14 juillet, Cappadoce

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La géologie, c’est comme un bon plat de lasagnes : de longues strates allant du jaune au rouge, entrecoupées de couches de couleur crème, et de grosses boulettes de basalte. La Cappadoce est un bon endroit pour déguster ce genre de plat. Mais pourquoi tous ces canyons, ces plateaux, ces pitons, ces cheminées de fée ? Parce que la monstrueuse colère d’un volcan signifie, quelques millions d’années plus tard, de splendides paysages. À force, le vent et la pluie désagrègent la roche tendre, appelée tuf, ce qui donne à la fin ces monolithes à la forme phallique. Un champ de bites. Parfois, l’érosion travaille le relief avec une main plus délicate, en dessinant des corbeilles de meringues. La Cappadoce est un trésor ; c’est aussi le pays d’Özgür, camarade woofer que nous retrouvons devant la pharmacie de sa mère, à Ürgüp. Celle-ci nous aperçoit derrière la vitrine, sort à notre rencontre et nous sert cordialement la main. Fierté de voir son fils en compagnie de deux Français. Un peu gêné, Özgür abrège l’échange et nous emmène dans sa voiture afin de nous faire visiter la région. Pareils à des sauterelles, nous allons de promontoire en promontoire – et toujours ce cri d’émerveillement devant le fantastique aspect de ces falaises crayeuses et de ces innombrables cônes de tuf. Özgür nous invite à prendre un café devant l’un de ces panoramas ; marc au goût de basalte et loukoum au goût de rose. Mais tout cela n’est rien devant la célèbre vallée de Göreme, où se concentre une immense partie des touristes. Vallée truffée d’églises et de monastères creusés dans la roche, et dont les plus anciens remontent au cinquième siècle après Jésus-Christ. Vallée refuge pour ces chrétiens qui s’y cachaient pendant les incursions arabes, et profitaient de ce temps clandestin pour colorer les murs de sublimes fresques. Vallée fantôme où foisonnent d’anciennes habitations troglodytiques, abandonnées depuis l’arrivée du béton dans la Cappadoce. Vallée remplie de souvenirs endommagés, là encore, par l’érosion du temps. Vallée qui frappe l’imaginaire, qui sublime et justifie n’importe quel voyage, et qui vous poursuit jusqu’à votre retour en France, au point de n’avoir sur les lèvres, au moment de vous demander quel était le plus bel endroit visité, que ce nom grisant qu’est la Cappadoce…

Bien sûr, Özgür connaît tout ça par cœur, et demeure stoïque en face de ces paysages trop familiers. Demain, nous referons sans lui ce circuit, sans nous presser, à notre allure. Pour l’heure, Özgür en a fini de nous cornaquer. Son rêve est de venir un jour à Paris, et nous lui promettons de lui rendre alors la pareille. Avant de partir, il désigne un grand plateau poussiéreux surplombant la vallée de Göreme, et nous suggère d’y passer la nuit. Que peut-on voir là-haut ? « Pour l’instant pas grand-chose, mais vous verrez demain matin au lever du soleil… Ne ratez pas ça. » Nous suivons ses conseils, si bien que vers cinq heures, aux aurores, nous sortons du fourgon les yeux collés par la fatigue. La vue grandiose nous les décolle ; ce qui s’y passe aussi. Partout dans la vallée, des ballons se remplissent d’un air soufflé par d’imposants ventilateurs. Dans les nacelles en osier, les touristes patientent, éclairés faiblement par une lumière froide et bleue. Puis le premier pilote ouvre le bal en mettant les gaz, entraînant dans sa course une bonne centaine de montgolfières. À chaque fois qu’un brûleur crache une langue de flamme, on dirait qu’une ampoule s’allume pour illuminer le ciel encore pâle. À cinq heures trente, le soleil perce enfin le plafond, puis s’arrache à l’horizon pour assister, lui aussi, à ce formidable ballet de montgolfières qui se déplacent au gré du vent. Le décor rocailleux, blanchâtre, est maintenant magnifié par la douce lumière du matin. Pour Marie, le spectacle est féerique. Moi, je me sens comme drogué par ces visions stratosphériques, accroché à ces montgolfières polychromes tout droit sorties d’un rêve. Suis-je encore en train de dormir ? C’est un réveil extraordinaire.

Une autre chose extraordinaire : au bord de la falaise, des touristes japonais se mitraillent tour à tour devant de fausses bagnoles des années soixante-dix – genre Ford Mustang – avant de partager leur lune de miel sur Instagram. Chacun des couples aura la même photo. Un autre couple a loué un cheval que monte maladroitement la mariée, sous la molle vigilance d’un faux cow-boy turc au regard blasé. Va-t-elle se casser la figure ? Pour le plaisir, Marie et moi nous prenons aussi en selfie, avec en arrière-plan ce paysage hors du commun. La photo finira peut-être encadrée sur le chevet d’une vie plus sédentaire.

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