24 octobre

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Hier soir, sous nos demandes répétées, Dörte a bien voulu nous enseigner quelques rudiments de l’agriculture biodynamique. La première leçon donnée, c’est qu’il convient de soigner son sol, de le choyer pour améliorer la qualité de ses semences et de ses produits. La « préparation 501 » est l’un des remèdes proposés pour atteindre ce but. Au printemps dernier, Dörte et Jens ont d’abord enterré des cornes de vache dans lesquelles ils avaient introduit du quartz broyé. Puis, le jour de l’équinoxe d’automne, ils ont déterré ces cornes afin de récupérer de la « silice de corne » – autrement dit la préparation 501. C’est que le bovin relie le cosmos à la terre, en captant par le biais de ses cornes l’énergie cosmique ; après quoi il redistribuera de bonnes ondes aux cultures, en suivant les indications que nous nous apprêtons à découvrir.

Aux aurores, avant le chant du coq, Marie et moi sommes donc chargés de « dynamiser » cette préparation sidérale diluée dans un tonneau plein d’eau. Selon l’usage, il convient de remuer l’eau avec un bâton de manière à créer un vortex (où se déverse un peu de l’univers), puis de rompre le mouvement en tournant subitement à contre-courant. Cela pendant exactement une heure. Incommodé par mon dos, je dois laisser Marie préparer seule la potion magique. Elle y va de bon cœur. À la fin, elle a le sang aux joues, du fait de l’effort et du froid matinal. Car ça souffle du nord, un vent à décorner les bœufs. Au loin, nous apercevons Valentin, feu follet qui fauche avec son père, à tort et à travers, en y mettant toute son ardeur. Il me semble avoir lu quelque part ce vieux proverbe allemand : « Tel pommier, telle pomme ». Mais où ?

La dernière étape consiste à déverser la mixtion sur les champs de céréales. Marie, qui n’a pas quitté son pyjama vert, en arrache un morceau quand elle prend place à bord du tracteur. On voit maintenant un bout de sa culotte, ce qui n’a pas fini de susciter l’hilarité chez Valentin. Mais ce dernier bientôt piétine : il veut venir avec nous. Jens met le contact et demande à son fils de bien vouloir veiller sur la maison comme un bon petit kobold (gobelin protecteur du folklore allemand). Puis s’élève le puissant ronflement du tracteur, on ne s’entend plus, alors on fait des gestes, on s’accroche, on roule, on savoure les joies du plein air au petit matin. Mus par une fierté de coq, on traverse le village à la vue de tous, on parade à quinze kilomètres-heure, on a les cheveux dans le vent. Jens est comme un gosse, ragaillardi, malgré ses dix années de pratique. Une fois dans les champs de seigle, il accroche au tracteur une rampe de pulvérisation – la même que celle épandant le poison chimique. Je n’avais jamais vu le morbide instrument de si près. Environ dix mètres de long, de la taille d’un requin. Avec, on pulvérise l’innocente mixture sur les pousses de seigle afin de favoriser leur vigueur. Comme une douche de lumière, une pluie de soleil qui chasserait les maladies. Il paraît que les plantes entrent alors en contact avec le cosmos ; il me semble surtout qu’elles sont traitées par Jens avec tout son amour, et le soin religieux qui en découle. L’amour, ce reflet du cosmos. De temps en temps, Jens se retourne et lève le pouce en criant quelque chose. Le bruit du moteur couvre sa voix, mais les lèvres bougent et disent pour lui qu’il est heureux.

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