Chapitre 8 - L'entrainement
Depuis l’incident à l’auberge, les journées de Tyrian s’étaient transformées en un enchaînement sans fin de leçons et d’entraînements rigoureux. Le père Nidud veillait à ce que Tyrian n’échappe pas aux exigences du rôle qui l’attendait. Le vieil homme, d’une autorité implacable, espérait en faire un prince digne de Fereyan, un guerrier fort et discipliné.
Chaque matin, à l’aube, Tyrian rejoignait le père Nidud dans la cour d’entraînement, le cœur lourd. Sous l’œil sévère du prêtre, il brandissait son épée encore et encore, répétant les mêmes mouvements jusqu’à ce que ses muscles s’engourdissent de douleur. Chaque heure passée sur le terrain ajoutait un poids de plus à sa fatigue, et malgré ses efforts, il sentait ses forces décliner.
Freyki, bien qu’ayant consenti à adoucir sa colère, continuait de surveiller les progrès de son fils avec une dureté implacable. Installé dans l’ombre d’une colonne de pierre, il observait chaque mouvement de Tyrian, sa mâchoire crispée, exigeant sans mot dire la perfection. Tyrian faisait de son mieux pour satisfaire son père, mais l’épuisement gagnait.
Un après-midi, alors que le soleil déclinait et projetait des ombres longues sur l’arène d’entraînement, Tyrian s’efforçait d’enchaîner une série de parades et d’attaques. Son souffle était court, ses muscles tétanisés. Il leva l’épée une dernière fois, mais ses pieds glissèrent sur le sol poussiéreux, et il tomba lourdement. L’épée échappa à sa main et traça une coupure le long de son avant-bras.
Un cri de douleur lui échappa alors qu’il serrait son bras ensanglanté. Freyki s’approcha rapidement, le visage déformé par l’inquiétude et une colère qui ne demandait qu’à éclater.
« Debout, Tyrian ! » tonna Freyki, son ton sans appel. « Tu n’as pas le droit d’être faible. »
Jaelith, qui observait la scène depuis le balcon, ne put contenir son inquiétude. Elle descendit précipitamment et accourut vers Tyrian, s’agenouillant à ses côtés. Ses mains expertes inspectèrent la blessure avec douceur.
« Freyki, cela suffit ! » s’écria-t-elle, le regard flamboyant de réprobation. « Regarde ce que tu as fait. Tyrian est épuisé, et maintenant il est blessé. »
Freyki se redressa, sa mâchoire se contractant sous l’effet de la frustration. « Jaelith, il doit apprendre. Le monde ne fera pas preuve de pitié pour un prince faible. »
Jaelith se leva pour lui faire face, son regard dur et résolu. « Et toi, Freyki, tu dois te rappeler qu’il n’est pas seulement ton héritier. Il est aussi notre fils. Il ne peut pas être forgé comme une arme sans que cela n’ait de conséquences sur lui. »
Freyki ouvrit la bouche, prêt à répliquer, mais les paroles de Jaelith le figèrent, et il la regarda, déconcerté. Elle poursuivit, sa voix tremblante d’émotion. « Ne vois-tu pas ce que ces entraînements font à Tyrian ? Il a besoin de notre soutien, de notre amour. Pas de notre cruauté. »
Le père Nidud, resté en retrait jusqu’à cet instant, s’avança vers eux, son visage sévère mais empreint d’une certaine compassion. « Majesté, le prince a en lui un potentiel indéniable, mais il lui faut du temps et de la patience pour l’exploiter. Peut-être devrions-nous réajuster son entraînement pour qu’il puisse récupérer. »
Freyki soupira profondément, pris entre sa frustration et son amour pour sa famille. Il passa une main lasse sur son visage avant d’acquiescer, résigné. « Très bien, père Nidud. Tyrian, va te reposer. Nous reprendrons demain. »
Jaelith aida son fils à se relever, ses mains légères et pleines de douceur soutenant Tyrian alors qu’ils quittaient l’arène. Le regard de Freyki les suivait, teinté de confusion et d’un regret profond. Il se rendait compte, trop tard peut-être, que son désir de forger Tyrian en un guerrier l’avait aveuglé à la souffrance de son fils.
Cette nuit-là, Jaelith veilla auprès de Tyrian dans sa chambre. À la lueur tremblante des chandelles, elle appliqua des herbes médicinales sur sa blessure, murmurant des paroles apaisantes pour le rassurer. Tyrian, épuisé, trouvait dans la présence de sa mère un réconfort inespéré.
« Mère, » murmura-t-il faiblement, ses yeux mi-clos de fatigue, « pourquoi père ne peut-il pas comprendre ? »
Jaelith soupira en caressant tendrement les cheveux de son fils, son regard voilé par la tristesse. « Ton père… il veut te préparer à un monde dur, Tyrian. Mais il oublie parfois que la véritable force vient aussi du cœur, pas seulement de la puissance physique. »
Tyrian hocha doucement la tête, ses paupières s’alourdissant peu à peu. « Merci, mère… d’être là pour moi. »
Jaelith lui sourit avec tendresse, une larme solitaire glissant le long de sa joue. « Je serai toujours là pour toi, mon fils. Toujours. »
Elle resta à ses côtés, veillant sur lui alors que le sommeil l’emportait, déterminée à le protéger et à l’aimer avec toute la force de son cœur.
Cette nuit-là, un orage éclata au-dessus du palais, les éclairs déchirant le ciel sombre. Le bruit assourdissant du tonnerre réveilla Talia en sursaut. Elle se leva et s’avança vers la fenêtre de sa chambre, observant la pluie qui s’abattait en torrents sur la cité. Un frisson la parcourut alors qu’elle contemplait le ciel en colère. Quelque chose n’allait pas. Elle sentait au plus profond d’elle-même un mauvais pressentiment, une peur sourde et incompréhensible.
Soudain, des cris éclatèrent dans le couloir. Le cœur de Talia se mit à battre à tout rompre. Elle entendait des hurlements, des bruits de pas précipités, et le cliquetis d’armes. L’agitation et la peur semblaient envahir le palais. Poussée par une inquiétude irrépressible, elle ouvrit la porte de sa chambre et jeta un coup d’œil dans le couloir désert. Les bruits venaient de plus loin, probablement de la salle du trône.
Malgré la peur qui lui nouait l’estomac, elle s’avança dans le couloir, ses jambes tremblant à chaque pas. Elle poussa la grande porte de la salle du trône, et un spectacle d’horreur s’offrit à ses yeux. Des dizaines de cadavres jonchaient le sol, les yeux vides, leurs corps se relevant encore et encore, attaquant sans relâche son père. Freyki se battait avec une détermination farouche, transperçant de son épée les soldats morts-vivants qui se relevaient inlassablement.
Talia voulut crier, lui dire de fuir, de cesser ce combat inutile, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Dans un cri d’agonie, Freyki tomba, transpercé de multiples lames. Puis, sous les yeux terrifiés de sa fille, il se releva, les yeux vides et froids, croisant son regard avec une expression sinistre. Il s’avança vers elle, levant son épée, et Talia, paralysée par la terreur, hurla de toutes ses forces.
Elle se réveilla en sursaut, la respiration saccadée et le corps en sueur. Encore sous le choc de son cauchemar, elle se leva pour aller à la fenêtre, cherchant à calmer son cœur affolé en respirant l’air frais de la nuit.
La porte de sa chambre s’ouvrit soudain, et Tyrian entra, le visage inquiet. « Talia, tout va bien ? Je t’ai entendue crier… »
Elle se tourna vers lui, encore bouleversée. « Ce n’est rien, Tyrian… j’ai juste fait un cauchemar. »
Ils restèrent silencieux un moment, leurs regards s’accrochant dans un échange muet. Tyrian, luttant pour retenir ses émotions, finit par baisser les yeux, le visage empli d’un désespoir résigné.
« Ce monde… » murmura-t-il, la voix pleine de peine, « ce monde n’est pas le mien. Si seulement j’avais le courage de fuir loin de cette vie… »
Talia, touchée par la détresse de son frère, fit un pas vers lui. « Tyrian, ne dis pas ça… »
Il releva les yeux vers elle, et Talia vit l’éclat de tristesse profonde qui habitait son regard. « Je n’en peux plus de cette vie. Père me déteste, et c’est de ma faute s’il se dispute sans cesse avec mère. »
Talia, incapable de nier la vérité de ses paroles, sentit une tristesse immense l’envahir. Voir son frère aussi brisé lui brisait le cœur. Elle posa doucement une main sur son bras, cherchant les mots pour le réconforter.
« Tyrian, père attend beaucoup de toi, mais ce n’est pas ta faute. Il… il ne sait pas comment exprimer ce qu’il ressent. Mais moi, je suis là pour toi. Je serai toujours là pour toi, quoi qu’il arrive. »
Les yeux de Tyrian se remplirent de larmes qu’il s’efforça de retenir. Il serra doucement la main de Talia, une lueur d’espoir vacillant dans son regard.
« Merci, Talia… Tu es la seule qui me comprenne vraiment. »
Ils restèrent ainsi, unis dans le silence, partageant leurs peines et leurs espoirs sous la lueur de la lune. Cette nuit-là, ils savaient qu’ils pouvaient compter l’un sur l’autre pour affronter les épreuves que leur destin leur réservait, car ensemble, ils étaient plus forts.
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