Chapitre 23 ~ Le Renifleur (2/4)
*Mirabella*
Quand Melvin ouvrit, la surprise se peignit aussitôt sur son visage. Ses sourcils se levèrent si haut qu’ils frôlèrent le plafond. Intérieurement, je jubilais.
— Bella, que me vaut ce plaisir ?
À peine eut-il ouvert la bouche qu’il m’exaspérait déjà. Je levais les yeux au ciel. Je ne supportais pas qu’il m’appelle comme ça. L’autre connard de Jack me surnommait ainsi, et chaque fois qu’il prononçait ces mots, j’avais envie de lui arracher la langue. C’était un rappel constant. Comme si ma plaie béante était étalée à la vue de tous. Mais je ne dis rien et me contentai de le pousser dans sa chambre.
— Oh, Madame est pressée de...
— J’ai besoin de te parler.
Je m’installais sur son lit comme si j’étais chez moi, tout en lui faisant face. J’abordai un air sérieux, pour qu’il comprenne que l’heure n’était pas aux blagues.
Dans l’attente, je ne pus m’empêcher de jeter un œil à sa chambre. C’était étonnamment propre. Presque trop. On aurait dit la mienne… mais avec une touche d’ancien : des montres à gousset, des vieux parchemins, une boussole… Chaque objet semblait imprégné d’histoire. Ça me parlait. J’avais toujours eu un faible pour les époques révolues, surtout le Moyen Âge.
Concentre-toi, Mira. Tu n’es pas venue pour faire du tourisme.
Melvin s’était appuyé contre la porte, les bras croisés. Son regard bleu était sérieux, presque perçant. Une mèche lui tombait sur le nez. Il avait cette beauté froide, presque intimidante. Et je remarquai à nouveau cette aura qu’il dégageait, ce quelque chose de magnétique, malgré moi. Ses bras se contractaient tandis qu’il patientait. Je replantai mon regard dans le sien.
— Je t’écoute, dit-il enfin, un brin impatient.
— Tu es au courant pour… Matt. Tu sais.
Son visage était impassible. Je n’arrivais pas à décrypter ses pensées. Je devais avouer que ça m’avait toujours déstabilisé.
— À quel sujet ?
— Melvin…
Je lui lançai un regard appuyé. Il attendait. Un soupir m’échappa.
— Son âme.
Le silence s’installa. Il me fixait toujours, comme s’il essayait de percer mes pensées. Je fronçai les sourcils et essaya de ne rien laisser paraître.
Je croisai les jambes, attendant qu’il réagisse. Nos regards s'affrontaient comme toujours. C'était notre truc, cette tension, ce combat d’égo permanent.
Seulement, j’étais venue le trouver. J’avais besoin de son aide. Lui, de son côté, n’attendait rien de moi. Alors, quelque-part, il avait gagné cette bataille.
— Tu es devenu moine ou quoi ? T’as perdu ta langue ?
Un sourire en coin se dessina sur son visage.
— Quand on est à tes côtés, c’est clair qu’on ferait bien une retraite silencieuse.
Sa langue claqua sur son palais. Ma mâchoire se serrait. Sa petite pique m’arracha un soupir. J’avais envie de l’envoyer balader, mais ce n’était pas le moment.
— J’ai besoin de ton aide, lui dis-je calmement.
Ses sourcils se haussèrent à nouveau, étonné.
— Oh, donc tu viens demander un coup de main au grand méchant Renifleur ? Attends, c’est pas toi qui m’as appelé… comment déjà ?
Il fit mine de réfléchir, tapotant son index sur son menton.
— Ah oui ! « Le connard de Renifleur qui ferait bien d’aller renifler le cul de Claus comme le bon toutou qu’il est », c’est ça ?
Merde. C’est vrai que je lui avais dit ça au détour d’un couloir. C’était après la mort de Vilenia, quand la R.D.Â. et toute la clique avaient rappliqué. Claus nous avait interrogé, et après mon interview, j’étais en colère. Comprenez-moi, j’avais besoin d’extérioriser. Et pas de chance pour lui, j’étais tombée sur sa tête d’idiot. Comme à son habitude, il m’avait fait une remarque et… Vous connaissez la suite.
— D’ailleurs, en parlant de toutou, tu as arrêté de me suivre ? ajouta-t-il, un sourire malicieux aux lèvres.
Mais comment il fait ?
Le silence prit une nouvelle fois place entre nous. Ses yeux ne me quittaient pas. Cette manière sans gêne de fixer les gens, c’est cela qui m’agaçait. Comme s’il n’avait peur de rien. Comme si le monde lui appartenait.
Je devais dire quelque chose. Le pousser à m’écouter. À m’aider.
— J’ai eu tort, marmonnai-je, à contre-cœur.
Il se raidit et m’observa comme un phénomène.
— Pardon ?
Putain, il va vraiment m’obliger à le dire plus fort !
— J’ai eu tort, répétais-je, la mâchoire crispée.
Melvin se précipita vers la fenêtre et jeta un œil dehors comme s’il s’attendait à voir tomber des grenouilles.
— Quoi ? lâchai-je.
— Je vérifie qu’il n’y a pas une éclipse ou un truc apocalyptique qui expliquerait ce miracle.
— Oui bon, pas besoin d’en rajouter…
— Oh si, laisse-moi savourer ça ! C’est pas tous les jours que tu m’offres un tel cadeau. Tu peux le répéter ? Allez, encore une fois, pour la postérité ?
— Même pas en rêve.
— Dommage. C’était beau. J’en ai presque eu les larmes aux yeux.
Il me regardait avec son air satisfait et je dus me faire violence pour ne pas lui lancer un coussin à la figure.
— Peut-on revenir au sujet initial, je te prie ?
— Bien sûr, bien sûr.
— Matt, et son âme.
Je le fixai intensément pour qu’il comprenne le sérieux de la situation. Il retrouva son calme, les bras le long du corps.
— Qu’est-ce que tu veux exactement ?
— Je sais pas… Tu sembles en savoir plus que tu le laisses croire. Alors je me suis dit que peut-être… tu pourrais m’aider.
— Me voilà donc promu mentor. Profite de mon savoir légendaire, chère élève.
— T’es insupportable.
Il me fit un grand sourire.
— Tu peux être sérieux deux minutes ? lançai-je, à bout de patience.
— Deux minutes, ça va être long… Mais pour tes beaux yeux, je veux bien tenter le coup.
Je levai les yeux au ciel, excédée.
Quel beauf !
— J’ai surpris une conversation tout à l’heure. Et je crois que je sais qui est le Renifleur.
Sans que j’insiste, je vis que Melvin était de nouveau sérieux. Je veux dire, vraiment sérieux, comme s’il était passé en mode soldat.
— Qu’est-ce que t’as entendu, Bella ? Dis-moi tout, dans les moindres détails.
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