Chapitre 24 ~ Sous les étoiles (1/3)
*Mattheus*
— Matt ! Ça me fait plaisir de te voir.
Alice sauta dans mes bras à la minute où elle m’aperçut. Elle m’entourait avec une force surprenante, comme si elle voulait s’imprégner de mon odeur. Je lui rendis son étreinte en grimaçant. Mon corps me faisait encore terriblement souffrir, mais je ne souhaitais pas rompre cet échange. À la place, je posai mon menton sur le sommet de son crâne et humai l’effluve de son shampoing aux notes d’agrumes.
Qu’est-ce que c’était bon, de la voir en vie !
Plus tôt dans la journée, je m’étais mis en tête de trouver des réponses auprès de mes professeurs. Manque de chance, je n’en avais croisé aucun. Seule Madame Brindillovan traînait encore dans les locaux. Elle m’avait indiqué que je trouverais Monsieur Dutronc au comptoir du bar « Le Repère », dans lequel il se délectait d’un Perrier menthe.
Notre échange fut un échec. Non seulement il m’avait écarté d’un geste m’envoyant paître. Mais la seule chose quelque peu utile qu’il avait laissée glisser était qu’il connaissait mon père. Cela ne m’avançait pas, comme je l’avais déjà déduit.
Quand j’avais reçu le message d’Alice, je n’avais pas hésité à la rejoindre, persuadé que je ne trouverais aucune réponse auprès de lui.
— Viens entre.
Elle s’écarta, dégageant le passage pour me laisser entrer. Sa chambre me paraissait désormais familière. Je posai ma veste sur le dossier de sa chaise de bureau, comme si c’était sa place habituelle. Puis, je m’installai sur son lit. En me voyant faire, elle m’annonça :
— On reste pas, je prends juste un pull, ma veste et je t’emmène quelque part.
Phrase énigmatique, qui éveillait mon intérêt. Comme annoncé, elle s’habilla. Un sourire se dessina sur mes lèvres, l’observant se mouvoir ainsi. Ses gestes étaient pleins d’entrain, comme ce fut le cas avant notre escapade. Sa légèreté donnait l’impression qu’aucun mauvais évènement n’était survenu, ce qui était étonnant.
Une fois son pull bleu et sa veste marron sur le dos, elle me fit signe de la suivre. Je m’exécutai sans discuter. Elle passa son bras sous le mien, semblant presque sautiller sur place. Son humeur joyeuse était entraînante, je me laissai emporter par son énergie. J’eus l’impression que mes muscles se détendirent.
Nous empruntâmes les escaliers qui descendaient en ville. Face à nous, le message publicitaire des produits d’immortalité s’animait.
— Qu’est-ce que j’aimerais le casser, ce truc, grogna Alice.
— Je comprends.
— Regarde-la avec son faux sourire et ses produits à la noix ! Immortalité mon cul. Enfin…
Ne sachant quoi répliquer, je passai un bras autour de ses épaules. Alice me lança un regard en coin, puis son sourire s’élargit timidement.
— Désolée, je devrais pas m’emporter… Mais ça me gonfle de voir leur mensonge sous mon nez.
Je tournai le visage vers elle. Ses yeux se perdirent quelques instants dans le vide, avant qu’elle ne reprenne :
— Tu savais qu’ils donnent leur médicament aux cancéreux ? On pourrait croire que ça les sauve. Eh bien non ! OK, ils restent en vie, mais avec leur cancer. Leur douleur reste la même. Et ils sont censés vivre avec ça toute leur vie ? Bref, désolée, ça me dégoûte.
Je me demandais si la colère qui se dégageait de ses propos était vraiment dirigée vers les médicaments ou bien la frustration de l’échec de ses recherches.
— Moi aussi, répondis-je simplement.
J’étais sincère. Ça me dégoûtait. Mais que pouvais-je y faire pour le moment ?
Une fois en bas des marches, Alice attrapa ma main pour me tirer à sa suite. Nous nous engagions directement dans la ruelle gauche, celle qui regroupait toute la partie culturelle de la ville. Une rangée de bâtiments, colorée et animée, s’ouvrait sur une place pavée. En son centre, un gros bâtiment s’élevait fièrement, « Astrodome planétarium » écrit en grosses lettres blanches.
Alice se tourna vers moi, tout sourire, avant de prendre une nouvelle fois ma main, pour me presser. Les portes automatiques s’ouvrirent sur notre passage. L’entrée, entièrement peinte de bleu, nous accueillit par un rideau de chaleur. Au plafond, une auréole boréale traçait notre chemin.
Au bout, se trouvait une femme, chignon relevé et lunettes noires à monture épaisse, bouquinant.
— Bonsoir, j’ai réservé « La petite étoile », dit Alice à la femme.
Cette dernière releva les yeux avec mollesse. Sans un mot, elle sortit un badge d’un tiroir, qu’elle tendit à Alice.
— Viens ! s’écria-t-elle, toute excitée.
Le couloir que nous empruntions était décoré par une peinture stellaire. À l’instar de mon école, elles étaient statiques. Notre chemin était ponctué par le système solaire. Alice me fit un signe de la main et m’invita dans un couloir plus étroit. Au bout, une porte noire s’ouvrit au passage du badge.
La pièce était sombre, le noir absolu. Alice appuya sur un interrupteur qui émit le bruit d’une VMC. Des milliers d’étoiles s’allumèrent dans un faux ciel en dôme. Elles se mouvaient comme si nous navigions dans l’espace.
Au centre se trouvait une tablette tactile qui nous permettait de nous promener dans la galaxie. À travers les années, les scientifiques avaient découvert d’autres systèmes solaires, ouvrant les portes à l’immensité de l’univers.
Mes yeux brillaient avec passion, impressionné par ce tableau de nuit. Depuis toujours, j’admirais la beauté de la galaxie, et tous les mystères qu’elle recelait.
— Le soir où on a été au resto, tu m’as dit qu’avant, on pouvait les voir. T’avais l’air triste, alors j’me suis dit que ça te ferait plaisir. Ici, ils ont reproduit tout l’univers tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Je devais l’avouer, j’étais touché. C’était une belle attention de sa part. Pourtant, c’était moi qui aurais dû lui remonter le moral, après ce qu’elle avait subi. Doublement, si on comptait l’échec de sa découverte.
— Merci beaucoup, c’est… Adorable, murmurais-je, voulant conserver le calme du lieu.
J’avançai vers la tablette et parcourus l’espace. Toutes ces étoiles, ces constellations, ces planètes, ces nébuleuses… C’était si beau. J’en avais le souffle coupé. C’était la deuxième fois que je me baladais dans l’univers. Plus jeune, mon père m’avait téléporté sur d’autres planètes. Le fait d’être immortel était commode. Toutefois, on ne pouvait pas respirer. Au bout d’un moment, le voyage devenait désagréable.
Alice vint se positionner à côté de moi, son bras frôlait le mien. Je lui jetais un coup d’œil discret. Son regard était sur la tablette. Elle observait ce que je faisais.
— Ça va ? finis-je par lui demander.
— Oui super. Pourquoi ?
— Je pensais que tu serais encore… Sonnée par notre dernière sortie, lui confiais-je.
Je laissai la tablette de côté et me tournai vers elle, afin de l’observer dans les yeux.
— Pourquoi je serais sonnée ? s’étonna-t-elle.
Je plissais les yeux.
— Tu es tombée dans les pommes…
— Non, c’est toi qui t’es senti mal.
Le visage d’Alice était déformé par l’incompréhension. Je me remémorais notre soirée. Les images de la R.D.Â., le laser dans l’œil d’Alice, sa chute, me revenaient comme un cauchemar sans fin. J’eus l’impression de sentir de nouveau son corps tremblant entre mes bras. Certes, je m’étais senti mal, mais simplement parce que j’avais peur pour elle.
— Je t’ai porté jusqu’à ta chambre, Alice, tu te rappelles pas ?
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Après notre enquête, tu es…
Je me tus quand je vis l’expression qu’Alice me fit. Peut-être que le choc de la soirée avait effacé ses souvenirs ? Une lueur passa dans ses yeux, comme si le puzzle se reconstituait. Ses sourcils étaient légèrement froncés.
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