Chapitre 10 - Le piège
Les jours passaient, et le plan de Tyrian, fomenté par les manipulations du père Nidud, prenait forme. Nidud, habile et calculateur, s’était servi des blessures intérieures de Tyrian, jouant sans cesse sur sa soif de reconnaissance et son ressentiment envers Freyki. Il avait convaincu Tyrian que l'enlèvement de son frère cadet, Tanis, affaiblirait l’autorité de leur père et pourrait même provoquer une fissure irréparable dans le royaume.
Un soir, dans le secret de sa chambre, Tyrian examinait une dernière fois les étapes du plan. Son cœur battait fort, partagé entre l’angoisse et un sentiment nouveau de puissance. Les membres du Culte des Ombres l’avaient aidé à orchestrer chaque détail, assurés par Nidud de la future coopération de Tyrian. Ce dernier, bien qu’emplissant ses gestes d’une apparente assurance, ne pouvait s’empêcher de ressentir une vague inquiétude.
La nuit fatidique, Tyrian trouva Tanis seul, feignant une invitation fraternelle, un sourire calculé aux lèvres. « Tanis, veux-tu m’accompagner au vieux quartier marchand ? J’ai quelque chose d’intéressant à te montrer. »
Tanis, le regard pétillant et toujours avide d’aventure, sourit et accepta sans méfiance. « D’accord, Tyrian ! » répondit-il avec enthousiasme.
Ils quittèrent le palais discrètement, et sous le couvert de l’obscurité, s’enfoncèrent dans les ruelles sombres et étroites de la ville. Tyrian, son cœur battant à tout rompre, se força à conserver une attitude détendue. Mais son esprit bouillait de doutes et de craintes, ces sentiments s’éteignant à chaque pensée de l’influence de Nidud et de l’idée d’obtenir enfin la reconnaissance qui lui échappait.
Ils atteignirent un recoin obscur où les membres du Culte les attendaient, tapis dans l’ombre. En un éclair, les hommes saisirent Tanis, étouffant ses cris sous une main rugueuse. Tyrian, figé par la scène, dut se rappeler que cela faisait partie du plan, qu’il devait rester impassible. Pourtant, une vague de regrets s’insinua dans son cœur, mais il la chassa, pensant à l’avenir qu’on lui avait promis.
Quelques heures plus tard, Tyrian pénétra en trombe dans la salle du trône où Freyki était en pleine discussion avec ses conseillers. Jouant la panique, il cria d’une voix tremblante : « Père ! Tanis a été enlevé ! »
Freyki se leva d’un bond, l’inquiétude se lisant sur son visage. « Que dis-tu ? Où est-il ? Qui a osé faire cela ? »
Tyrian, feignant l’hésitation, répondit d’une voix étouffée, le regard baissé pour ne pas croiser celui de son père. « Ils l’ont emmené dans l’ancien quartier marchand. Nous devons agir vite. »
Le visage de Freyki se durcit, et il se tourna vers ses gardes. « Préparez-vous immédiatement ! »
Jaelith, attirée par le bruit, entra précipitamment dans la salle. En voyant la détresse de Freyki, elle comprit immédiatement que quelque chose de grave était arrivé. « Que se passe-t-il ? » demanda-t-elle d’une voix tendue.
« Tanis a été enlevé, » répondit Freyki, sa voix vibrante de colère et de peur. « Je vais le récupérer. »
Jaelith posa une main rassurante sur son bras, ses yeux brûlant de détermination. « Je viens avec toi. Nous ferons face à ce danger ensemble. »
Malgré ses réticences, Freyki accepta, sachant qu’il ne pouvait empêcher Jaelith de suivre son instinct maternel. Ensemble, suivis de Tyrian et de quelques gardes, ils se dirigèrent vers l’ancien quartier marchand, où le Culte des Ombres attendait, tapis dans les ténèbres.
Arrivés sur place, l’atmosphère était lourde de tension, chaque ombre paraissant dissimuler un ennemi invisible. Les ruelles désertes semblaient étouffer tout bruit, plongeant le groupe dans un silence sinistre. Freyki avançait prudemment, l’épée à la main, tandis que Jaelith restait à ses côtés, les sens aux aguets.
Soudain, des murmures et des chants lugubres s’élevèrent depuis un entrepôt abandonné, et Freyki fit signe à Jaelith et Tyrian de rester en arrière. D’un pas déterminé, il poussa les portes de l’entrepôt, révélant une scène horrifiante.
Au centre de la pièce, le Culte des Ombres se tenait autour d’un autel sombre, et sur cet autel, le corps inerte de Tanis gisait, ses yeux ouverts et fixant le vide. Freyki sentit son cœur se briser. « Non ! » hurla-t-il en se précipitant vers son fils. Mais il était trop tard. Tanis ne bougeait plus, son visage figé dans une expression de terreur.
Jaelith, ayant entendu le cri de Freyki, se précipita à l’intérieur, suivie de Tyrian. En voyant le corps sans vie de Tanis, elle poussa un cri déchirant et s’effondra près de lui, secouée de sanglots. Tyrian, pétrifié, ressentit un frisson glacé remonter sa colonne vertébrale. La culpabilité le submergea comme une vague, chaque seconde d’angoisse ajoutant au poids qui écrasait son âme.
Les membres du Culte des Ombres s’éloignèrent, laissant place à une silhouette familière qui émergea de l’obscurité : le père Nidud, un sourire sinistre aux lèvres.
« Vous arrivez trop tard, » déclara-t-il d’une voix froide et moqueuse. « Le prix a été payé. »
Jaelith, rassemblant ses dernières forces, se redressa lentement, son regard empli de haine. « Vous paierez pour cela, Nidud. La lumière vous jugera, et vous ne pourrez échapper à la justice. »
Nidud éclata d’un rire glacial. « La lumière ? Elle est bien faible face aux ténèbres que j’invoque. » Il leva la main, et dans un souffle de magie noire, des créatures sombres, aux yeux rouges étincelants, apparurent, se ruant sur Freyki et Jaelith.
Freyki, fou de rage, se battit avec une fureur désespérée, taillant dans les ombres qui l’assaillaient. Jaelith, invoquant la lumière, parvint à repousser les créatures, mais elle s’épuisait à mesure que la bataille se prolongeait. Alors qu’elle s’approchait de Nidud, ce dernier dégaina une dague ornée de runes sombres et, dans un mouvement rapide, la poignarda.
Jaelith s’effondra dans les bras de Freyki, son souffle devenant un murmure fragile. « Je t’aime… » furent ses derniers mots avant que ses yeux ne se ferment pour toujours.
Tyrian, voyant sa mère sombrer dans la mort, sentit le monde s’effondrer autour de lui. La culpabilité, le remords et le désespoir s’entremêlèrent en lui, transformant son chagrin en une colère brûlante.
Nidud, toujours à l’affût de la souffrance qu’il avait provoquée, lança un dernier regard satisfait à Freyki. « Tu t’es bien battu, Freyki. Mais comme promis, je t’ai fait souffrir. »
Un rire diabolique, à glacer le sang, s’échappa de la gorge de Nidud, emplissant l’entrepôt d’un écho sinistre. Puis, dans un tourbillon d’ombres, il disparut, laissant derrière lui une famille brisée, un héritage de douleur.
Freyki resta immobile, comme un zombie, les yeux perdus dans le vide. Lentement, il s’approcha du corps sans vie de Jaelith et tomba à genoux près d’elle, ses bras tremblant alors qu’il la serrait contre lui. Son cœur, brisé, ne pouvait accepter cette réalité.
« Jaelith… Jaelith… » murmurait-il, la secouant doucement, espérant que tout ceci ne soit qu’un cauchemar. « Jaelith… réponds-moi… »
Les larmes, longtemps contenues, dévalèrent ses joues. Il posa une main sur la joue froide de Jaelith, ses yeux embués fixant le visage de celle qu’il avait aimée de toute son âme.
« Jaelith ? » Sa voix se brisa. Il la secoua à nouveau, comme pour la ramener à la vie, mais il devait se rendre à l’évidence : Jaelith n’était plus. La promesse de protection qu’il lui avait faite s’était envolée avec son dernier souffle.
Les corps de Jaelith et de Tanis reposaient maintenant dans un silence glacé, enveloppés par l’obscurité de l entrepôt. Freyki restait agenouillé près de Jaelith, le visage ravagé par le chagrin, serrant le corps de sa femme contre lui, incapable de laisser aller cette dernière étreinte. Sa douleur, à la fois silencieuse et dévastatrice, résonnait dans chaque recoin de l’entrepôt, un chagrin si profond qu’il en effaçait le reste du monde.
Tyrian, quant à lui, se tenait à quelques pas de là, pétrifié par l’horreur de ce qu’il avait provoqué. Le poids de sa culpabilité le clouait au sol, son regard fixant tour à tour le corps sans vie de Tanis et celui de sa mère, Jaelith. Les larmes coulèrent sur son visage alors que la réalité s’abattait sur lui. Le plan qu’il avait mis en marche, poussé par les manipulations perfides de Nidud et son propre ressentiment, avait conduit à ce cauchemar.
Il voulait se jeter aux pieds de son père, lui avouer sa faute, implorer son pardon, mais la peur l’empêchait de bouger. Il sentait en lui une honte profonde, comme un poison qui se répandait dans ses veines, rongeant peu à peu son cœur. Mais lorsqu’il releva les yeux, il croisa le regard de Freyki, un regard qui n’était plus qu’une flamme de haine brûlante.
Freyki se leva lentement, Jaelith toujours dans ses bras, puis posa le corps inerte de sa femme avec une infinie tendresse. Quand il se tourna vers Tyrian, ses yeux étaient rouges de larmes, mais dans ce regard embué par la douleur, une colère féroce pulsait. Sa voix, brisée par le chagrin, éclata, résonnant dans le silence de l’entrepôt.
« C’est ta faute ! » hurla-t-il d’une voix tremblante mais implacable, chaque mot chargé d’une rage désespérée. « C’est toi qui as causé leur mort, Tyrian ! »
Tyrian, accablé par la honte et le désespoir, tomba à genoux, incapable de soutenir le regard de son père. Sa bouche s’ouvrit pour prononcer des mots de repentir, mais aucun son ne sortit. Les larmes continuaient de couler, formant des sillons sur son visage, tandis qu’il sentait le poids de ses erreurs l’écraser.
« J’ai… j’ai été aveuglé… » balbutia-t-il enfin, le visage baissé. « Père… je… »
Mais Freyki, emporté par une colère qui déferlait en lui comme une tempête incontrôlable, avança vers lui, son regard s’emplissant de mépris et de rejet. « Tu étais mon fils, Tyrian. Mon propre sang ! Et tu as trahi ta famille. Nidud t’a corrompu, mais c’est toi qui as choisi cette voie. Par ta faute, Jaelith… et Tanis… ils sont morts. »
Les mots de Freyki frappèrent Tyrian comme des coups de poing, chacun d’eux rongeant son cœur. La douleur de sa faute lui transperça l’âme. Il voulait crier, expliquer, se défendre, mais au fond de lui, il savait qu’il ne méritait que la haine de son père. Cette nuit de cauchemar, il en était le responsable, et il ne pouvait y échapper.
Alors que Freyki détournait le regard, dévasté, Tyrian murmura, sa voix presque éteinte. « Je ne cherchais que ton approbation… Ton amour, père… »
Un silence glacé s’installa. Freyki resta immobile, les poings serrés, respirant avec difficulté. La douleur se mêlait à la colère, l’étouffant, l’empêchant de penser clairement. Ce fils qu’il avait voulu voir devenir un homme digne et fort avait détruit sa famille.
Finalement, sans un mot de plus, Freyki tourna les talons et quitta l’entrepôt, laissant Tyrian seul parmi les ombres et les corps sans vie. Pour Tyrian, cet abandon était la plus grande des condamnations. L’obscurité de l’entrepôt sembla se refermer sur lui, amplifiant le poids de sa solitude et de sa trahison.
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