CHAPITRE 2 : SAUT INITIAL

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présentateur continue de me fixer, ses lunettes rouges toujours rivées sur moi, mais son sourire a disparu. Il ne reste que le masque figé d’un homme qui n’aime pas les imprévus.

Je recule d’un pas.

Mauvaise idée.

Les androïdes s’approchent aussitôt, en cercle, synchronisés comme des vautours mécaniques. L’un d’eux siffle, un son strident, désagréable, qui me fait grincer des dents.

— Je vous le redis gentiment : je ne sais pas ce que je fais ici. J’ai rien demandé, j’ai signé aucun contrat, je veux juste rentrer chez moi, ok ?

Silence.

Puis le présentateur murmure, presque trop bas pour que je l’entende :

— Impossible…

Il lève la main. Instantanément, les androïdes s’arrêtent. Il me tourne autour, m’observe comme un objet rare, un fossile vivant qu’on aurait déterré par erreur.

— Tu n’as pas de niveau. Pas d’origine connue. Et tu détiens un objet interdit issu des Archives d’avant la Dernière Guerre…

Il se penche légèrement vers moi, ses lunettes reflétant la lumière blanche du dôme.

— Tu es un bug. Une anomalie.

Je fronce les sourcils.

Un bug ? Moi ? Il se prend pour qui, ce mec ?

— C’est quoi ton problème ? Je suis une personne, pas une ligne de code !

Mais il n’écoute pas. Il lève la tête, comme s’il s’adressait à quelqu’un, quelque part, au-dessus de nous.

— Je demande une vérification. Code 9-9. Niveau exceptionnel. Inconnue absolue. Possible voyageuse. Statut : indéterminé.

Voyageuse ? Mon cœur rate un battement. Qu'est que c'est ?

Un second hologramme s’allume derrière lui, plus froid, plus net. Cette fois, ce n’est pas une image colorée de show télé. C’est une interface. Des colonnes de chiffres. Des scans. Mon visage apparaît brièvement. Flouté. Brouillé. Comme si le système n’arrivait pas à me lire.

— Profil instable. Fréquence biométrique : non répertoriée.

— Transfert d’origine… impossible à localiser.

— Requête : placement sous surveillance renforcée.

Le présentateur esquisse un rictus. Ce n’est pas vraiment un sourire. Plutôt… de l’anticipation. Comme s’il venait de dénicher un bonus imprévu dans son programme.

— Messieurs-dames, dit-il en se tournant vers les écrans, nous avons une surprise de taille cette année. Une participante… spéciale.

Les écrans du dôme s’embrasent aussitôt. Mon visage s’affiche partout, accompagné d’un énorme point d'interrogation à côté de mon nom.

— Candidat 45. Nom : inconnu. Niveau : non répertorié. Statut : anomalie.

Des murmures montent autour de moi. Certains rient. D’autres chuchotent. Je vois les regards, les doutes, la peur même, dans les yeux de certains concurrents.

Super. Me voilà cataloguée comme l’erreur du jeu. La fille qu’il vaut mieux éviter.

Le présentateur se redresse et claque des doigts. Les androïdes reculent.

— Qu’on la place dans la section 1.

Un murmure étonné parcourt la salle.

— La section des Ruines ? proteste un technicien en fond d’écran. Mais…

— Elle n’a pas d’autre place, tranche-t-il. Et pour le public, ce sera parfait. Mystère, danger… l’audience va adorer.

Deux drones me prennent par les bras. Pas violemment, mais avec cette froideur chirurgicale qui fait comprendre qu’on n’a pas vraiment son mot à dire.

Je me débats, un peu, par principe.

— Et si je refuse ?

Le présentateur se retourne, ses lunettes rouges brillant comme deux lames.

— Alors tu es libre.

Pause.

— Tu peux quitter le Nux. Maintenant. Ce sera rapide.

Un déclic résonne.

Les androïdes braquent de nouveau leurs armes sur moi.

Ah. Voilà ce qu’il voulait dire par « rapide ».

Je lève les mains, cynique.

— Très bien. J’adore les jeux, moi. Quelle est ma chambre ? Room service inclus ou pas ?

Le présentateur s’éloigne, déjà tout sourire. La musique recommence. Le cirque reprend. On me pousse vers une sortie latérale pendant que le show continue sans moi.

Je sens les regards brûlants des autres candidats sur ma nuque. Je suis marquée. Stigmatisée.

Mais une chose est claire maintenant.

Ce n’est pas un rêve.

Et je ne suis pas morte.

Je suis bel et bien… quelque part.

Et il va falloir que je survive.

On me guide à travers un couloir étroit, froid, sans fenêtres. Les murs sont gris, métalliques, sans la moindre aspérité. Même les bruits de mes pas sont étouffés.

J’ai l’impression d’être un colis qu’on transporte. Sans destination précise. Sans explication.

Un des androïdes me précède, l’autre me suit. Impossible de m’échapper.

Pas que j’en aie la force, de toute façon.

Finalement, une porte coulisse dans un chuintement. Je cligne des yeux : un ascenseur. Pas du genre qu’on trouve dans un centre commercial. Non. Celui-ci est circulaire, sans boutons visibles, sans plafond apparent. Juste un puits vertical plongé dans l’ombre.

Je n’ai pas le temps de protester. On m’y pousse sans ménagement.

L’androïde à ma droite émet un petit bip satisfait, puis le sol se met à vibrer. On descend. Vite. Trop vite.

Le métal autour de moi semble se resserrer.

Et puis, brutalement : l’ascenseur s’arrête.

Un autre couloir. Plus large, plus humide. Les murs suintent. L’air est plus lourd, chargé d’une odeur de moisissure et de plastique brûlé. Les androïdes reculent.

Je comprends que c’est ici que je descends.

Un dernier portail se lève… et me voilà dans la section 1.

Les Ruines.

La lumière est différente. Plutôt jaune, sale, filtrée par une verrière brisée plusieurs mètres au-dessus.

Des câbles pendent du plafond. Le sol est fendu par endroits, recouvert de plaques de métal rouillé et de carrelages éclatés.

Je n’ai pas le temps de faire trois pas que les regards se tournent vers moi.

Une dizaine de candidats sont déjà là. Ils ont l’air… cabossés. Comme si la vie leur avait déjà roulé dessus plusieurs fois.

Une femme me dévisage, accoudée contre une poutre effondrée. Grande, peau mate, mâchoire serrée. Son regard est clair, mais dur. Elle ne dit rien, elle jauge.

D’autres chuchotent. Je devine des mots comme “l’anomalie”, “celle qui vient de nulle part”, “celle que le système n’a pas reconnue”.

Génial. Je suis une légende urbaine au bout de cinq minutes.

J’avance, droite, même si mes jambes me supplient de me replier en position fœtale dans un coin.

Un garçon aux cheveux roux s’approche, les bras croisés.

— C’est toi, la 45 ?

Je hoche la tête, méfiante.

— Pas de niveau, c’est ça ? Pas d’origine ? Pas de scan ?

Il ricane.

— Tu vas adorer ici. Bienvenue dans les bas-fonds du Nux.

Je m’apprête à répondre un truc bien cinglant, mais une voix féminine nous interrompt :

— Laisse-la, Lyd. Elle vient d’arriver.

C’est la femme de tout à l’heure. Elle me regarde toujours, mais cette fois avec un brin de curiosité.

— Elle doit s’habituer.

Lyd hausse les épaules et s’éloigne.

Je me retrouve face à la femme. Elle ne sourit pas. Elle ne tend pas la main. Elle ne me demande pas mon prénom, non plus. 

— Tu t’es fait remarquer, dit-elle simplement.

— Pas vraiment volontairement.

— Aucun de nous n’est là volontairement. Ou plutôt la plus part.

Un silence. Puis :

— Je m’appelle Sarah.

Un silence gêné.

— Et toi ? ajoute-t-elle 

Je m’apprête à répondre. Mon prénom est là, sur le bord de mes lèvres… mais il ne sort pas.

Je sais que je m’appelle Noa. Je le sais. Et pourtant, pendant une fraction de seconde, ce nom me semble… flou. Comme s’il appartenait à quelqu’un d’autre.

— Noa, je dis finalement. Juste Noa.

Elle hoche la tête. Ni surprise, ni moquerie.

— Bienvenue dans le Nux, Noa. Garde ton sang-froid, ne fais confiance à personne, et surtout…

Elle me fixe droit dans les yeux.

— Ne tombe pas.

Avant que je puisse répondre, une sirène hurle, stridente.

Une voix artificielle retentit dans tout l’espace :

— Candidats des sections 1 à 5. Veuillez vous préparer. La première épreuve commence dans une heure.

Je sens mon estomac se nouer.

Pas le temps de comprendre ce monde. Pas le temps de reprendre mon souffle. Pas le temps… tout court.

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