Chapitre 5 - Talia
Les jours s’écoulaient lentement au palais de Fereyan, marqués par une tension de plus en plus palpable entre Freyki et Jaelith. La santé de la reine continuait de décliner ; son visage, d’ordinaire si lumineux, était maintenant marqué par la fatigue, et ses traits, amaigris et affaiblis, trahissaient le combat silencieux qu’elle menait contre la maladie. Pendant ce temps, Freyki se plongeait dans les affaires du royaume, cherchant un sens à sa propre souffrance dans les responsabilités et dans la préparation de l’avenir de ses enfants.
Une soirée, alors que les ombres du crépuscule enveloppaient le palais, Freyki convoqua Jaelith dans ses appartements. Elle entra avec précaution, ses mains tremblant légèrement, la fatigue pesant sur ses épaules. Freyki, assis à son bureau, releva les yeux et l’observa d’un regard grave.
« Jaelith, nous devons parler du futur de Talia, » commença-t-il d’une voix calme mais empreinte d’une fermeté qui ne laissait pas place à la contestation.
Jaelith s’assit en face de lui, cherchant à masquer le frémissement de ses mains posées sur ses genoux. Elle soupira, anticipant déjà les paroles de son époux. « Freyki, je sais où tu veux en venir. Mais je ne peux pas accepter cela. »
Freyki fronça légèrement les sourcils, puis baissa les yeux, visiblement agacé. « Talia a seize ans maintenant, Jaelith. Elle doit assumer son rôle de princesse. L’alliance avec Etania serait un atout stratégique et assurerait notre sécurité face aux menaces extérieures. Nous devons penser à l’avenir de Fereyan. »
Jaelith secoua la tête, une lueur de détermination se mêlant à son expression fatiguée. « Ce mariage arrangé, Freyki, ce n’est pas ce que Talia souhaite. Elle mérite de choisir son propre destin. Nous ne devrions pas lui imposer nos décisions simplement parce que cela nous arrange. »
Le visage de Freyki s’assombrit, et il se leva brusquement, son regard s’enflamma d’une frustration à peine contenue. « C’est pour son bien, Jaelith ! Nous avons un devoir envers notre peuple. Que sommes-nous, sinon les gardiens de Fereyan ? Nous devons penser au royaume avant tout ! »
Jaelith se leva à son tour, se tenant droite malgré la douleur qui tirait ses traits. Ses yeux se plantèrent dans ceux de son mari avec une intensité qui semblait balayer sa fragilité apparente. « Et nous avons aussi un devoir envers nos enfants, Freyki. En tant que parents, notre rôle est de les soutenir dans leurs choix, de leur offrir un avenir où ils pourront être heureux, pas de les sacrifier à des alliances politiques. »
Un silence pesant s’installa entre eux, leurs regards s’affrontant dans une bataille silencieuse. Finalement, Freyki croisa les bras, une lueur d’émotion troublant brièvement la sévérité de son expression. « Jaelith, l’alliance avec Etania est déjà scellée. Nous devons préparer Talia à ses fiançailles avec le prince Asheer. »
Jaelith baissa les yeux, sentant une vague de désespoir monter en elle. « Et si Talia refuse, Freyki ? Que feras-tu alors ? »
Le visage de Freyki se durcit, ses traits devenant de marbre. « Elle n’a pas le choix, Jaelith. Mon devoir en tant que roi est de prendre des décisions qui assurent la sécurité du royaume, même si elles sont douloureuses. C’est cela, la vraie responsabilité. »
Une tristesse infinie se peignit sur le visage de Jaelith, et son cœur se serra. Elle savait que son époux était guidé par un sens aigu du devoir, mais cette inflexibilité à l’égard de leur propre fille la révoltait. « Talia est notre fille, Freyki, pas un pion sur l’échiquier de Fereyan. Elle mérite plus que d’être sacrifiée sur l’autel de nos ambitions. »
Sans ajouter un mot, Jaelith se détourna, quittant la pièce. Freyki la regarda s’éloigner, une lueur de regret traversant son regard. Seul dans la pénombre, il s’effondra dans sa chaise, ses pensées assaillies par le poids de ses décisions.
Dans une des salles d’étude du palais, Talia, assise devant une grande fenêtre, contemplait la cité en contrebas, son esprit se perdant dans les ruelles et les toits dorés par la lumière du matin. Ses pensées erraient, lointaines, alors que son professeur poursuivait son discours sur les alliances et la diplomatie, ignorant la distraction évidente de la princesse.
D’un coup, la voix autoritaire du vieil homme rompit le silence. « Talia, seriez-vous capable de répéter ce que je viens de dire ? »
Surprise, la jeune fille tourna la tête vers lui. Elle haussa les épaules, la voix morne. « Non, je n’en suis pas capable. »
Le professeur leva les yeux au ciel, exaspéré. Talia était de loin son élève la plus distraite. « Talia, » soupira-t-il, « j’essaie de vous enseigner des choses essentielles pour votre avenir de reine. Faites au moins un effort. »
Talia baissa les yeux, ses mains jouant distraitement avec le bord de sa robe. « Un effort… pour qui ? »
Le professeur la fixa, perplexe, mais reprit d’une voix plus douce. « Dans votre propre intérêt, princesse. Vous savez très bien pourquoi votre père tient à ce que vous appreniez tout cela. »
Elle le savait, et cette pensée la hantait. La perspective d’un mariage arrangé avec un homme qu’elle n’avait jamais vu lui était insupportable. Fuir loin de Goldrynn lui traversa l’esprit, mais elle savait qu’échapper seule à son destin était impossible. Un mince sourire apparut sur son visage. Peut-être qu’avec un allié...
Dans la cour du palais, Feiyl, le jeune dragon, observait silencieusement les jardins royaux. À présent adulte, il était devenu grand et élégant, ses longs cheveux sombres aux reflets bleus noués en une simple queue de cheval. Ses yeux, de la couleur de l’or, suivaient le moindre mouvement de Talia depuis sa sortie de la salle de cours.
Lorsqu’elle le rejoignit, elle leva les yeux vers lui, le sourire malicieux. « Ton armure n’est pas trop lourde, Feiyl ? »
Il esquissa un sourire, posant sa main sur le pommeau de son épée. « Non, je m’y suis habitué. »
Elle le détailla de bas en haut, son regard trahissant une certaine admiration. « Elle te va bien, tu sais. »
À ces mots, Feiyl sentit le rouge lui monter aux joues, et il s’inclina respectueusement, perturbé. Talia éclata d’un léger rire. « Allons, Feiyl, depuis le temps, tu n’as pas besoin de te montrer si formel avec moi. »
Feiyl se redressa, mais hésita un instant. « Peut-être, mais… » Il s’interrompit, ne souhaitant pas aborder le sujet des fiançailles imminentes. « …tu es une princesse, Talia. Et moi, je ne suis qu’un dragon, je ne suis pas de ton rang. »
Talia le regarda, amusée. « Depuis quand ce genre de choses t’intéresse, Feiyl ? » Elle secoua la tête, réprimant un rire.
Gêné, Feiyl préféra détourner la conversation. « Je devrais remercier ton père pour ce qu’il a fait pour moi toutes ces années. »
Elle hocha la tête, souriant doucement. « Oh, tu sais bien que pour lui, tu es comme un fils. »
Mais Feiyl détourna le regard, le visage sérieux. « Mais je ne le suis pas. » Avant qu’il ne puisse ajouter quoi que ce soit, un garde arriva.
« Dame Talia, Sa Majesté vous attend dans la salle du trône. »
Talia se tourna vers Feiyl, la résignation dans le regard. « Je devine déjà la raison. Ce ne sera pas une discussion agréable… Tu peux rester ici, Feiyl. Père et moi finirons par nous disputer, comme toujours. »
Feiyl inclina la tête en signe de compréhension, observant Talia s’éloigner, silencieusement inquiet pour elle.
Dans la salle du trône, Talia marcha d’un pas lent jusqu’à son père, son cœur battant à tout rompre. Freyki, debout au centre de la pièce, se tourna vers elle avec une expression solennelle, le visage de marbre.
« Talia, » dit-il, sa voix grave résonnant dans l’immense salle, « tu as seize ans. Il est temps pour toi de prendre tes responsabilités en tant que princesse de Fereyan. »
Elle le regarda sans sourciller, déterminée à ne pas flancher. « Et que veux-tu exactement de moi, père ? »
Freyki inspira, se racla la gorge et reprit d’une voix solennelle. « Tes fiançailles avec le prince Asheer d’Etania ont été décidées. Cette alliance assurera la sécurité de notre royaume. »
Talia baissa les yeux, et un soupir brisé s’échappa de ses lèvres. Elle savait que ce moment viendrait, mais cela ne rendait pas l’idée de ce mariage moins insupportable. « Père, je ne veux pas de ce mariage. Je veux être libre de choisir mon avenir. »
Un silence tendu suivit sa déclaration, et Freyki fronça les sourcils, mais cette fois, une lueur d’hésitation brillait dans son regard. Les mots de sa fille l'atteignaient plus qu’il ne l’admettrait. Finalement, il soupira, le visage las, et se détourna, quittant la salle sans un mot.
Talia, restant seule dans l’immense pièce, sentit son cœur se serrer. Elle avait osé affirmer sa volonté, mais savait que son père, malgré sa réaction, restait fidèle à ses convictions. Pourtant, elle était déterminée : elle ne serait pas simplement un pion dans le jeu de pouvoir de Fereyan.
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