26 septembre

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Sous un beau ciel pommelé que n’aurait pas renié Magritte, la matinée passe à récolter des fleurs de tournesols (que n’aurait pas non plus reniées Van Gogh). Je pense à ces tableaux qui nous attendent au long de la route, à Amsterdam ou Bruxelles ou quoi d’autre, et je me dis que tout n’est pas fini, que nous avons encore de jolies choses à découvrir. En attendant, Marie et moi sommes seuls au milieu de ce champ qui n’a déjà plus de secret pour nous. Les chèvres nous regardent, et nous les regardons. Le silence offre un parfait dialogue à la relation chèvre-humain. Nous partageons le grand air ensemble, avec fraternité. Pendant ce temps, Patrycja et Jolanta doivent s’occuper de l’une des résidentes, Agnieszka, qui sort aujourd’hui d’une brève période de confinement (suite à des comportements violents). Agnieszka, c’est d’abord un grand sourire inébranlable, engageant, qui ne présage en rien les accès, les tempêtes, les éruptions soudaines ; car il arrive qu’Agnieszka, sans crier gare, se mette à lancer tout ce qui tombe sous sa main sur les gens qui l’entourent. Le sourire est toujours là, mais cette fois plus ambigu, presque acéré. C’est sa façon, nous a-t-on dit, de réagir aux stimuli de la vie quotidienne. Le rouge vif d’un pullover peut lui causer, par exemple, une vive souffrance à laquelle elle ne saura mettre fin qu’en jetant des projectiles. Aujourd’hui, pas moins de trois verres seront lancés vers Jolanta, heureusement sans dommage.

Pour éviter tout problème, on nous a donc relégués dans les champs. Près des biquettes, au grand air. Nous avons pour mission de ne couper que les tournesols dont la tête est courbée – c’est comme ça que l’on reconnaît leur maturité. Le problème, c’est qu’à nos yeux de profanes, ils ont tous la tête inclinée. Doit-on vraiment décapiter ces centaines de soleils un peu trop serviles ? Schlak ! Et nous mettons les fleurs de tournesol au sec, avant qu’un jour d’autres woofers ne collectent leurs graines. Puis nous revenons sur les lieux du crime et débitons les longues tiges de tournesol en plusieurs morceaux, desquels nous extrairons la moelle blanche afin d’en faire des tubes-abris pour coccinelles, abeilles, guêpes et autres bourdons. Les hivers sont rudes en Pologne, et ce fagot de tiges creuses, en sauvant quelques-uns de ces pollinisateurs, limitera la prolifération de parasites dans le potager (notamment les pucerons ravageurs de betteraves). Pendant que nous finissons le travail, nous apercevons Krystyna (résidente, elle aussi) qui se promène à travers champs, le long de l’enclos des biquettes. Elle chante à pleins poumons tout en bougeant la tête à la manière d’un pigeon, d’arrière en avant. Comme un disque rayé, les paroles se répètent, et Patrycja, passant par là, nous les traduit : « Pas maman pas papa ».

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