mieux que tout le monde » me donnait envie de le baffer. Il faisait la cible idéale !

Dès qu’il entrait dans le même espace que moi, j’avais cette rage qui se formait dans le creux de mon ventre. Nos regards se croisaient, et je n’avais qu’une envie, l’étriper. C’était plus fort que moi.

Pourtant… C’était vrai qu’il avait toujours une longueur d’avance sur nous. J’ignorais comment il faisait, mais il savait tout. Ça m’intriguait, autant que ça m’agaçait.

Et puis, un jour, une idée m’a traversé l’esprit — une idée que je n’aimais pas du tout. Vilenia connaissait un membre des Anges Noirs. Et si ce membre, c’était lui ? Si Melvin était avec eux depuis le début, juste sous notre nez ?

Je fus tentée d’en parler à Célestin et à Mattheus. Mais… Comme je m'étais déjà plantée une fois, je n’avais pas envie de refaire la même erreur. De nos jours, la confiance était fragile. Si nous devions la lui accorder, ça devrait être pour les bonnes raisons.

— Je sais, soufflai-je finalement. Et maintenant ? C’est quoi le plan avec Fay ?

— Je vais lui parler, répondit Célestin. Seul.

— Tu n’es pas obligé, tu sais.

— Il me fait confiance. Si quelqu’un peut le faire parler, c’est moi.

— Alors, sois prudent.

Célestin se redressa, cherchant le courage enfoui au plus profond de lui-même. Il avait toujours évité les confrontations. Je savais que c’était difficile pour lui. Cette envie de s’améliorer l’honorait.

Il restait figé, incapable d’avancer. Honnêtement, ça me faisait de la peine. Alors, sans trop réfléchir, je m’avançai vers lui. Puis, je l’attrapai dans mes bras. Ce qui n’était pas habituel pour moi, n’étant pas une personne très tactile d’ordinaire.

En vérité, ce sont mes parents qui m’avaient créé à leur image. J’avais toujours gardé mes distances avec les autres. Sauf avec Jack, l’humain avec qui j’étais sortie… Et nous savons tous comment ça s’est terminé.

Mais aujourd’hui, les choses avaient changé. J’avais des amis. De vrais amis. Célestin comptait énormément pour moi. La simple pensée qu’il arrive lui quelque chose, ou bien à Mattheus… Cela me rendrait folle.

Il resserra son étreinte autour de moi, comme s’il avait besoin de s’ancrer. Nous restions ainsi, dans le silence. Puis il s’éloigna doucement, ses mains effleurant mon visage comme s’il voulait en retenir chaque détail. Il déposa un baiser sur ma joue avant de partir. Je le suivis des yeux, le cœur un peu serré, avant de me remettre en route.

Mes pas me guidaient, je savais pertinemment ce que je devais faire. Même si c’était la dernière chose que je voulais… On ne pouvait pas dire que j’avais le choix. J’empruntai le couloir, m’arrêtant devant sa porte. Je pris une grande inspiration. Fis quelques petits bonds sur place, histoire de me donner de l’élan, comme avant un match. Et je toquai.

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