Mourir un peu
Ouvrir mon coeur ; pas seulement par défi ou opportunité, mais par besoin impérieux. Aller fouiller du côté obscur et anarchique que j'avais mis sous scellé et porte blindée.
Pendant que j'ouvre, j'essaie de me rappeler le pourquoi de tant de précaution, sans arriver à savoir si je voulais préserver ou dissimuler cette mémoire.
Nous y voilà, le verrou saute et s'étale là mon treize novembre, chaos personnel et miniature lié à un drame authentique.
Cela s'est passé tellement loin ; ils avaient encore frappé, ces fous-furieux monomaniaques de la criminalité fanatique. Cette fois-ci, ils avaient tué en pleine capitale française. Mon pays. Paris, terrasses de café, stade de France, Bataclan... tous ces symboles qu'on a voulu abattre, ça a coûté la vie à tant de gens. Pourtant, ça ne s'abat pas, un symbole ; ça se salit, ça mute, ça se redore, ça évolue, ça s'oublie, ça prend la poussière, mais ça ne s'abat pas.
Je n'étais pas présent, ni aucun de mes amis. On ne m'a pas flingué froidement au rythme d'un concert de métal ; je n'ai pas vu s'ouvrir sur moi un feu injuste qui voulait embraser le stade sacré pour tant de français ; mon café n'a pas tiédi pendant que je gisais à terre, sans comprendre ce qui venait d'arriver. Pourtant, l'émotion, toujours vive, n'en finit pas de me ronger. Aujourd'hui encore, j'ai le mal de celui qui survit, qui s'est réjoui que ses proches aient été épargnés et qui pleure en même temps la mort de tous ces inconnus devenus illustres par devoir de mémoire. C'est ma maigre souillure, ces éclaboussures de barbarie qui viennent empêcher de penser. Je n'arrive plus aussi bien à démêler la chair des principes, le sang des symboles, la mort du quotidien, la survie de la vie.
Peur, surprise, colère, désarroi de l'impuissance virevoltent dans une tempête triste. Que faire de cette folie qui s'est imposé à mon monde ? J'ai voulu prendre les armes, mais pas les leur. Se défendre, réagir, résister, oui, à mains nues et l'esprit libre. En fin de compte, face à la mort absurde et indécente, vivre était la seule chose à faire.
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