17 mai, Rășinari.

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Mélancolique, Emil Cioran disait depuis la France, en parlant de sa Roumanie : « Je donnerais tous les paysages du monde pour celui de mon enfance. » Hasard et magie du voyage, nous voilà donc arrivés dans son village natal, dans ce lieu regretté qui levait tant de choses en lui, qui le rendait deux fois plus lourd, ou deux fois plus léger – ça dépend de quelle époque on parle.

En ce beau jour de printemps, le village a fermé les yeux, Rășinari dort au pied des Carpates, allongé dans cette vallée riante. On le réveille afin d’acheter quelques légumes ; on repart avec ce fromage étrange appelé Burduf, qu’ils font vieillir dans l’estomac du mouton. Ce qu’il faut voir, à Rășinari, ce sont d’abord ses vaches. Pareilles au village, elles roupillent au soleil, avachies sur le bitume, on dirait qu’elles viennent de brouter de l’opium. Ce sont de bonnes grosses vaches laitières un peu comme les normandes, à ceci près que leur robe est brune avec des taches blanches (et non l’inverse). Étrangement, ces vaches préfèrent la compagnie des hommes aux gras pâturages tout beurrés de soleil, là-bas, dans les collines environnantes. Autre chose à voir, à Rășinari : ses vieilles maisons typiquement transylvaines, aux crépis bleu pâle ou vert anis ou terre de Sienne. Les couleurs sont fort défraîchies ; les maisons n’en sont que plus pittoresques. Un siècle a passé depuis le temps d’Emil Cioran ; seul le ruisseau semble immuable ; il passe ici puis repasse encore là ; l’eau scintille, ondoyante, et décompose l’image du soleil en un million d’étoiles. Ce serait pure folie de s’y baigner tant il charrie le grand froid des Carpates, où il prend sa source. Ce n’est pas l’envie qui manque à Marie, qui raffole de la froideur des eaux. On jette un dernier coup d’œil au village… Rășinari, paradis qui ne dit pas son nom, qui finit trop tôt dans le rétroviseur, et qui s’éloigne, et qui s’éloigne, à l’image de son ruisseau dont le faible courant passe, lentement, mais passe quand même.

En chemin vers Sibiu, l’un des joyaux de la Transylvanie. On repense encore à la phrase de Cioran. Bien sûr, on n’ira pas jusqu’à troquer toute la beauté du monde pour la petite Rășinari : ce n’est pas de notre enfance qu’il s’agit… Mais la question se pose : y a-t-il pour nous un paysage surpassant tous les paysages, un lieu-refuge, un endroit-source, un Nord magnétique, une auberge ayant nos faveurs non parce qu’elle serait la meilleure mais parce qu’elle est sise au cœur de notre enfance ?

Pour Marie, ce sera la plage de Nacqueville, dans le Cotentin. De préférence en automne, à l’heure de la marée violente, quand les éléments grondent et qu’on peut ressentir dans sa poitrine un éclat de l’équinoxe. Plus la mer est démontée, plus le ciel est chagrin, plus le tout s’apparente au pays de son enfance. Il faut que tout prenne l’eau. De là son amour pour les cottages et les pulls irlandais.

Pour moi, ce sera la Chaume, un village de marins-pêcheurs, en Vendée. Pour les joies de l’été commençant. Pour le plein cagnard. Pour les heures qui s’écoulent aussi lentement que ces chalutiers qui rentrent à bon port. Est-on le 15 ou le 17 juillet ? Les devoirs de vacances ont le goût l’eau salée, quand on a bu la tasse. On se promène au bord du chenal – odeur de marée basse, oratorio des goélands, grand large illimité, désir fou de distance… et frustrante immobilité de l’enfance. De là mon goût pour les bateaux qui partent et qui reviennent.

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