Chapitre 25 ~ Surprise (2/4)
— Dire que j’ai partagé la baguette avec lui, nous fit Célestin.
— Partager la baguette ? Répétai-je.
— C’est une expression, me sermonna-t-il.
— Elle sort d’où ?
Son expression changea. Il fronça les sourcils et me lança un regard accusateur.
— J’en sais rien, on s’en fiche ! Dire qu’il était sous mon nez depuis le début, et que j’ai rien vu ! Tu aurais pu être mort, à cause de moi ! Je suis qu’un raté !
Il s’effondra dans son lit et porta son visage dans ses mains.
— Ne dis pas n’importe quoi, lui fit Mirabella d’une voix douce, prenant une de ses mains dans la sienne. Tu ne pouvais pas savoir.
— Depuis le début, on trouvait qu’il était bizarre !
— Oui, mais toute personne bizarre n’est pas forcément un Renifleur…
Célestin haussa les épaules puis détourna le regard, l’air boudeur. Je mettais mes mains dans mes poches et sentis la présence du Platphone de Mirabella. En le touchant, une question me vint. Si elle était sortie après Melvin, et que les Renifleurs étaient arrivés immédiatement, comment avait-il pu avoir son Platphone ? Je lui posai la question.
— Quand un des Renifleurs a voulu m’interroger, je lui ai confié pour qu’il t’envoie un message.
Son regard était franc, pourtant j’eus l’impression qu’elle ne me disait pas tout. Cependant, je n’ajoutai rien de plus.
— Ils risquent d’en envoyer un autre, non ? lança Célestin en se tournant de nouveau vers nous.
Je haussai les épaules.
— Il faut qu’on entre en contact avec les Anges Noirs, dit Mirabella d’un ton ferme.
— Je croyais que ton contact n’avait rien donné ? répondis-je calmement.
Elle planta ses yeux océans dans les miens.
— Tu devrais appeler ton père.
— Mon père ? répétai-je, surpris.
— C’est une intuition.
Nous nous observions en silence. Posture droite, regard autoritaire. Mirabella était convaincue de tenir quelque chose. Je finis par pousser un soupir et sortir mon Platphone de ma poche.
— OK, c’est bon. Je lui envoie un message.
Une fois la chose faite, je tripotais nerveusement ma bague, en attente de son arrivée. Ma jambe se mit à bouger frénétiquement. Je me préparais.
Au bout de plusieurs minutes interminables, un nuage de vapeur apparut doucement, au même rythme que mon stress montait. Une boule se forma dans mon estomac.
— Matt.
Mon père, les bras croisés, le regard fermé, m’observait avec curiosité. Comme je ne répondais pas, il renchérit :
— Tu m’as demandé.
Ce n’était ni une question ni un reproche. Juste un fait. Son corps était aussi statique qu’une statue, figé dans la glace. Ne sachant pas comment mettre les mots, j’ôtai ma bague et la lui tendis. Il s’avança doucement et observa les deux rubis qui dévoilaient ma fausse âme noire. Comme une peinture figée dans le temps, mon père conservait son expression indéchiffrable.
Il se tourna vers mes amis. Il les observa un à un. Personne n’osait parler. Pour toute réponse, il tendit sa main et nous fit signe de l’attraper. Mes amis me lancèrent un regard, avant que, d’un seul homme, nous attrapions sa main. Puis, dans un élan agité, mon père nous téléporta. Mes poumons étaient comprimés, comme si le fait de voyager à plusieurs réduisait l’oxygène.
Lorsque le paysage réapparut, nous tombions dans la poudreuse. Je n’avais pas besoin de jeter un œil autour de moi, je savais déjà où mon père nous avait emmenés. Nous nous relevions, nos dents claquant comme le ronronnement d’un moteur. Mon père, le dos tourné, ne semblait pas s’en soucier.
— Vous aviez des questions ? lança-t-il sans daigner nous regarder.
Je m’approchai de lui, déterminé, ma bague dans la main, levée comme une torche.
— Tu savais que ça arriverait, n’est-ce pas ? l’accusai-je, une boule dans la gorge.
— Oui.
Je manquais de tomber sous le choc. Pour éviter de la perdre, je glissai de nouveau ma bague à mon doigt. Je détaillais les pierres des yeux. Mon père ne m’observait pas. Son regard fuyait le mien, comme si je n’en valais pas la peine. Ma mâchoire se crispa : de frustration, de colère. Comme un bouchon qui lâche, des millions de questions se pressaient en moi dans un flot continu.
— Pourquoi ? fut la seule chose que j’arrivai à articuler.
La colère montait en moi. Je voulais l’attraper, le secouer, lui crier que tout ça était injuste. Pourquoi moi ? Pourquoi m’avoir toujours gardé dans l’ignorance ? S’il savait que j’étais une fraude, s’il l’avait toujours su, alors pourquoi ?
— Pourquoi ? répétai-je, comme si ce mot était le seul que je connaissais désormais.
Son silence me torturait. Son regard neutre me donnait envie de l’arracher sur son mont adoré.
Réponds, merde !
Mirabella s’avança à mes côtés, leva la tête avec fierté, comme une guerrière prête à se battre.
— On vous a fait appeler pour autre chose.
Le vent soufflait si fort qu’elle peinait à se tenir droite ; pourtant, elle ne faillit pas. Mes os étaient gelés, si bien que j’eus du mal à me remettre droit.
J’observai mon ami avec animosité, vexé qu’elle ne me laisse pas avoir mes réponses.
— Voyez-vous ça ? lança mon père, soudainement bavard.
Il eut un rictus amusé, comme si tout ça n’était qu'un jeu pour lui. Tout était simple, évident, à ses yeux. Mirabella et lui se jaugeaient. Puis, elle s’avança vers lui et tendit sa main.
— Mirabella, Monsieur, se présenta-t-elle.
Dans tout ça, j’avais oublié que mon père n’avait jamais rencontré mes amis.
— Je sais qui tu es.
Mon père l’observait comme une bête curieuse. Ses yeux glissaient sur elle comme de l’eau de roche, avant de s’arrêter sur sa main tendue. Il eut un mouvement hésitant. Il n’avait sûrement pas l’habitude de saluer des gens de cette manière. Puis il déposa sa main dans la sienne.
— Mes parents vous décrivent comme une légende, poursuivit-elle, pensant le faire parler. Vous êtes aussi un membre du Grand Conseil. Je me demandais si vous n’auriez…
— Est-ce que tu aides vraiment le Grand Conseil ? coupai-je avec fureur. Tu les as toujours rabaissés, pourtant j’ai entendu dire que tu étais très engagé dans leur cause. Peux-tu m’expliquer ? En fait, peux-tu me dire la vérité ? Toute la vérité ?
Pour la première fois de ma vie, je vis mon père m’adresser un sourire franc. J’eus un mouvement de recul. Ça faisait froid dans le dos.
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