CHAPITRE 1 : LE REVEIL
C’est d'abord l’odeur qui me réveille.
Pas celle de la lavande. Ni du café. Encore moins celle d’un métro bondé à huit heures du matin. Non. Une odeur métallique. Comme si la rouille avait décidé de vivre dans mes narines.
Et ensuite la lumière. Aveuglante. Elle m’agresse les yeux dès que je tente de les ouvrir.
Je grogne, les paupières lourdes, et me frotte le visage à tâtons.
Où est-ce que je suis ?
Je ne me souviens pas avoir quitté ma chambre.
Un rêve ? Ou pire…suis je morte ?
Ok. On se calme. Doucement.
Je suis allongée sur quelque chose de dur. Une dalle ? Béton ? Marbre sacrificiel ? Franchement, à ce stade, tout est possible.
Je me redresse avec précaution. Chaque mouvement est une plainte. Mes bras, mes jambes, mes muscles, jusqu’à mes cils : tout me fait mal. Et cette migraine… On dirait qu’elle tambourine contre mon crâne comme si elle avait payé sa place pour entrer.
Des projecteurs s’allument au plafond dans un grésillement sinistre. Parce que visiblement, la lumière naturelle ne suffisait pas.
Une musique retentit. Quelque chose entre le générique d’une émission de télé-réalité et la bande-son d’un cirque ayant viré au cauchemar. Puis une voix s’élève, théâtrale :
— Mesdames et messieurs, bonjour ! Bienvenue à tous les NIVEAUX ! Bienvenue dans… le NUX !
Pardon ? Le quoi ?
Un hologramme jaillit du plafond. Un homme en costume argenté, lunettes rouges, sourire carnassier. Il tourne sur lui-même, excité comme s’il venait d’avaler douze cafés… et peut-être sniffé un peu de dynamite.
— Cinquante candidats sélectionnés dans chaque niveau. Trente jours. Vingt épreuves. Une seule règle : survivre.
Ok. C’est un rêve. Obligé. Soit ça, soit quelqu’un a glissé une drogue dans mes céréales ce matin.
— Bienvenue dans l’émission la plus attendue de la décennie ! Du sang, de l’amour, de la stratégie, des trahisons, des larmes… Et qui sait ? Peut-être un mariage ou deux !
Il éclate de rire, bientôt suivi par d'autres rires, sortis de nulle part.
Je reste figée. Mon cœur cogne trop fort. J’essaie de comprendre. Un escape game ou jeu de rôle grandeur nature ? Une caméra cachée ?
Je regarde enfin autour de moi. Je distingue d’autres silhouettes. Soulagement : je ne suis pas seule. Mais eux n’ont pas l’air aussi paumés que moi.
— Chers téléspectateurs, vous vous demandez sûrement qui seront nos Nuxois cette année. Eh bien, ne patientons pas plus longtemps !
Il claque des doigts.
Des écrans s’allument tout autour du dôme. Cinquante visages défilent : hommes, femmes, jeunes, plus âgés, certains encore inconscients, d’autres en panique, ou parfaitement sûrs d’eux.
— Vous êtes cinquante. Tous issus de mondes différents. Les Ruines, les Cités, les Interzones. Certains viennent d’en bas, d’autres d’en haut.
Son sourire s’élargit.
— Êtes-vous prêts à assister au plus grand événement de l’année ? Mais avant de découvrir nos candidats, veuillez accueillir comme il se doit… le DIRECTOIR.
Une dizaine de silhouettes apparaissent dans la projection, toutes vêtues de blanc. Leurs yeux sont masqués par un bandeau plus blanc encore que leur tenue. Tous, sauf un. Le dernier à entrer. Il porte du rouge. Pas de bandeau. Une cinquantaine d’années, à vue d’œil. Le chef, probablement, car c’est lui qui prend la parole.
— Habitants de tous niveaux. Bienvenue dans cette nouvelle édition du Nux. Je déclare officiellement l’ouverture des jeux. Bon visionnage à tous, et bonne chance aux candidats sélectionnés.
Un frisson me parcourt. Quelque chose dans sa voix… son regard… me glace.
Je ne me souviens pas d’être venue ici. Pas même d’avoir été « recrutée ». La dernière chose dont je me souvienne, c’est...
...avoir terminé le dernier épisode de Squid Game.
Ah ! Voilà. Je me disais aussi que ça me rappelait un truc. Trop de binge-watching. Et voilà que mes cauchemars prennent la relève.
Le présentateur réapparaît.
— Voici le moment que vous attendez tous… La présentation de nos Nuxois !
Le sol tremble soudain sous mes pieds et me pousse à me redresser, presque de force. Un petit robot s’avance vers moi et répète en boucle.
— Veuillez vous diriger vers le centre pour vous identifier. Veuillez vous diriger vers le centre pour vous identifier.
Je le regarde, mi-intriguée, mi-fascinée. Il me fait penser à Wall-E. Ce rêve a clairement un budget plus élevé que mes précédents.
Au centre, deux files. Je choisis celle de droite. Celle où il y a le moins de monde. Même en rêve, hors de question de poireauter deux heures.
La file avance lentement mais sûrement. Une voix robotique s’élève :
— Veuillez placer une main sur la plaque, puis vous diriger vers le lieu indiqué par les androïdes.
Les androïdes ? Je penche la tête. Les petits Wall-E, là ? C’est ça les androïdes ?
Un bip me ramène à la réalité – ou ce que j’en perçois.
— Candidat 1, Ross, Interzone niveau 12, 42 ans.
Un visage d’homme s’affiche. Il ne fait pas son âge.
— Candidat 7, Line, Cité niveau 18, 19 ans.
C’est quoi cette histoire de niveaux ? Et moi, je viens d’où, exactement ?
— Candidat 28, Anastase, Ruines niveau 1, 25 ans.
Des murmures s’élèvent. L’image du fameux Anastase apparaît. Pas mal du tout. Grand, brun, ténébreux. Le genre mystérieux. Beau gosse, certes, mais je préfère les beautés délicates.
La file se réduit. Mon tour approche.
— Candidat 47… Niveau inconnu. Candidat 47… Niveau inconnu. Veuillez placer votre main sur la plaque pour identification.
— Bah je veux bien, mais… je suis déjà dessus, en fait.
Pourquoi je suis la seule à qui ça arrive ?
— Candidat 45… Niveau inconnu.
Un droïde me pousse hors de la file, me mettant à l’écart. Deux autres candidats me dépassent, m’offrant des regards croisés entre la curiosité et la méfiance.
— Eh bien, eh bien… que se passe-t-il ? Un candidat qui ne peut être identifié ? Nous avons nos cinquante participants alors que se passe t'il ? Vous demandez vous. Serait-ce une erreur du système ? Nous le découvrirons… après une courte pause. À tout de suite !
La projection s’éteint. Une plateforme s’élève et le présentateur lui-même en surgit, fonçant sur moi.
— Qui es-tu ? Que fais-tu ici ? Réponds !
Les androïdes, jusque-là adorables, pointent soudain leurs armes sur moi. Moins mignon, d’un coup.
— Je vous en pose, moi, des questions ?!
Un coup de feu claque. La balle me frôle la joue et la chaleur me brûle la peau. Je l’effleure : du sang.
— Aïe, putain… Ça fait mal !
Attends… Je suis censée ne rien sentir, non, si c’est un rêve ?
— Très bien. Puisque c’est comme ça, j’appelle la police.
Je cherche mon téléphone, le sors de ma poche de jogging, mains tremblantes.
— Numéro d’urgence, numéro d’urgence…
Un nouveau tir. Cette fois, droit sur mon portable. Il explose en morceaux sous l’impact.
— Non mais ça va pas ?!
Le présentateur me fixe. Son regard a changé. Froid, glacial. Plus rien à voir avec le showman souriant d’il y a quelques instants.
— Tu viens des Profondeurs, c’est ça ? Que fais-tu avec un objet issu des Archives ?
Profondeurs ? Archives ? Mais de quoi il me parle, ce clown ?
Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Dans quoi est-ce que je me suis embarquée… ?

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