24 avril.

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Effectivement, les woofers ne sont pas là pour cueillir des pâquerettes. En vérité, nous sommes plutôt là pour les exterminer. Au petit matin, Lias nous emmène au fond du jardin pour y couper les mauvaises herbes. Des pâquerettes, des pissenlits, des chardons-Marie, des plantains, de l’oseille, et tout un tas de plantes sauvages qui asphyxient leurs jeunes figuiers. Bien campé sur mes deux jambes, le corps en arrière afin de supporter le poids de la débroussailleuse thermique, j’élimine tout ce qui se trouve sur mon passage. À l’aide d’une faucille, Marie tourne autour des figuiers pour couper méticuleusement les dernières mauvaises herbes. Elle sifflote pendant que je m’esquinte à porter cet engin peu maniable, dont la sangle abîmée, loin d’alléger les kilos du moteur, me meurtrit par surcroît la clavicule. Pour comble de malheur, la débrousailleuse s’étouffe à l’accélération, de sorte qu’il me faut régulièrement tirer sur la corde afin de redémarrer le moteur encrassé. Plus je tire et plus je faiblis. Mes muscles endoloris veulent une chaise ainsi qu’une limonade. Dans le potager, Thomas se marre en me voyant pester contre l’engin ; il débarque avec ses gros muscles et le démarre en un coup, puis me donne des astuces pour éviter qu’il ne cale encore. Confier les basses besognes aux woofers est un grand classique ; confier les plus difficiles à l’homme est systématique. À la fin, je suis rendu, j’ai sué sang et eaux. Marie n’est malgré tout pas en reste : à trop se pencher, son dos a pris la courbe de sa faucille. Satisfaction, néanmoins, de contempler notre parcelle entièrement défrichée ; sentiment identique à celui du coiffeur qui tend son miroir afin que le client puisse constater le travail proprement fait – la sueur en moins sur son front.

Tout de même, une question me taraude alors que nous nous reposons à l’ombre : suis-je bien fait pour les travaux agricoles ? Ai-je le goût de l’effort physique exigé par ces tâches ? C’est une évidence que de dire : le travail de la terre est un dur labeur. Mais de le constater physiquement, c’est encore autre chose. Le fait est que je suis frêle par nature. Cinquante-neuf kilos tout mouillé pour cent soixante-dix-huit centimètres. J’ai passé ma jeunesse à ne rien faire ; et quand je faisais, c’était le nez planté dans les bouquins. Je n’ai pour ainsi dire pas de ceinture abdominale ; pas de grand dorsal, pas de trapèze ou de biceps ; et je découvre à l’occasion des muscles dont je ne soupçonnais pas l’existence. En bon rat des villes, la connaissance de mon corps est nulle ; je ne sais rien de son potentiel ou de ses limites. Au contraire de Thomas, véritable force de la nature, je n’ai pas la constitution nécessaire au labeur agricole. Être un paysan requiert des aptitudes que je n’ai ni par l’innée ni par l’acquis. Bien sûr, je pourrais m’endurcir à la longue, mais cela me serait plus coûteux qu’à Thomas, pour un résultat moins probant. À tout prendre, en aurais-je seulement le désir ? Je me plais davantage à contempler la terre plutôt qu’à la bêcher. J’ai l’œil plus musclé que le bras. Devenir paysan ? Pour regarder le paysage.

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